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A. INTRODUCTION THÉORIQUE

5. Traitement sur Internet

5.4. Enjeux pour la recherche

Les recherches visant à évaluer l’effet et la qualité des interventions que l’on offre sur Internet sont nécessaires, mais posent de nouvelles questions et de nouvelles problématiques, méthodologiques et éthiques. Plusieurs auteurs (Childress & Asamen, 1998) et des organisations professionnelles (National Cancer Institute and The Robert Wood Johnson Foundation, NCI & RWJF, 2001), dont l’American Psychological Association (Kraut et al., 2004), ont publié des standards éthiques destinés à encadrer les recherches faites avec ce nouveau média.

Deux sources de risques pour le participant sont à prendre en compte : les brèches dans la confidentialité et les dommages résultant directement de la participation à la recherche (Kraut et al., 2004). La sécurité des informations échangées est un sujet de préoccupation majeur et un des plus grands risques de préjudice pour le participant (Kraut et al., 2004). Le risque est de voir des informations qui devraient rester privées sortir du contexte de la recherche. Les échanges entre thérapeute et personne doivent être cryptés pour assurer la confidentialité. De plus les données doivent être conservées dans un endroit sûr et adéquat (Childress & Asamen, 1998), ce qui exige de s’équiper en conséquence au niveau technique (Kraut et al., 2004). Par ailleurs, des instructions spéciales doivent être données aux utilisateurs pour leur rappeler de protéger leur vie privée, spécialement s’ils consultent le site

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à partir de lieux publiques, comme un Internet café ou une bibliothèque (Ybarra & Eaton, 2005).

Par ailleurs, on doit évaluer aussi bien les bénéfices potentiels de la recherche que les dommages éventuels qu’elle peut causer à la personne, comme dans toute étude menée en psychologie. Mais en ce qui concerne les recherches impliquant Internet, la préoccupation supplémentaire des chercheurs porte sur la possibilité de surveiller l’évolution des participants afin de pouvoir remédier aux éventuels effets négatifs de la recherche (Kraut et al., 2004).

Tant la recherche que la diffusion de traitements sur Internet posent des problèmes juridiques. Par exemple, dans le champ de la télémédecine, qui implique de fournir des services médicaux grâce à des systèmes de communication avancés, de nombreux États américains promulguent des lois particulières exigeant que les médecins qui pratiquent ce système aient une licence dans l’État où le patient réside (Childress & Asamen, 1998). Ces considérations se compliquent encore quand la personne et le clinicien résident dans des pays différents. Pour ces raisons, il est recommandé que les chercheurs limitent le recrutement au pays ou à l’état où ils travaillent.

L’utilisation d’Internet soulève également des inquiétudes quant à la manière dont les participants seront traités afin de les protéger de tout préjudice (Kraut et al., 2004). Il est important et obligatoire au niveau éthique que l’investigateur s’assure que le protocole et les implications de la recherche aient été correctement compris par la personne qui y participe (Childress & Asamen, 1998). Dans un cadre traditionnel, cela se fait le plus souvent en face à face, ou par téléphone. Suivant le type de recherche, sur un groupe non vulnérable et lorsque les risques sont bas, il est possible de faire lire le consentement sur Internet de demander au participant de "cliquer pour accepter" (Kraut et al., 2004), voire de proposer une série de questions pour être certain que le participant a bien compris le protocole. Pour une recherche sur un groupe vulnérable, il est recommandé de prendre toutes les précautions nécessaires pour être certain qu’il n’y a aucun malentendu entre les chercheurs et les participants à l’étude (Childress & Asamen, 1998). De plus, le participant doit signer un formulaire de consentement écrit. Si on ne le rencontre pas, on peut par exemple envoyer le formulaire par courrier, ce qui permet de vérifier ses coordonnées. Avoir des noms et adresses corrects peut s’avérer nécessaire en cas de gestion de crise, comme par exemple la survenue de menaces

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suicidaires (Childress & Asamen, 1998). A un niveau moins extrême, la localisation de la personne permet à l’investigateur de lui conseiller des thérapeutes proches de chez elle, qui pourraient la suivre en face à face si la recherche devait ne pas lui convenir. Enfin, on débutera les études de validation de programmes d’auto-traitement sur Internet avec des interventions qui ont déjà été fortement validées au niveau empirique, comme la TCC (Childress & Asamen, 1998).

