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III. P OUR ALLER PLUS LOIN

2. Implications cliniques de nos études

2.2. Implications pour le traitement

Des propos qui précèdent, nous pouvons retenir l’importance d’une évaluation détaillée et individualisée de la personne venue chercher un traitement. Comme le suggère l’hétérogénéité des échantillons de nos études, les mécanismes en jeu dans le maintien du trouble du comportement alimentaire et leur complexité peuvent varier selon les personnes, chaque processus y participant de manière plus ou moins importante. On pourrait faire l’hypothèse qu’une urgence élevée serait un mécanisme de base, menant aux crises de boulimie. Ce mécanisme pourrait se présenter parfois de manière plus sévère et aggraver le trouble. Les cognitions organisées autour de la silhouette et du poids viendraient renforcer le maintien du trouble pour une majorité des personnes, mais certaines d’entre elles ne les présenteraient pas au même niveau que d’autres, et souffriraient néanmoins de leur état (Grilo, Masheb, & White, 2010). Enfin, des schémas cognitifs profonds dysfonctionnels pourraient cristalliser le trouble et le rendre plus rétif au changement. Cette modularité permet une ligne de base commune pour la compréhension et le traitement des troubles du comportement alimentaire, mais autorise des spécificités par personne, et peut-être par trouble. La prise en charge pour l’hyperphagie boulimique a pour l’instant été calquée sur celle utilisée pour la boulimie, parce que les deux conditions impliquent des crises de boulimie (Wonderlich et al., 2003), mais en même temps, les recherches ont montré la validité discriminante du diagnostic d’hyperphagie boulimique par rapport à la boulimie (Wilfley et al., 2000), laissant penser

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qu’un copier-coller des traitements entre les deux états psychopathologiques ne pourra pas continuer de manière illimitée (Wonderlich et al., 2003).

Ces mécanismes variés impliqués dans la compréhension des troubles du comportement alimentaire sont reflétés dans la complexité des différentes approches qui se développent actuellement, comme la thérapie basée sur le modèle transdiagnostique (Fairburn et al., 2003). Ce nouveau modèle a conduit à un enrichissement de la TCC-B, qui était du reste critiquée pour sa focalisation trop circonscrite autour des préoccupations pour l’alimentation, la silhouette et le poids. L’aboutissement est une TCC-renforcée ("enhanced"), qui inclut des techniques ciblant l’intolérance aux émotions, le perfectionnisme exagéré, l’estime de soi centrale basse ou les relations interpersonnelles. Un point important est que cette thérapie est dispensée en individuel, pour permettre une adaptation optimale aux besoins de la personne. On voit l’importance de l’évaluation au cas par cas des processus impliqués dans le trouble, qui peuvent grandement varier selon les individus.

Cependant, ces thérapies complexes ont comme défaut la difficulté d’interpréter les mécanismes en jeu suivant les résultats observés chez les individus. Par exemple, si, comme il est permis de le supposer, la restriction alimentaire n’entretient pas de lien avec les crises de boulimie, on peut faire plusieurs inférences sur les mécanismes par lesquels la TCC-B a aidé une partie significative de nos participantes. En effet, selon la TCC-B, la restriction alimentaire est le mécanisme à l’origine des crises, mais la TCC-B se montre néanmoins efficace pour environ 50% des personnes (Fairburn et al., 2003), comme elle s’est avérée efficace pour une partie de la population de nos études.

Pour l’hyperphagie boulimique, il a été suggéré que par le seul fait d’établir un rythme alimentaire régulier, la TCC jouerait un rôle dans la diminution des crises de boulimie (Wilson et al., 2007), sans que cela ait pu être démontré. L’imposition d’une structure suffirait à sortir les personnes de leurs automatismes dans les cas les moins sévères. Ceci expliquerait également l’effet des prises en charge comportementales pour la perte de poids ou même des régimes à basses calories, observé sur les crises de boulimie (de Zwaan et al., 2005; Marcus et al., 1995).

