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1. Effet de la réforme sur le rôle des walis et gouverneurs : le risque de "marginalisation"

1.1. Impact sur les missions

Pour illustrer l’impact de la réforme de la décentralisation sur le rôle des walis et gouverneurs dans la mise en œuvre des politiques publiques au niveau territorial, deux missions traditionnelles des représentants de l’Etat (la tutelle et l’exécution des délibérations des conseils des régions, des préfectures et des provinces) qui sont concernées par la réforme, seront scrutées dans l’objectif de montrer les liens entre leur mutation et l’évolution du rôle des walis et gouverneurs.

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1.1.1 Impact du remplacement de la tutelle par le contrôle administratif

Parmi les principaux apports de la dernière réforme de la décentralisation il convient de citer particulièrement la consécration du principe de la libre administration des collectivités territoriales. Pour ce faire, le législateur a remplacé la tutelle du Ministère de l’intérieur sur les collectivités territoriales, à laquelle les walis et gouverneurs ont été associés à plusieurs titres, par le contrôle administratif.

De prime à bord, on pourra penser que la suppression de la tutelle aurait des effets négatifs sur le rôle des walis et gouverneurs, notamment, dans leur relation avec les collectivités territoriales. Les élus auront tendance à se sentir libéré du contrôle renforcé et généralisé des représentants de l’Etat et pourraient devenir moins soucieux quant au respect des lois et règlements. De même, leur choix de programmes et projets de développement local pourrait ne pas respecter ni leurs champs de compétences, ni les orientations des politiques nationales en l’absence du contrôle d’opportunité. Aussi, certains hommes d’affaires et investisseurs ayant des relations et des intérêts économiques ou politiques avec les présidents des collectivités territoriales peuvent exploiter cette situation et bénéficier d’avantages d’une façon illégale ou ne respectant pas les normes techniques, urbanistiques ou environnementales.

Ces situations seront d’autant plus prononcées chez les présidents des conseils des régions, des préfectures et des provinces qui deviennent pour la première fois l’organe exécutif des délibérations de leurs conseils et qui n’ont jamais exercé ce rôle sous « l’aire de la tutelle ». De surcroît, le manque d’expertise juridique et technique au niveau de certaines collectivités, notamment, les petites pourraient entraîner, également, une hausse des irrégularités, surtout en l’absence de la concertation et de l’encadrement juridiques des services des wilayas, préfectures et provinces, qui se pratiquaient dans le cadre de la tutelle.

En marge de ces risques, les walis et gouverneurs pourraient sentir qu’ils ont perdu une partie de leurs pouvoirs, leur droit de regard et de rectification des décisions et des actes des collectivités territoriales. Néanmoins, cette situation est à nuancer pour deux raisons principales ; d’une part, des mesures de sécurité sont prévues par le législateur, et d’autre part, l’attribution du contrôle administratif aux walis et gouverneurs.

En ce qui concerne le premier aspect, l’examen des trois lois organiques relatives aux régions, aux préfectures et provinces et aux communes montre que le législateur marocain soucieux de la sécurité juridique et voulant que le passage de la tutelle au contrôle administratif se fasse graduellement, a mis en place des mesures de sécurité pour compenser le manque de contrôle induit par la suppression de la tutelle. Ces mesures concernent les volets suivants :

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- Un droit de regard des walis et gouverneurs sur le règlement intérieur des conseils élus

et l’ordre du jour de leurs sessions : ils peuvent s’opposer au règlement intérieur du

conseil76, s’il est pris en violation des dispositions des textes législatifs et réglementaires

en vigueur, et à toute question inscrite à l'ordre du jour77 qui ne relève pas des

compétences de la collectivité territoriale ou des attributions du conseil. L’opposition est soumise, le cas échéant, au tribunal administratif, qui est seul habilité pour y statuer.

- Un système de visa préalable à l’exécution de certaines délibérations qui ont une

importance manifeste (voir annexe 4).

En ce qui concerne le contrôle administratif, il vient pour combler le vide laissé par la suppression de la tutelle. Ainsi, les walis et gouverneurs sont investis de cette nouvelle mission. Cependant, le rôle du contrôle de légalité reste limité à recevoir les délibérations et actes des collectivités territoriales, les examiner, relever les irrégularités, inviter la collectivité territoriale à réexaminer sa décision et déférer l’affaire au tribunal administratif en cas de refus. Les walis et gouverneurs n’auront plus le pouvoir d’annulation, d’approbation et de sanction et de ce fait se sentiront diminué devant les collectivités territoriales.

