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2. Cadrage théorique retenu pour penser la subjectivation en formation

2.4 Implications cognitives et comportementales du PSF

L’implication cognitive et comportementale du PSF est étroitement reliée à la mobilisation affective en formation et son élaboration. Les problématiques qui se posent et qui demandent à être travaillées psychiquement sont non seulement d’ordre affectif et identitaire, mais également cognitif, cela ayant ensuite des répercussions au niveau comportemental. En effet, la formation en clinique a pour but de permettre aux apprenants

37 d’accéder à une pensée problématisée, les rendant capable de se former des représentations personnelles d’une situation clinique, afin d’être en mesure de la prendre en charge en première personne par la suite. Cela implique aussi des gestes professionnels. Ainsi,

« l’apprentissage professionnel accompagné apparaît comme une voie de développement et d’évolution des acteurs faisant l’expérience d’épreuves de passages qui modifient leurs manières de voir, parler, penser et agir et interagir avec la présence d’un tiers favorisant la co-analyse et la co-interprétation de cette même expérience » (Merhan, 2017, p. 34). Il s’agira d’ailleurs moins pour le sujet en formation d’intérioriser un système figé de prescriptions que d’apprendre à mobiliser adéquatement les ressources qui lui permettent de conduire réflexivement une activité.

Au niveau cognitif

Quelles sont les conditions qui permettent aux sujets en formation de passer d’une modalité de penser la clinique descriptive, concrète, voir adhésive, aux visions proposées par les autres, notamment celles du superviseur, pour s’approprier une pensée propre et davantage différenciée de celle d’autrui ? Au niveau cognitif, les connaissances des apprenants sont mises à l’épreuve de la réalité. Cela les confronte à de nombreux conflits cognitifs, ce qui est particulièrement saillant lorsque ceux-ci font face à une pluralité de modèles. Nous avons évoqué plus haut un certain nombre de facteurs centraux pour l’apprenant, tels que le fait d’agir ses apprentissages par soi-même, d’établir des liens entre ses éprouvés affectifs, cognitifs et corporels afin d’ajuster son action en conséquence. Cela correspond à la vision de Dewey, pour qui la réflexivité a pour objet l’action propre du sujet, en interaction dans son environnement et engagé dans une activité dont il fait l’expérience. En élargissant cette vision, plus tard, un autre auteur, Schön, soutient que la réflexion se produit dans l’action, qu’elle est le plus souvent non-consciente et permet l’ajustement en continu de l’action aux circonstances, dans une circularité en boucle courte. Pour lui, la réflexivité a pour objet tous les modes d’apprentissage (les données de l’observation, de la transmission verbale ou de l’action propre). La réflexivité s’appuie ici sur la description explicite de l’objet (données de l’observation, de l’auto-observation de l’action, du discours adressé, etc.). A travers ce processus, le sujet sélectionne et met en ordre ces données dans un récit de l’information afin d’en faire une opération de construction de sens et d’interprétation, par son analyse. Cela se passe le plus souvent en situation d’interaction sociale, dans une co-construction langagière, dans un espace-temps plus ou moins distancié du vif de l’action, en vue d’agir dans la situation, en perspective. (Bourgeois, sous presse)

Dans cette optique, plus récemment, Kahneman, illustre les facultés de la pensée dite

« rapide » (fast thinking), le rôle des émotions dans nos choix et nos jugements, mais aussi les défauts de la pensée intuitive et les risques des partis pris cognitifs, à travers sa proposition de deux systèmes qui régissent la pensée (Kahneman, 2012). Ce qu'il appelle le "système 1" est un mode de fonctionnement intuitif et émotionnel que le sujet mobilise pour sélectionner de façon rapide et non consciente une compréhension cognitive du monde. C’est un système économique en termes d’énergie cognitive. Le "système 2" fait appel lui à l’attention. Plus

38 lent, réfléchi, conscient et logique, il va se mettre en mouvement lorsque le système 1 n’est plus satisfaisant pour le sujet. Celui-ci va alors se mettre activement à la recherche de l’information manquante de façon plus systématique et créer des inférences : c’est dans ce système 2 que se situerait la réflexivité. Cette théorisation nous montre bien que pour se subjectiver il faut aussi pouvoir sortir des automatismes de pensée pour aller plus loin, questionner nos évidences afin de mettre de la lumière sur nos tâches aveugles et les limites de notre esprit. Et si par moments nous pouvons nous appuyer sur notre intuition, il vaut parfois mieux prendre le temps d'une réflexion plus approfondie pour faire nos choix. On pressent ici l’intérêt d’un prolongement pour comprendre les transformations de la pensée en formation.

Les travaux sur le conflit sociocognitif ont mis en évidence qu’en contexte de formation, le désaccord qui s’inscrit dans une interaction sociale pouvait être un puissant outil d’apprentissage (Doise & Mugny, 1997). Le conflit sociocognitif peut être inter ou intra-individuel, par exemple dans une discussion de groupe ou dans un dialogue face à face. Les interactions sociales ont principalement trois effets positifs (Carugati & Mugny, 1987). Tout d’abord, elles favorisent la décentration de l’individu par rapport à son point de vue. Ensuite, elles fournissent davantage d’informations facilitant la régulation des conflits sociocognitifs.

