Partie 2 : SHP2, une tyrosine phosphatase aux multiples facettes
III. Implication de SHP2 dans le développement
Il est connu depuis de nombreuses années que SHP2 a un rôle indispensable dans la prolifération, sa perte de fonction ayant un impact majeur dans de multiples lignées cellulaires. En cons équence, que ce soit chez la drosophile, chez Caenorhabditis elegans ou chez le Xénope, SHP2 est requise pour le développement de l’organisme (Perkins et al., 1992;
Tang et al., 1995; Gutch et al., 1998). Comme nous allons le voir, le rôle clé de SHP2 dans le développement est aussi présent chez la souris.
1. Invalidation totale
À la fin des années 90, une première souris délétée de l’exon 3 codant pour le domaine N‐
terminal de SHP2 et aboutissant à une forme tronquée de la protéine a été générée (Saxton et al., 1997). Cette délétion a révélé un rôle fondamental de SHP2 en période prénatale, puisque les auteurs ont montré que les souris knock out ne sont pas viables en raison d’une létalité in utero au stade de la gastrulation. Plus tard, une autre construction a été générée dans laquelle les auteurs ont supprimé l’exon 2 de SHP2, induisant une perte quasi totale de l’expression de SHP2, et ont découvert que cette délétion entraine une létalité encore plus précoce que la délétion de l’exon 3 (Yang et al., 2006). Cette létalité est associée à une
apoptose rapide des cellules trophoblastiques et à une incapacité à produire les cellules souches trophoblastiques. À l’appui de cette observation, SHP2 a été montrée comme étant nécessaire dans le processus de différenciation de cellules souches murines mais également humaines. En effet, la délétion de SHP2 dans des lignées murines ou son knockdown par des siARN dans des lignées humaines inhibe la différenciation des cellules souches vers les trois feuillets embryonnaires, expliquant ainsi l’impact de l’invalidation de SHP2 dès les premiers stades de développement (Wu et al., 2009)
Étant donnée l’implication de SHP2 dans le développement, un modèle murin inductible de délétion de SHP2 a été généré (Bauler et al., 2011). Cependant, même à l’âge adulte, l’invalidation systémique de SHP2 induit 90% de létalité huit semaines après l’induction ainsi que de nombreuses atteintes squelettiques et une hématopoïèse altérée.
2. Implication dans l’auto‐renouvèlement
Les cellules souches sont des cellules qui, en se différenciant, donnent plusieurs types cellulaires, mais ont également la capacité de s’auto‐renouveler. SHP2 a été montrée pour avoir un rôle clé dans les processus de différenciation et d’auto‐renouvèlement. En effet, SHP2 est connue pour jouer un rôle important dans l’auto‐renouvèlement et la différenciation des cellules souches embryonnaires (CSEs). Il a été montré que dans des souris déficientes pour SHP2, leur capacité de différenciation était limitée (Saxton and Pawson, 1999). De plus, la délétion de SHP2 dans des CSEs augmente leur capacité d’auto‐renouvèlement en présence de LIF (Leukemia Inhibitory Factor), suggérant un rôle inhibiteur de SHP2 dans l’auto‐
renouvèlement des CSHs (Chan et al., 2006).
L’implication de SHP2 dans l’auto‐renouvèlement et la différenciation se retrouve également au niveau des cellules souches hématopoïétiques (CSHs). En effet, une première étude a démontré qu’une délétion ciblée de 65 acides aminés dans le domaine N‐SH2 de SHP2 altère le développement des progéniteurs érythroïdes et myéloïdes aussi bien dans le foie fœtal que dans la moelle osseuse de souris chimères (Qu et al., 1997; Qu et al., 1998). De plus, il a été montré que des souris avec une haplo insuffisance de SHP2 présentent une diminution de la repopulation des CSHs après irradiation, et que cette diminution est due à un auto‐
renouvèlement réduit (Chan et al., 2006). En outre, la délétion de SHP2 dans les CSHs induit une perte rapide de ces cellules et des progéniteurs immatures de tous les lignages
hématopoïétiques par apoptose (Chan et al., 2011). Ainsi, SHP2 est importante pour l’hématopoïèse avec des rôles dans la différenciation et l’auto‐renouvèlement des CSHs.
SHP2 est également fortement impliquée au niveau des cellules progénitrices neurales (CPNs), Ke et al. montrant que la délétion de SHP2 au niveau des (CPNs) (Nestin‐Cre) altère profondément leur prolifération et leur différenciation résultant en une létalité post‐natale et une corticogénèse altérée (Ke et al., 2007). Les auteurs montrent également que les CPNs requièrent SHP2 pour maintenir leur capacité d’auto‐renouvèlement.
Ainsi l’ensemble de ces données montrent que SHP2 est fortement impliquée dans les processus d’auto‐renouvèlement et de différenciation des cellules souches, même si son effet est différent suivant le type cellulaire concerné (pour revue récente, (Kan et al., 2018)).
3. Implication dans les différents tissus
Étant donnée la létalité du KO total de SHP2, beaucoup de KO tissus spécifiques ont été développés révélant des impacts importants sur le développement de nombreux tissus et organes, incluant les os, le système nerveux, le cœur, les muscles, le sang, les reins, les poumons, les glandes mammaires, les intestins ou encore le tissu adipeux. Ces effets ont souvent été associés avec une hypoactivation de ERK1/2, bien que d’autres altérations ont également été rapportées (Tableau 2).
Tableau 2 : Liste des différents KO tissus spécifiques de SHP2.
Ainsi, les études montrent que SHP2 joue un rôle prépondérant dans la formation osseuse. De plus, nous verrons par la suite que le rôle de SHP2 dans l’homéostasie osseuse est tel que sa dérégulation conduit à des tumeurs cartilagineuses chez l’Homme. Le KO de SHP2 au niveau cardiaque provoque une cardiomyopathie dilatée sévère et sa délétion au niveau de l’intestin induit une sévère colite associée à une infiltration de cellules immunitaires, des niveaux de cytokines augmentés ainsi qu’une diminution de cellules caliciformes (cellules sécrétrices de mucus protégeant la surface de l’épithélium intestinal) conduisant à une importante létalité.
De plus, une étude montre que, via la voie MAPK, SHP2 oriente le choix du devenir des progéniteurs entre cellules de Paneth et cellules caliciformes au profit de ces dernières (Heuberger et al., 2014). Enfin, SHP2 favorise la croissance du muscle squelettique et a un rôle protecteur en permettant la régénération du foie lors de dommages tissulaires. De façon intéressante, malgré sa fonction pro‐proliférative, SHP2 agit au niveau du foie comme un suppresseur de tumeur (Bard‐Chapeau et al., 2011; Luo et al., 2016).