Par ailleurs, l’utilisation du carnet alimentaire, qui permet de déceler les déclencheurs des crises, pourrait permettre aux personnes, boulimiques également, de mettre en place des

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stratégies alternatives de gestion des problèmes. Une partie du programme de traitement de la TCC-B est aussi dévolue à la résolution de problèmes, qui propose d’anticiper les situations à risque que la personne a identifiées comme provoquant des crises de boulimie et d’imaginer très précisément d’autres manières de procéder. Ces techniques permettraient aux personnes de dénouer leurs automatismes, d’apprendre à maîtriser leur urgence, et de réagir de manière réfléchie dans les situations émotionnelles négatives. Une étude a examiné chez des individus boulimiques l’évolution de leurs stratégies d’adaptation au cours d’une TCC et a montré qu’ils étaient plus enclins en fin de traitement à chercher du soutien social, à penser aux conséquences négatives de la crise ou à entreprendre une activité alternative (Binford et al., 2005), ce qui serait compatible avec une diminution d’un déficit d’inhibition.

Mais ce sont des hypothèses sur les mécanismes en jeu qui demanderaient à être vérifiées. C’est pourquoi on devrait prioritairement privilégier l’évaluation de techniques d’intervention simples. Par exemple, nous avons suggéré d’utiliser des techniques d’intention d’implémentation (Gollwitzer, 1993, 1999) pour surmonter les déficits d’inhibition chez les personnes hyperphages boulimiques. De telles techniques ciblent plus spécifiquement l’urgence et permettent l’inhibition des réponses automatiques et le développement de stratégies de gestion des émotions et des problèmes mieux adaptées. Ce type d’interventions minimales pourrait s’avérer suffisant pour un certain nombre de personnes et présente en outre l’avantage de permettre plus facilement une inférence sur les processus impliqués conduisant au changement, le cas échéant.

L’urgence semble être au cœur de la problématique de l’entretien des crises de boulimie. Proposer une prise en charge pour un déficit d’inhibition, qui pourrait être à la base du trouble, serait une première étape, que l’on viendrait enrichir ensuite avec des techniques cognitives relatives au contenu des schémas propres à chaque personne.

On peut évidemment se demander, après ce plaidoyer pour la personnalisation des interventions, si un auto-traitement par Internet a encore sa place dans les prises en charge pour la boulimie et l’hyperphagie boulimique. Et la réponse est très certainement affirmative.

En attendant une meilleure compréhension des processus sous-tendant les troubles du comportement alimentaire, ainsi qu’un développement de techniques toujours mieux adaptées, il n’en reste pas moins que la TCC est, pour le moment, la seule thérapie recommandée avec

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un grade A par le NICE pour le traitement de ces deux troubles du comportement alimentaire (NCCMH, 2004). La diffusion des informations sur les troubles du comportement alimentaire et sur les traitements adéquats laisse fortement à désirer et reste un obstacle à l’accès aux soins. De nombreux individus souffrent trop longtemps de leur trouble, sans être dépistés ou sans pouvoir obtenir le suivi nécessaire, avec des conséquences importantes sur leur existence. Internet a montré son potentiel pour acheminer jusqu’aux personnes qui en ont besoin des programmes d’auto-traitement structurés avec une guidance par e-mails, qui peuvent les aider. Pour ses qualités de diffusion, cet outil devrait garder une place de choix dans la palette des interventions proposées à l’avenir, même dans le cas d’une plus grande individualisation du traitement. En effet, après une évaluation soigneuse des besoins de la personne, Internet pourrait permettre de dispenser un certain nombre de techniques de base, en complément d’un suivi individuel ciblé si nécessaire.

Les recherches doivent donc se poursuivre, tant au niveau de la compréhension des processus sous-tendant les troubles du comportement alimentaire, qu’au niveau du développement d’interventions adaptées et de leur diffusion.

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D. R ÉFÉRENCES