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Chapitre 1 Les déchets marins

III. A. Impacts directs des déchets marins

Les voies d’expositions des organismes marins aux déchets peuvent être externes ou internes. Les déchets peuvent s’accumuler à la surface des organismes, provocant des recouvrements, des étranglements, des obstructions. Ils peuvent aussi s’accumuler à l’intérieur des organismes après ingestion. Gall et Thompson (2015) ont répertorié 292 publications (avant 2015) indiquant des incidents d’ingestion ou d’étranglement entre les débris anthropiques et les organismes marins. Ces incidents concernaient 44 006 individus de 395 espèces. L’étranglement entraînait la mort dans 79%

des cas contre seulement 4% par ingestion. Kühn et al. (2015) ont répertorié l’ingestion de déchets pour toutes les espèces de tortues marines (7 espèces), 25 espèces de baleines sur 80, 22 espèces de phoques sur 33 et 103 espèces d’oiseaux sur 406 examinés. Bien sûr, ces chiffres antérieurs à 2015 ne peuvent qu’augmenter par la suite. Les contacts entre les déchets et les organismes marins ont

16 été observé pour tous les niveaux trophiques et toutes les grandes familles faunistiques : oiseaux, mammifères, poissons et même les invertébrés (vers, amphipodes, moules, huîtres, échinodermes, zooplancton, etc.). Cette pollution est ubiquiste car elle sévie dans toutes les régions océaniques et touche tous les compartiments marins. Les déchets marins peuvent également impacter indirectement les écosystèmes marins en transportant des espèces exotiques ou pathogènes.

III.A.1. Recouvrement et colonisations des déchets marins

Le recouvrement d’un organisme par un déchet peut l’empêcher de capter ou d’échanger de l’énergie ou des composés (nutriments, oxygène, etc.) avec son milieu (Fig. 1.6 A). Ses effets dépendent de la surface en contact et du type d’organismes. Chez un producteur primaire, il peut bloquer la photosynthèse, en le privant de l’énergie lumineuse. Chez un filtreur, il peut empêcher la filtration des particules et donc suspendre la nutrition. Sur le fond des océans, il peut limiter les échanges d’oxygène entre le sédiment et l’eau, rendre le sédiment anoxique et bouleverser ainsi la structure des communautés benthiques. Il peut également perturber les communautés de la colonne d’eau en diminuant la lumière. Le contact physique avec un déchet peut entraîner des dégradations structurelles chez certaines formes encroûtantes complexes et fragiles, comme les éponges, les coraux ou les gorgones, les rendant plus sensibles aux infections.

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Figure 1.6. Conséquences du recouvrement à partir de déchets marins. A) Recouvrement de substrat benthique (Gilman et al., 2016). B) Micro-organismes colonisant un déchet (GESAMP, 2016). C) Moules colonisant un déchet (Sheavly et Register, 2007). D) Encroûtement d’un bryozoaire (Gregory, 2009).

Par ailleurs tous ces impacts peuvent également entraîner des stress, notamment oxydants. Ainsi, le contact du plastique entraîne des nécroses chez certains coraux. Une étude à large échelle (Lamb et al., 2018), sur plusieurs récifs coraliens du pacifique (un au Myanmar, un en Thaïlande, 3 en Indonésie et 3 en Australie), a montré que le risque de maladie était bien supérieur (Fig. 1.7) en présence de plastique (augmentation de 4 à 89%).

Figure 1.7. Impact protentiel du plastique sur trois types de coraux (tubulaire, branchus, massifs). A) Probabilité de contact. B) Probabilité de maladie en absence de plastique. C) Augmentation de la probabilité de maladie en présence de plastique. D) Probabilité de maladie en présence de plastique (Lamb et al., 2018).

18 À l’inverse les débris peuvent être eux-mêmes recouverts et colonisés en servant de substrat (Fig.

1.6 B-D). Au fond des océans, ils peuvent ainsi servir de support à de nombreux organismes filtreurs, tels que les coraux profonds. Ces déchets benthiques pourraient être assimilés à des

« récifs artificiels » et constituer des passerelles facilitant les échanges entre certaines populations.

L’enlèvement de ces déchets-substrat est donc parfois remis en question, comme par exemple certains filets fantômes colonisés et non pêchants qui sont laissés par des structures gestionnaires (exemple : le parc marin du golfe du Lion) car jugés plus bénéfiques que néfastes. De nombreux cas de colonisation ont été retrouvés dans les canyons profonds de la marge catalane (Tubau et al., 2015). Kiessling et al. (2015) reportent que 387 taxa, incluant des micro-organismes (bactéries, protistes et algues), des macro-algues, et des invertébrés, ont été décrits dans 82 publications sur des déchets flottants. Ces organismes peuvent trouver sur les déchets un habitat ou un support pour leurs œufs Goldstein et al. (2012). Ces transports ne diversifient pas les voies de dispersion car les déchets flottants se comportent comme les matériaux naturels, dérivant au gré du vent et des courants. Néanmoins, leurs persistances, leurs ubiquités et leurs quantités offrent plus d’opportunités de dispersion (Lewis et al., 2005). De plus, contrairement à d’autres matrices de dispersion, ils sont présents toute l’année (Kiessling et al., 2015). Barnes (2002) et Lewis et al.