Enfin, elles ajoutent un enjeu social qui facilite la régulation des conflits sociocognitifs. On pourrait même ajouter qu’elles peuvent fournir un soutien social à l’individu, ce qui favorise sa motivation. Notons cependant que le conflit sociocognitif peut être régulé de deux manières différentes et que pour qu’il soit authentiquement efficace et transformateur il faut qu’un certain nombre de conditions soient réunies dans sa régulation (Darnon, Butera &

Mugny, 2008). L’attention doit être notamment portée sur l’asymétrie de la relation entre les partenaires, en termes d’inégalité de statut social (ex. âge, sexe, statut institutionnel) et de degré objectif de maîtrise des compétences. On comprendra facilement que ces deux aspects peuvent coïncider, dans le cas de superviseurs expérimentés par exemple. La régulation dite relationnelle se focalise sur la préservation de la relation, au détriment de la régulation cognitive du conflit. Si elle est centrée sur la menace résultant de la comparaison sociale des compétences entre soi et autrui, elle peut alors prendre la forme d’une complaisance, ou d’une juxtaposition de la pensée. Par contre, la régulation appelée « épistémique » se centre sur la tâche, le problème à comprendre, d’où l’importance d’introduire des facteurs modérant les effets de l’asymétrie relationnelle en formation. Cela peut être la présence d’un tiers

« dominant », l’institution par exemple, ou encore faire un travail autour de la représentation de la relation sociale qui varie en fonction de la personne et du contexte. Cela peut également découler de l’interaction entre les pairs. Le groupe contribue en effet positivement au niveau cognitif. Le fait d’avoir des buts communs et interdépendants favorise la collaboration et aide à vaincre les résistances individuelles au changement, ce qui est à la base du contrat formatif.

Tous les acteurs sont porteurs de savoirs et de lacunes et le changement naît aussi de leur rencontre, qui leur permet de se compléter, mais cela implique notamment de pouvoir tolérer l’expérience du conflit.

En parallèle, dans son lien au superviseur, l’apprenant doit aussi trouver le juste degré de soutien, ce que nous avons vu au niveau affectif. Évoquons-le maintenant au niveau

39 cognitif, en nous penchant sur les médiations professionnelles possibles, cette interface qui ouvre la voie à l’activité de l’apprenant tout en l’accompagnant de près et le rôle de l’étayage au sens de Bruner (1983). Celui-ci est central afin d’accompagner l’apprenant vers une autonomisation, vers la capacité de faire seul et de créer quelque chose de personnel. Le concept d’étayage est lié au concept de zone proximale de développement, qui «est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres enfants plus avancés» (Vygosky, 1985). Si nous transposons cela ainsi que les fonctions de l’étayage telles que proposées par Bruner en formation d’adulte, nous voyons comment le formateur doit accompagner la participation de l’apprenant qui s’enrôle dans sa tâche. Celui-ci va initialement observer avec une marge de liberté réduite avant de se lancer dans l’activité. Ensuite, à travers une co-évaluation entre l’apprenant et le formateur, il va orienter son action. Puis, il va s’agir de priver peu à peu l’apprenant des aides dont il disposait pour lui permettre de réaliser la tâche seul, selon le principe de désétayage (fading out). Cela implique de partir du niveau où se trouve l’apprenant, d’évaluer si les tensions qu’il vit sont supportables ou provoquent une sidération excessive de la pensée. En effet, les étudiants ont, certes, besoin de feedbacks significatifs mais aussi de moments de plus grande liberté. Le superviseur s’éclipse au moment où il lui est possible d’attribuer une nouvelle marge de manœuvre à l’étudiant, selon le fading. Ces pratiques d’accompagnement permettent non seulement une plus grande appropriation par les remaniements représentatifs qu’elle engendre, permettant au sujet en formation de devenir davantage l’auteur de ses pensées mais aussi de développer une plus grande réflexivité.

Au niveau comportemental

Le travail qui se fait au niveau affectif, identitaire et cognitif joue un rôle dans la participation concrète de l’apprenant à sa formation au niveau comportemental. Nous l’avons vu, celui-ci doit se situer dans une communauté de pratique dont il découvre le mode de fonctionnement en interagissant ici avec une équipe. Comment prendre sa place, comment prendre la parole ou formuler ses demandes ? Nous avons évoqué un certain nombre de pratiques et d’étayages qui permettent à l’apprenant d’effectuer cette transition. A côté de cela, le courant du workplace learning (Billett, 2001 ; Filliettaz & Billett, 2015) identifie des facteurs qui conditionnent la participation des apprenants à leur contexte de formation par la pratique. D’un côté, l’affordance du contexte est en lien avec les opportunités de participer à l’environnement de travail, de l’autre, l’engagement du sujet relève d’une dimension personnelle. Bourgeois (1997) propose de lier cette perspective avec une conception de l’engagement comme comportement mis en œuvre pour réaliser une tâche professionnelle présentant trois dimensions : physique, cognitive et affective.

