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Implications évolutives des IASC

1.2 Les conflits sexuels intralocus

1.2.3 Implications évolutives des IASC

Évolution des chromosomes sexuels

Chez les mammifères, les chromosomes sexuels ont divergé depuis une paire autoso- male il y a 300 millions d’années grâce à la spécialisation d’un gène pour la détermination du sexe mâle, SRY, sur le chromosome Y (Ohno 1967 ; Graves et Shetty 2001). L’évolution d’un autre système de détermination du sexe, le système ZW, a eut lieu indépendamment et est trouvé notamment chez les oiseaux, des reptiles et les papillons. Dans ce système la femelle est le sexe hétérogamétique (ZW) tandis que le mâle est le sexe homogamé- tique (ZZ), ce qui entraîne des différences majeures avec le système XY pour l’évolution des dimorphismes sexuels (voir ci-dessous). Une accumulation d’allèles sexuellement an- tagonistes sur le chromosome Y (respectivement W) serait à l’origine de la suppression progressive de la recombinaison entre le X et le Y (respectivement Z et W). En effet, une liaison au locus déterminant le sexe favoriserait l’accumulation d’allèles sexuellement antagonistes favorables au sexe hétérogamétique (Fisher 1958 ; Charlesworth et Charles- worth 1980). Une suppression de la recombinaison entre ces locus et le locus déterminant le sexe est ainsi avantageuse (Bull 1983 ; Rice 1987). L’accumulation de locus sous sé- lection SA serait donc à l’origine de l’élargissement de la zone non recombinante des chromosomes sexuels. Les régions recombinantes des chromosomes sexuels sont appelées les régions pseudo-autosomales (Pseudo-autosomal regions, PAR), et sont situées aux ex- trémités des chromosomes sexuels. Des PAR sont observées chez de nombreuses espèces, et ont différentes tailles selon les espèces (Otto et al. 2011). Leur maintien s’explique par la nécessité de l’appariement des deux chromosomes sexuels pendant la méiose, afin que la ségrégation se déroule ensuite normalement. Chez l’Homme, il existe deux PAR qui sont situées aux deux extrémités des chromosomes X et Y, et qui constituent de petites régions d’environ 2,7 Mb et 0,33 Mb chacune (d’après les coordonnées hg19). La struc- ture des chromosomes sexuels humains est représentée en figure 1.5. Tandis que PAR1 est partagée par la majorité des euthériens, seul l’Homme possède PAR2 (Graves 2006). L’accumulation de locus SA sur les chromosomes sexuels est aussi à l’origine d’une spécialisation fonctionnelle des chromosomes sexuels. Pour les espèces XY, on s’attend en effet à ce que le chromosome Y accumule des allèles avantageux pour les mâles et désavantageux pour les femelles, et que le chromosome X accumule des allèles dominants avantageux pour les femelles mais désavantageux pour les mâles, ainsi que des allèles ré- cessifs avantageux pour les mâles mais désavantageux pour les femelles (Rice 1984) (voir plus de détails section 2.1.1). Ceci expliquerait pourquoi les chromosomes sexuels sont en- richis en fonctions impliquées dans la reproduction. En effet, chez l’Homme, les quelques gènes spécifiques au chromosome Y sont en majorité impliqués dans la spermatogénèse

Figure 1.5 – Structure des chromosomes sexuels chez l’Homme. PAR1 et PAR2

correspondent aux régions pseudo-autosomales. La région XCR (X Conserved Region) est homologue chez tous les mammifères. La régions XAR (X Added Region) est homologue à une région autosomale chez les les marsupiaux et les monotrèmes, et a été ajouté par translocation depuis un autosome avant la radiation des euthériens. Les régions d’homo- logie entre le chromosome X et le chromosome Y sont indiquées par les mêmes couleurs. La région XTR (X transposed Region) est le résultat d’une récente transposition d’une région du chromosome X vers le chromosome Y. Tiré de Ross et al. (2005).

(Lahn et al. 2001), tandis que le chromosome X est enrichi en gènes impliqués dans la reproduction et les fonctions cérébrales (Ross et al. 2005). Une hypothèse formulée par Graves (2006) propose que l’enrichissement du chromosome X en gènes impliqués dans les fonctions cérébrales soit le résultat d’un processus de sélection sexuelle, en l’occurrence le choix d’hommes intelligents par les femmes.