(2005) estiment que les déchets marins peuvent respectivement doubler et tripler les flux de dispersion des organismes marins. Le transport d’espèces envahissantes et pathogènes est la principale menace associée à la colonisation des déchets. Choong et Calder (2013) observèrent plus de 100 espèces exotiques sur un fragment de barges flottantes de 188 tonnes échouée sur la côte Ouest américaine après le tsunami de 2011 au Japon. Masó et al. (2003) décrivirent la présence de dinoflagellés responsables d’efflorescences algales nocives sur des déchets flottants proches des côtes espagnoles et Zettler et al. (2013) reportèrent la présence de pathogènes humains du genre Vibrio sur des déchets flottants dans l’océan Atlantique Nord.

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III.A.2. Étranglement lié aux déchets marins

Les étranglements peuvent entraîner la mort directement par strangulation ou blessure grave, et indirectement par perte de mobilité (Laist, 1997 ; Fig. 1.8 A). L’immobilisme ou la mobilité partielle peut empêcher un individu de se nourrir (Fig. 1.8 B) ou d’éviter ses prédateurs (Fig. 1.8 C).

En mer, les filets fantômes sont une source importante d’étranglement. Au début, leur efficacité est démultipliée car une fois qu’un animal est pris il peut attirer des prédateurs qui peuvent se faire prendre à leur tour (Stevens, 2000 ; Hébert et al., 2001 ; Mason et al., 2016). Ils peuvent continuer à pêcher un à plusieurs mois et jusqu’à un an et demi selon Matsuoka et al. (2005). Leurs colonisations vont progressivement diminuer leurs efficacités en altérant la flottabilité, la taille des mailles et leurs “invisibilités” (Erzini et al., 1997; Humborstad et al., 2003 ; Sancho et al., 2003).

Les pièges de fond peuvent également capturer des crabes, des poulpes, des poissons, est une grande variété d’organismes benthiques qui s’en échappent difficilement. Les effets sont rarement suivis au niveau des populations de la faune marine. Cependant, Knowlton et al. (2012) indiquent sur la base de plus de 600 photos de baleines prises dans le golf du Maine (États-Unis) que plus de 80 % des baleines « droites » et 50 % des baleines « humpback » ont subi un étranglement. Sur les plages, les déchets échoués peuvent gêner les tortues pour pondre ou entraver le retour à la mer de leurs nouveaux-nés. Chez les oiseaux, ils peuvent diminuer leurs mouvements, les empêchant de voler, de se poser ou de pêcher. Certains, les utilisent comme matériaux de construction de leurs nids, amplifiant ainsi l’exposition et donc le risque d’effet délétère.

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Figure 1.8. Types de conséquences desétranglements par les déchets sur les organismes marins. A) Perte de mobilité (Gilman et al., 2016). B) Gène dans l’alimentation (UNEP, 2005). C) Attraction des prédateurs (Gilman et al., 2016).

III.A.3. Ingestion de déchets marins

Malgré le large pourcentage d’animaux en contact avec des débris, leurs ingestions sont rarement la cause principale des décès. Les cas de mortalité sont probablement trop rares pour affecter la pérennité des populations. Néanmoins l’ingestion de déchets peut entraîner des problèmes de santé majeurs et fragiliser l’organisme qui, par exemple, ne pourra plus disposer efficacement de ses capacités immunitaires. L’ingestion peut créer des obstructions partielles et/ou des dommages dans le système digestif (Fig. 1.9). La présence de déchets dans l’estomac peut entraîner des sensations de satiété conduisant à une réduction de la recherche de nourriture et donc, à une mauvaise nutrition (Kühn et al., 2015). L’exposition des organismes aux déchets dans les milieux aquatiques dépend de leurs modes d’alimentation. Les filtreurs absorbent plus de particules par ingestion (nourriture) que les non filtreurs, qui inhalent des très petites particules (< 40 µm) par les branchies (eau) par

21 ventilation ou respiration. Wright et al. (2013) identifient quatre facteurs influençant la disponibilité des particules :

• la taille, qui doit être suffisamment petite pour permettre l’ingestion ou l’inhalation par les branchies,

• la densité, qui définit la flottabilité et donc la dispersion horizontale et verticale des particules,

• l’abondance, qui influence les chances de contact entre les particules et l’organisme,

• et la couleur, qui joue sur l’attractivité des particules selon leurs ressemblances avec des proies ou autres nourritures.

Cette attractivité pourrait aussi être impactée par l’odeur des particules. Savoca et al. (2016) ont montré que le diméthylsulfure (DMS) et le diméthylsulfoniopropionate (DMSP) émis par certains organismes colonisant les plastiques par biofouling facilitaient l’ingestion de ces déchets plastiques par les oiseaux de mer du groupe des Procelariiformes (albatros, pétrels, puffins, océanites, etc.) Une autre étude (Savoca et al., 2017) a également démontré en laboratoire que le biofouling sur les plastiques émettait une odeur induisant un comportement de recherche de nourriture chez les anchois (Engraulis mordax) contrairement aux plastiques sans cette odeur. Néanmoins, ces résultats sont contestés par d’autres chercheurs qui considèrent que d’autres paramètres plus prombant n’ont pas été testé (Dell’Ariccia et al., 2017).

Figure 1.9. Ingestion de déchet par le fulmar Fulmarus glacialis (Kühn et al., 2015).

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III.B.Impacts indirects des déchets plastiques : émission de

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