À une plus grande affirmation de soi au niveau identitaire et cognitif correspond une assertivité au niveau comportemental. La conceptualisation d’agentivité proposée par Bandura dans sa théorie socio-cognitive nous aide à penser cette dimension de réalisation

40 comportementale. Le terme « agentivité » indique le fait d’exercer une influence personnelle sur son fonctionnement et sur son environnement. L’agentivité, qui opère par le biais du sentiment d’efficacité personnelle, est donc la réalisation de la capacité humaine à influer intentionnellement ses actions et le cours de sa vie (Bandura, 2001). C’est donc en dernière instance l’un des buts vers lesquels tendent la situation de formation et les étudiants : non seulement d’acquérir des nouveaux savoir faire et savoir être mais aussi d’aller vers une prise d’indépendance, d’initiative et de responsabilité.

Pour résumer :

La finalité d’une démarche professionnelle ne se limite pas à faire apprendre au sujet qui se forme à la clinique, mais aussi à ce qu’il puisse faire quelque chose de personnel de ce qu’il apprend. Le formateur crée les conditions pour que cela advienne, et doit rester vigilant aux risques encourus par la relation formative, principalement celui de forger un apprenant à son image. Nous avons considéré que la question de la subjectivation se déployait sur fond de socialisation et qu’elle pouvait être abordée par différents angles d’analyse. Celui que nous retenons relève de notre approche psychanalytique. En partant du principe que le développement se déploie tout au long de la vie, nous avons émis le postulat que la formation par la pratique en psychologie constitue une nouvelle occasion de subjectivation chez le sujet en formation, par le travail psychique qu’elle (re)mobilise. C’est pourquoi nous questionnons tout d’abord en quoi consiste ce processus de subjectivation en formation (PSF), pour ensuite nous pencher sur les conditions spécifiques au dispositif de formation qui peuvent l’entraver ou le favoriser. Pour ce faire, nous avons envisagé que différentes composantes relationnelles de la formation entrent en jeu dans le PSF. Tout d’abord, le lien de supervision serait un lieu de confrontation significatif où se mettent en jeu des processus identificatoires et identitaires emboîtés. En parallèle, le groupe représenterait quant à lui un lieu d’échanges intersubjectifs, transformateurs et, si accompagnés, subjectivants. Ces liens formatifs se greffent à l’activité clinique, première possibilité d’expérimentation personnelle et relation centrale, où l’étudiant, tout en accompagnant le devenir-sujet de l’enfant ou du jeune suivi, vivrait dans un isomorphisme l’avancement dans son propre PSF. Ces différents liens formatifs sont donc autant d’occasions de mobilisation de l’affect et d’articulation entre la théorie et la pratique.

Dans ce cadre, le contexte institutionnel serait garant d’un sentiment de sécurité psychologique où le PSF pourrait se déployer.

Pour finir, nous avons retenu un cadre théorique à la croisée entre la psychanalyse et les sciences de l’éducation pour penser les grands jalons de cette première exploration du PSF, avant de les mettre à l’épreuve de l’empirie. Les théorisations psychanalytiques autour du développement, du groupe en formation et des dynamiques qui se déploient dans la relation clinique et thérapeutique nous ouvrent à une compréhension de l’expérience intersubjective affective vécue en formation avec les différents acteurs. La conceptualisation de « fonction contenante » (Anzieu, 1985) nous permet, entre autres choses, de comprendre la nouvelle régulation affective qui permet de construire du sens sur l’ensemble des expériences

41 formatives vécues. Les dynamiques de construction identitaire qui se déploient dans le contexte d’alternance sont explorées à l’aide des développements théoriques de la formation d’adulte. Enfin, un dernier éclairage théorique relevant du courant sociocognitif illustre quelques implications du PSF au niveau cognitif et comportemental (Bourgeois, 2013;

Schön,1983 : Bandura, 2001).

En conclusion de cette première partie, reprenons notre questionnement initial à la lumière de ces éclairages.

Tout d’abord, nous souhaitions caractériser le processus de subjectivation en formation. Dans la suite de notre recherche, non seulement nous essayerons de le décrire finement, sur le terrain, afin de le caractériser, voire d’en proposer une opérationnalisation possible, mais nous repérerons également comment se joue l’intrication entre la mobilisation affective en formation et son élaboration cognitive, véritable pivot dans la transformation du sujet. À ce stade, nous nous questionnons ultérieurement sur la façon dont les différentes dimensions constitutives du PSF, telles que nous les avons distinguées, s’articulent entre elles.

C’est pourquoi nous essayerons de préciser les liens entre les différents niveaux à l’œuvre que nous avons cernés : l’axe affectif, identitaire, cognitif et comportemental.

En deuxième lieu, nous nous questionnerons sur les conditions formatives qui favoriseraient ou entraveraient ce PSF, au niveau de la relation au superviseur, au groupe en formation et clinique. En nous questionnant sur ces conditions formatives, nous essayerons de mieux saisir la façon complexe dont elles sont liées entre elles et s’influencent mutuellement, notamment par les tensions qu’elles créent dans la formation des étudiants.

42 3. Présentation du cadre méthodologique de la recherche