Évolution du déterminisme du sexe

La sélection sexuellement antagoniste joue aussi un rôle dans les transitions entre mécanismes de détermination du sexe. Une transition depuis une détermination environ- nementale du sexe (ESD) vers une détermination génétique du sexe (GSD) peut être favorisée par l’action de la sélection sexuellement antagoniste. En effet, les modèles théo-

riques prédisent qu’un allèle déterminant le sexe augmente en fréquence dans la popula- tion s’il est lié à un gène ayant un effet bénéfique chez le sexe que ce locus détermine. Les transitions entre ESD et GSD, ou entre deux systèmes GSD différents, sont répandus dans plusieurs genres (voir van Doorn 2009 pour une revue).

Évolution des dimorphismes sexuels en réponse au choix du conjoint

L’évolution de traits impliqués dans la sélection sexuelle, les ornements ou armements, implique souvent l’émergence d’IASC. En effet, ces traits sont coûteux à produire et n’apportent pas de bénéfice direct chez les femelles, ce qui les rend désavantageux, tandis qu’ils apportent un bénéfice au niveau de l’accès à la reproduction chez les mâles.

Selon l’hypothèse de Rice (1984), le chromosome X est enrichi en locus sous sélection sexuellement antagoniste. Or, les femelles transmettent leurs chromosomes X à leurs fils et à leurs filles, tandis que les mâles ne transmettent leur chromosome X qu’à leurs filles. Cela signifie qu’un chromosome X entrainant une fitness élevée pour les mâles ne sera pas transmis de père en fils. Si l’on considère que les locus sexuellement antagonistes sont plus souvent localisés sur le chromosome X, cela a une influence considérable sur la sélection sexuelle, notamment sur le choix du conjoint effectué par la femelle (Albert et Otto 2005). En effet, une femelle choisissant un mâle avec une fitness élevée, présentant ainsi des allèles avantageux pour les mâles mais désavantageux pour les femelles préférentiellement localisés sur le chromosome X, va désavantager ses filles sans que ses fils ne reçoivent les bénéfices associés au chromosome X de leur père.

Chez les oiseaux et autres animaux possédant un système de chromosome sexuel ZW, le mâle est le sexe homogamétique et transmet donc ses chromosomes Z à ses fils et à ses filles. Le processus de sélection sexuelle est facilité dans cette situation. En effet, il a été montré que les préférences des femelles mènent plus facilement à une accumulation de traits sexuellement antagonistes avantageux pour les mâles dans les systèmes ZW en comparaison aux systèmes XY (Albert et Otto 2005). Cela pourrait expliquer pourquoi, chez les oiseaux, le degré de dimorphisme sexuel est plus important que chez des espèces XY, notamment lorsque l’on considère les dimorphismes sexuels d’apparat (quantifié par Reeve et Pfennig 2003). Au contraire, dans les systèmes XY, cela pourrait mener à une évolution des préférences des femelles pour des mâles avec des fitness basses (Albert et Otto 2005). La présence d’IASC peut apporter des explications au maintien de la diversité génétique dans le cas d’un choix des femelles pour des mâles avec un certain phénotype, processus qui devrait mener à une fixation de ce phénotype dans la population si cette préférence est maintenue de générations en générations (« the lek paradox ») (Taylor et Williams 1982 ; Kirkpatrick et Ryan 1991).

Spéciation

Les IASC pourraient aussi être impliqués dans des processus de spéciation. Les pro- cessus évolutifs opérant dans les cas de sélection sexuellement antagoniste étant très dynamiques, des différences de pressions de sélection entre populations pourraient émer- ger et mener à une évolution de traits sexuellement dimorphiques différents. De plus, on s’attend à ce que les mécanismes de résolution de ces conflits soient perturbés chez les hy- brides, menant à une isolement reproducteur post-zygotique (Parker et Partridge 1998 ; Rice et Chippindale 2002). Enfin, une interaction entre IASC et IRSC (voir encadré 1.1), menant à une course à l’armement entre les sexes et donc à une co-évolution rapide des caractères sexuels secondaires entre mâles et femelles, pourrait mener à un évènement de spéciation entre deux populations isolées.

1.3

Détection de sélection sexuellement antagoniste