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Acceptation d’un programme d’auto-traitement par Internet

II. D ISCUSSION DES RÉSULTATS

1. Acceptation d’un programme d’auto-traitement par Internet

I

NTERNET

De manière générale, nous n’avons pas rencontré de problème de recrutement. Un nombre important de personnes se sont montrées intéressées à essayer un programme d’auto-traitement pour les troubles du comportement alimentaire sur Internet. Des doutes sur l’acceptation d’un tel type de traitement étaient bien présents lors du lancement de la première étude en Suisse. Sans compter que notre pays, et particulièrement Genève, présente un nombre élevé de médecins psychiatres installés, et qu’il est possible d’aller les consulter librement, sans être référé, comme c’est la procédure dans d’autres pays. Le succès qu’a rencontré le recrutement met en évidence le manque de soins spécialisés pour les troubles du comportement alimentaire. Le même phénomène a été constaté lors du recrutement dans les autres sites européens. De plus, dans ces pays, il s’explique aussi par les distances importantes, fréquentes, entre les lieux de soins et les personnes : un traitement par Internet représentait donc un grand avantage.

Pour les études sur l’hyperphagie boulimique, nous avons également utilisé Internet pour procéder au recrutement, ce qui s’est révélé très profitable, 40% des participants issus de la population générale ayant trouvé l’étude par ce biais. Une partie de ces personnes nous ont

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expliqué qu’elles cherchaient des informations sur leur problématique alimentaire sans forcément connaître le diagnostic d’"hyperphagie boulimique", et que de constater qu’elles n’étaient pas seules dans leur situation, qu’elles souffraient d’une problématique qui avait un nom et qu’il existait un traitement pour elles, les a rassurées. Cela confirme le manque de connaissance, dans la population, sur l’hyperphagie boulimique. Internet est un moyen de trouver des informations sur sa santé de manière anonyme, à toute heure et depuis son domicile. Il est important que des informations de qualité y figurent, en contrepartie des sites variés qui y fleurissent et qui permettent parfois la diffusion de comportements malsains (par exemple les sites pro-anorexie).

Seuls 14% des personnes souffrant d’hyperphagie boulimique que nous avons suivies avaient reçu un traitement pour un trouble du comportement alimentaire auparavant. Pourtant ces personnes rapportaient que le début de leurs problèmes alimentaires datait d’environ 25 ans en moyenne (résultat non publié). Le manque de connaissances de la population en est une raison, mais ce résultat laisse également supposer une absence de dépistage de la part des médecins généralistes, ainsi qu’une pénurie, ou un manque de visibilité, de lieux de soins appropriés.

Les premières études sur l’auto-traitement par Internet ciblaient la boulimie chez des participantes jeunes adultes et c’est pourquoi le recours à Internet semblait bien adapté. Mais les études sur l’hyperphagie boulimique ont montré que cette technologie était à la portée d’une plus large population, puisque l’âge des participants s’étendait de 20 à 70 ans.

Concernant la facilité d’utilisation et l’utilité du programme, la satisfaction des participantes était bonne. L’utilité des e-mails hebdomadaires était soulignée à de nombreuses reprises dans les commentaires. Cependant, une différence a émergé quant aux comptes-rendus hebdomadaires, considérés utiles par les personnes boulimiques et plutôt peu utilisés par les hyperphages boulimiques (constat rapporté de l’étude 3, également identifié dans l’étude 4). Cette différence importante nous a amenés à nous interroger sur le format du programme proposé. En effet, nous avions ajouté plusieurs graphiques au compte-rendu dans le programme pour l’hyperphagie boulimique, dont le carnet alimentaire était plus complexe.

La simplicité pouvait avoir primé la complexité et permis une meilleure utilisation par les personnes boulimiques.

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Cependant, nous avons aussi recueilli des éléments laissant penser à un fonctionnement psychologique différent dans ces deux populations. Plus spécifiquement, les personnes boulimiques semblaient utiliser le compte-rendu du carnet alimentaire comme élément motivateur ("bien faire" était cité comme un élément renforçant pour elles), alors que les personnes hyperphages boulimiques disaient utiliser le carnet alimentaire comme cadre pour structurer leur alimentation, mais ne s’intéressaient pas à l’évolution de leurs symptômes. Il est difficile de dire pourquoi il en était ainsi : les personnes hyperphages boulimiques auraient-elles une plus mauvaise estime de soi et d’emblée l’impression qu’elles ne peuvent pas faire de progrès ou sont-elles dans le déni des difficultés passées dès qu’elles remettent un cadre à leur alimentation ? Cette manière de ne pas regarder en arrière pourrait expliquer la difficulté qu’il y a à évaluer la fréquence des symptômes dans l’hyperphagie boulimique ainsi qu’à dater le début du trouble.

Enfin, on peut également faire l’hypothèse que la fréquence des crises de boulimie étant généralement plus basse dans l’hyperphagie boulimique, les graphiques en relatant l’évolution étaient moins frappants même quand le trouble s’améliorait, et donc moins intéressants ou moins stimulants, et en conséquence vite abandonnés. Néanmoins de nombreuses autres données étaient représentées dans le compte-rendu, comme l’évolution de l’activité physique ou la fréquence des déclencheurs des crises, qui auraient pu encourager les personnes ou les aider à progresser.

On ne connaît pas les facteurs qui amènent les personnes à choisir un auto-traitement par Internet. Nous avions demandé aux participantes des études de répondre à un questionnaire à choix multiple sur leurs motivations à entreprendre un tel traitement. La première raison mentionnée par les personnes boulimiques pour participer était qu’elles

"aimaient l’idée de se traiter par elles-mêmes", et ensuite qu’elles n’avaient pas le temps de venir chaque semaine à une séance de psychothérapie. Les réponses des personnes hyperphages boulimiques différaient quelque peu : une majorité d’entre elles cherchait un traitement pour leur comportement alimentaire sans savoir où s’adresser, une grande partie avait déjà fait des régimes sans que cela ne change rien et en troisième lieu, les participantes aimaient l’idée de se soigner par elles-mêmes. Elles mettaient également en avant le désir de débuter un traitement rapidement, sans liste d’attente.

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Un article a récemment été publié sur la perception d’un traitement sur Internet, portant sur l’interview de 11 participants présentant une boulimie (Pretorius, Rowlands, Ringwood, & Schmidt, 2010). Les résultats de ces entretiens montrent que les participants appréciaient le programme sur Internet pour sa flexibilité d’accès. Il en était de même pour nos participantes, et leurs heures de connections, le soir ou le week-end, signalent qu’elles ont bien exploité cet avantage. Quand les participants boulimiques de l’étude de Pretorius et al.

(2010) décrivaient leurs expériences passées, ils évaluaient insuffisants les thérapies en face à face, le soutien de leurs amis ou de leur famille ainsi que la compréhension des personnes auxquelles ils se confiaient. Ces barrières les limitaient dans la recherche d’aide et c’est pourquoi ils avaient préféré l’anonymat d’un traitement sur Internet. La tentative qu’ils faisaient avec l’auto-traitement sur Internet permettait de les réconcilier avec un traitement psychologique et représentait un tremplin pour une prise en charge qui, si cela s’avérait nécessaire, pouvait se poursuivre sur un autre mode. C’est également ce que nous avons constaté dans nos études. Une partie des personnes boulimiques ou hyperphages boulimiques ont désiré poursuivre une psychothérapie après l’étude. L’expérience qu’elles avaient eue avec l’auto-traitement sur Internet avait permis de "dédiaboliser" une prise en charge psychologique.