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ALPHA BÊTA

6.3 Impact de la proposition visuelle dans la dynamique communicationnelle

6.3.1 La dynamique de communication altérée

6.3.1.1 Difficultés communicationnelles linguistiques et culturelles

Tel qu’établi dans la problématique initiale, le travail de triage aux urgences hospitalières gravite autour de la communication et de l’information que le personnel médical est apte à recueillir. Dans le contexte des hôpitaux pédiatriques montréalais, la pluralité des cultures des patients et familles qui s’y présentent représente un enjeu social, communicatif et cause

de nombreux obstacles à la tâche des infirmières. Les difficultés se trouvent principalement dans la communication orale et gestuelle inhérentes aux systèmes symboliques propres aux cultures. Les dynamiques relationnelle et communicationnelle se déroulent donc entre l’infirmière, le patient et le parent ou tuteur. Elles prennent une direction spécifique et des sens particuliers qui sont fortement influencés par le contexte spatial et temporel dans lequel les acteurs baignent. L’étude de cette dynamique rend également compte de la multiplicité d’interprétations possibles sachant que pour un même fait, les réactions et leur compréhension peuvent varier considérablement tout dépendamment de quelle culture provient le regard. Chaque fait « peut être interprété d’une perspective différente, et comme, selon la critique culturaliste, il n’existe rien hors des interprétations, il n’est donc pas possible de recourir à une objectivité des faits pour décider quelle interprétation est adéquate et laquelle ne l’est pas. » (Scavino, 1999 ; 152). Ces données sont surtout qualifiées et quantifiées en durées, car il s’agit là d’un des nombreux points problématiques de l’interaction entre les acteurs à la salle de triage.

Dans un contexte où l’infirmière se retrouve sans aucun support graphique, ni ressources humaines (interprètes) pour communiquer avec le patient, elle fait face à une pluralité d’interprétations. Les nombreuses interprétations requièrent inévitablement des validations respectives. Et plus les validations sont nombreuses, plus le processus de questionnement s’allonge. Précisons qu’il s’agit du même processus communicationnel qui se déroule entre le médecin et le patient. Par conséquent, ce prolongement de temps consacré à l’évaluation empêche le roulement des patients créant un temps d’attente plus long et participant à un engorgement aux urgences. Le patient et sa famille peuvent alors sentir une mécompréhension de la part du personnel médical et l’empreinte thérapeutique en est inévitablement atteinte teintant, alors, le reste des rencontres thérapeutiques (schéma 4).

6.3.1.2 Ajout d’un système expert visuel : ETC imagé

Grâce aux avancées technologiques, l’homme est actuellement équipé d’outils lui permettant de faire face à de multiples problématiques de manière plus rapide et parfois même plus efficiente. Le système expert est un excellent exemple d’outil d’aide à la décision. Il s’agit d’un logiciel informatisé apte à reproduire des mécanismes cognitifs d’une expertise disciplinaire précise. Ce programme, pouvant être considéré comme une voie à l’intelligence artificielle, offre la possibilité à l’utilisateur de poser des questions et de recevoir une réponse solide qui suit une logique arborescente particulière et repose sur des faits antérieurement prouvés. La création des systèmes experts permet à un individu de recevoir des pistes de solution à une question qu’il se pose. Sans pour autant s’y fier aveuglement, il peut retirer des informations viables à considérer dans sa décision finale.

6.3.1.2.1 Fonctionnement de la charte graphique informatisée

Dans le cas de cette recherche, le système expert représente une base de données graphiques proposant un support visuel aux patients et à leurs familles pour s’exprimer et au personnel médical pour retirer des informations. Lingvô est un langage médical qui contourne des barrières linguistiques que nous retrouvons dans une société pluriculturelle telle qu’à Montréal. Cette charte graphique des principaux symptômes ressentis par les patients permet à tous les individus de communiquer quelles que soient leur origine, leur statut socio-économique et leur langue. Il s’agit d’une interface dynamique de classement dont la hiérarchie arborescente est réalisée selon la suite des questions posées par le personnel soignant. Ces données suivent la logique de l’échelle de triage présentement implantée dans les soins de santé des urgences. Les images sont classées dans un premier temps en fonction de la zone corporelle atteinte. Puis, suit l’ordre des questions posées régulièrement par l’infirmière qui évalue la situation d’après les symptômes ressentis et les symptômes accompagnateurs, la durée et la fréquence des maux ainsi que la médication prise par le patient. Par conséquent, chaque symptôme propose une échelle de douleur. De

plus, les symptômes des pathologies se situent rarement dans une seule partie du corps, c’est pourquoi chaque symptôme expose également des possibilités différentes de symptômes connexes. Par exemple, si le choix s’arrête sur le pictogramme illustrant la nausée, cela signifie que l’enfant a sélectionné, premièrement, le ventre sur l’image du corps humain, puis le pictogramme évacuant une substance gastro-intestinale par la bouche dans la pluralité des choix qui s’offraient à lui. Lorsque ce dernier est sélectionné, alors le programme lui propose d’autres pictogrammes imageant la diarrhée, l’étourdissement, la déshydratation et tous ceux qui peuvent représenter des symptômes menant à une gastro- entérite. Dans ce processus, l’infirmière est présente et guide le patient ou le parent sur des pictogrammes possibles pouvant également influer sur le diagnostic final. Le programme ne suggère pas un diagnostic ou un classement final, mais aide l’infirmière à faire son évaluation.

6.3.1.2.2 Apport du système expert dans la communication au poste de triage

Dans les hypothèses actuelles, l’ajout d’un système expert dans une dynamique interpersonnelle présentant des difficultés communicationnelles sert de support aux acteurs en leur proposant des pistes pour améliorer la communication entre eux (voir schéma 5). Cet outil répond, grâce à sa banque de données et à sa programmation, aux questions qui lui sont posées tout en offrant des possibilités d’exprimer des pensées ou préoccupations concernant le mal-être des individus ; les symptômes, les degrés de douleur, la médication, la temporalité, etc. Les acteurs s’adressent et se réfèrent donc à ce système pour interagir entre eux. La dynamique de communication s’en voit entièrement transformée. Grâce à cet ajout, il est possible de diminuer le processus de questionnement et de validation. Avec l’implantation d’un système symbolique graphique commun entre les acteurs, le champ d’interprétations variées est restreint. Le patient et sa famille se sentent libres de s’exprimer tout en sachant qu’ils sont compris par le personnel médical. Rassurés, leur état d’inquiétude diminue et les chances qu’il y ait une meilleure empreinte thérapeutique sont

alors plus élevées.66 Le système expert permet également d’enregistrer les choix d’images du patient dans son dossier médical. Tout en laissant une trace de la « parole » du patient, cet outil permet de donner des informations importantes pour la consultation avec le médecin qui suit le passage au poste de triage.

De plus, Lingvô permet de diminuer le temps de consultation et d’augmenter la rapidité de l’évaluation du patient par l’infirmière ou le médecin. Cela a pour résultat de faciliter le travail du personnel soignant et de permettre à un nombre plus élevé de patients d’être vus. Par conséquent, il s’agit également d’une solution viable au désengorgement des urgences. Toutefois, le support visuel n’est pas un outil indépendant. Il ne s’agit pas d’une application que le patient ou sa famille utilise à leur guise, sans guide. Lingvô est une aide à la communication ce qui sous-entend qu’il ne la remplace pas. Ce n’est pas non plus un outil présenté à prime abord, mais une alternative proposée lorsque les options de la communication orale et gestuelle ne suffisent pas à recueillir l’information nécessaire à l’évaluation.