Concernant la conduite même de la recherche, plusieurs points sont également à discuter. Tout d’abord, le recrutement pour l’étude peut se faire par Internet, en plus des canaux habituels comme la publicité dans les journaux (NCI & RWJF, 2001). Ensuite, la récolte des données offre des avantages, comme la réduction des erreurs potentielles de retranscription, puisque l’utilisateur entre ses données lui-même. Il est maintenant établi que les propriétés psychométriques d’un auto-questionnaire sous format papier ont tendance à être transférées quand le même auto-questionnaire est administré sur Internet. Cependant, les instruments devraient être validés avant utilisation (Andersson, 2009). Il est important de prévoir un moyen pour que les personnes aillent au bout du questionnaire sans aller chercher des informations ailleurs sur Internet durant la récolte de données ou sans être distraits par leur environnement (Kraut et al., 2004). En effet, les internautes ont tendance à se disperser, quand ils ne sont pas en interaction directe avec quelqu’un d’autre (NCI & RWJF, 2001).

Relativement aux taux d’abandons importants en cours de traitement relevés dans la plupart des études, il est vivement recommandé d’inclure un soutien au participant dans le programme, par exemple par le biais d’e-mails (NCI & RWJF, 2001). Enfin, en plus du sérieux attendu au niveau de la méthodologie de la recherche, les utilisateurs sont en droit de souhaiter un site sur lequel la navigation soit facile et qui soit bien conçu, comme n’importe quel autre site web. Pour bien fonctionner, la recherche sur Internet exige une bonne collaboration entre des gens d’univers très différents, de la psychologie, à la technique et au graphisme (Ybarra & Eaton, 2005).

6. S

YNTHÈSE

Un nombre important d’études a permis d’évaluer les interventions psychologiques destinées à traiter la boulimie. Les études ciblant l’efficacité des traitements pour l’hyperphagie boulimique sont moins nombreuses. Néanmoins l’ensemble de ces recherches a

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permis de recommander la TCC comme prise en charge pour les personnes souffrant de ces deux troubles du comportement alimentaire. Tous les individus ne répondent pas à la thérapie, et les facteurs associés à la réussite du traitement sont peu connus. Les mécanismes sous-jacents au maintien de la boulimie et particulièrement de l’hyperphagie boulimique sont encore mal compris. Il est cependant devenu clair que l’hyperphagie boulimique répondait plus spécifiquement à une prise en charge psychologique et non pas à toute prise en charge comme on l’a pensé parfois.

La TCC fait donc partie des thérapies de choix recommandées pour les adultes. Sa forme structurée a permis sa formalisation en auto-traitements, qui ont été évalués et qui sont conseillés en traitements de première ligne. Mais malgré les efforts entrepris pour la diffusion de la TCC, encore peu de personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire y accèdent. Les raisons sont à chercher du côté des représentations entourant ces troubles et les soins nécessaires. De manière générale, l’information passe mal entre le monde de la recherche et le public.

L’utilisation d’Internet pour améliorer la diffusion d’informations sur la boulimie et l’hyperphagie boulimique, ainsi que sur les interventions efficaces, ou pour délivrer directement des auto-traitements de type TCC aux personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire, semble prometteuse. Internet comporte de nombreux avantages, comme l’accessibilité en tout temps de chez soi, mais nécessite certaines précautions. Vu la quantité d’informations qui figurent sur le Web, un site qui se veut de qualité doit remplir certains standards éthiques. Les recherches sur les auto-traitements par Internet n’en sont qu’à leurs débuts. Les premières études sur les programmes en ligne montrent l’importance d’un contact personnalisé pour que la personne reste engagée dans la prise en charge. On n’en est pas encore à l’ère du traitement complètement informatisé.

L’efficacité de ces nouveaux auto-traitements par Internet doit être soigneusement évaluée en tenant compte de la vulnérabilité des personnes auxquelles ils s’adressent. Ceci implique de ne pas laisser en libre accès un site dont on ne connaît pas les effets. Outre le fait que le contact personnalité semble avoir son importance dans l’adhésion du participant, proposer une guidance associée à l’auto-traitement permet aussi de se prémunir contre les dommages qui pourraient survenir.

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R ÉSUMÉ ET O BJECTIFS

Le but de l’introduction théorique de notre travail de thèse était de montrer que : - Les personnes qui souffrent de boulimie et d’hyperphagie boulimique, même à un niveau

"sous-seuil" diagnostique, en subissent de nombreuses conséquences négatives tant sur leur existence, que sur leur santé mentale et physique. Ces troubles du comportement alimentaire ont également des répercussions importantes au niveau de la société. Leur prévalence est en outre certainement sous-évaluée.

- Malgré le caractère récent de la description de la boulimie et de l’hyperphagie boulimique, différents modèles ont été développés. Même si les mécanismes associés au développement et au maintien de ces états ne sont pas encore entièrement compris, ces modèles ont donné lieu à des traitements qui se sont montrés efficaces pour une partie des individus. Parmi ces traitements, la TCC, conçue également sous forme d’auto-traitement, est recommandée. Néanmoins le nombre de personnes qui y accèdent effectivement parmi celles qui en auraient besoin est bas. Lorsqu’il a lieu, le traitement intervient après un nombre d’années important, alors que les experts s’accordent à dire que pour diminuer les répercussions de ces troubles sur la vie des individus, les prises en charge devraient être précoces (NCCMH, 2004).

- La boulimie et l’hyperphagie boulimique sont deux états psychopathologiques associées à un fort sentiment de honte. Un manque général d’informations sur ces états affecte tant les personnes qui en souffrent que les cliniciens. Ces facteurs, en plus des coûts associés au traitement, de la disponibilité qu’une prise en charge psychothérapeutique exige et du manque de cliniciens formés, peuvent expliquer les difficultés de propagation de la TCC.

- L’Internet est un nouveau média qui offre de nombreux avantages en terme de diffusion.

La recherche d’informations est facile, le contact anonyme, sans contrainte de temps ou de lieu. Vu l’utilisation importante qu’en font les internautes pour trouver des informations sur la santé, un site d’auto-traitement pour la boulimie ou pour l’hyperphagie boulimique y aurait toute sa place.

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Les études que nous avons réalisées dans le cadre de notre travail de thèse avaient pour objectifs de :

- Concrétiser le développement d’un auto-traitement sur Internet pour la boulimie et l’hyperphagie boulimique, qui soit basé sur une thérapie reconnue efficace, à savoir la TCC.

- Valider l’acceptation et l’efficacité de cet auto-traitement sur Internet chez des personnes souffrant de boulimie et d’hyperphagie boulimique, tant au niveau des symptômes et de la sévérité du trouble du comportement alimentaire, que de la psychopathologie associée.

- Déterminer pour quel type de personnes un auto-traitement par Internet est à recommander, quels facteurs prédisent l’adhésion au traitement et les liens entre l’observance des participants et leurs résultats au traitement.

Pour cela, nous avons développé un programme d’auto-traitement de type TCC pour la boulimie en français. Nous avons commencé par proposer un manuel d’auto-traitement en format papier à un groupe de volontaires souffrant de boulimie, qui en ont testé chaque étape et qui nous ont livré leurs commentaires. Ceux-ci étaient très incisifs : le langage utilisé ainsi que le style du manuel, très inspirés des manuels anglo-saxons existants, ne convenaient apparemment pas aux mentalités suisses romandes. Trop abrupt, considéré comme peu empathique et trop éloigné de ce qu’elles vivaient, le texte a été entièrement remanié. Nous avons également ajouté l’exemple d’une jeune fille qui suivait l’auto-traitement, tiré de leurs remarques, afin de permettre une meilleure identification avec le programme des futures participantes. En collaboration avec la société informatique en charge du travail, nous avons ensuite réfléchi à la manière optimale de transférer l’auto-traitement sur le Web et de conceptualiser les exercices. Suite à cela, le programme a été traduit en allemand, suédois et espagnol. En 2005, une seconde version du programme a été adaptée pour l’hyperphagie boulimique au prix d’une année de travail supplémentaire. Ces programmes ont été conçus pour être utilisés avec la guidance régulière par e-mails d’un psychologue. Ceux-ci ne devaient pas faire de psychothérapie par e-mails, mais encourager, répondre aux questions et s’assurer que les exercices et la théorie étaient bien compris.

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À cause de la vulnérabilité de la population qui composait nos échantillons, le protocole utilisé dans les recherches était traditionnel, c’est-à-dire que nous rencontrions les participants et connaissions leurs noms et coordonnées. Les personnes intéressées pouvaient nous contacter de manière anonyme, mais ensuite nous leur demandions de nous rencontrer pour plusieurs évaluations en face à face. Ceci nous a permis d’abord de nous assurer du diagnostic des participants et des critères d’inclusion et d’exclusion à la recherche, de leur faire signer un consentement écrit attestant leur compréhension du protocole et de n’inclure que des personnes qui résidaient à proximité des lieux où se déroulaient les études. Des personnes souffrant de trouble du comportement alimentaire sans remplir les critères diagnostiques stricts ont été incluses dans l’étude, puisqu’il a été montré qu’elles nécessitaient une intervention de la même manière.

Ces recherches ont été réalisées en collaboration avec la société informatique, NetUnion, localisée à Lausanne. Le développement du site pour la boulimie, ainsi que les études qui ont permis son évaluation, ont été réalisés dans le cadre du projet européen SALUT, financé par l’Europe et par l’OFES (Office Fédéral de l’Education et de la Science) pour la Suisse (Salut-Project, IST 2000-25026). Le développement de l’adaptation du site pour l’hyperphagie boulimique, ainsi que les études d’efficacité, ont été soutenus financièrement par la fondation Wilsdorf, et partiellement par le projet européen Marie-Curie INTACT (Individually tailored stepped care for women with eating disorders [INTACT], MRTN-CT-2006-035988).

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B. P ARTIE EXPÉRIMENTALE