Par ailleurs, la question de l’efficacité du contrôle administratif peut être, également, discutée. En effet, le nombre élevé de délibérations et d’actes qui sont soumis au contrôle administratif est le premier handicap qui peut être accentué avec le nombre élevé de collectivités territoriales relevant de chaque wali ou gouverneur (A titre d’exemple : 89 communes pour la province de Taroudannt).

Ce nombre sera, également, surhaussé par l’introduction dans le champ des actes soumis au contrôle administratif des actes qui n’étaient pas soumis au contrôle de légalité. Un seul exemple suffit pour illustrer cet aspect, et concerne les arrêtés individuels en matière d'urbanisme délivrés par les communes, dont des copies doivent être obligatoirement notifiées au gouverneur.

Le second handicap est le délai de trois jours fixé pour les walis et gouverneurs pour se prononcer sur la légalité des actes transmis par les collectivités territoriales, qui reste très insuffisant pour garantir l’efficacité du contrôle.

L’efficacité du contrôle peut être, également, biaisée par le ciblage des actes soumis au contrôle administratif. En effet, les dispositions des trois lois organiques de la décentralisation laissent penser que les marchés publics des collectivités territoriales ne font pas partie des

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Article 114 de la loi organique n° 111-14, article 108 de la loi organique n° 112-14 et article 117 de la loi organique n° 113-14.

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matières soumises au contrôle de légalité. Le législateur a tout d’abord confié leur approbation aux présidents des conseils élus contrairement à ce qui a été d’usage avant la dernière réforme de la décentralisation, puis il n’a pas indiqué l’obligation de leur transmission au représentant de l’Etat.

Des difficultés similaires ont été, également, rencontrées en France, suite à l’entrée en vigueur des lois de la décentralisation en 1982 et persistent jusqu'à ce jour. Les différentes réformes adoptées ont permis de recouvrir progressivement l’efficacité du contrôle de légalité sans pour

autant arriver à l’objectif escompté78. Les principales mesures prises concernent :

- La réduction du nombre des actes soumis à l'obligation de transmission au

représentant de l'État ;

- La définition de priorités nationales et locales et l’élaboration de stratégies

départementales de contrôle de légalité ;

- La dématérialisation de la transmission des actes soumis au contrôle de légalité ;

- La réorganisation des services de l’État chargés du contrôle de légalité au niveau des

préfectures et des sous-préfectures.

Le Maroc peut s’inspirer de ces mesures, dès maintenant, pour renforcer l’efficacité du contrôle administratif et garantir la sécurité juridique des actes prises par les collectivités territoriales.

1.1.2 Impact du transfert de l’exécutif des régions, des préfectures et des provinces des walis et gouverneurs aux présidents des conseils élus

La question principale qui se pose à ce niveau est de savoir si le changement de l’exécutif du représentant de l’Etat aux présidents élus des conseils des régions, des préfectures et des provinces affectera la notoriété et l’image des walis et gouverneurs au niveau territorial ? Le fait de confier le pouvoir exécutif aux présidentes des conseils des régions, des préfectures et provinces permettrait de dorer leur image auprès des citoyens et leur confère une place privilégiée au niveau local. En effet, en disposant de prérogatives larges, d’un budget et des moyens nécessaires pour exécuter les délibérations, mais aussi les programmes et projets de la région, de la préfecture ou la province, les présidents élus sont devenus parmi les acteurs principaux du développement local. Cette position est confortée, également, par l’adoption, pour la première fois, du mode de scrutin directe pour l’élection des membres des conseils de régions. Ceci donne aux présidents des conseils régionaux plus de légitimité et les responsabilise devant les citoyens.

De même, le renforcement des ressources financières des collectivités territoriales, notamment, les régions, prévu par la dernière réforme de la décentralisation, est un autre

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facteur qui permettrait aux présidents des régions de renforcer leur position davantage au niveau de leur territoire. Il faut rappeler dans ce sens que pour la première fois, le législateur fixe dans un texte législatif les ressources réservées par l’Etat à un type de collectivité territoriale donné. En effet, l’article 188 de la loi organique n° 111-14 relative aux régions dispose que « l'Etat affecte aux régions en vertu de lois des finances de manière progressive

des taux fixés à 5% du produit de l'impôt sur les sociétés, 5% du produit de l'impôt sur le revenu et 20% du produit de la taxe sur les contrats d'assurance, auxquels s'ajoutent des crédits du budget général de l'Etat dans la perspective d'atteindre un plafond de 10 milliards de dirhams à l'horizon 2021. ».

L’application de ces dispositions a fait grimper les dotations globales des régions du

Royaume de 1,7 milliards de Dh en 2014 à 4,2 milliards de Dh en 2016 79.

Cependant, cette nouvelle position des présidents des conseils des régions, des préfectures et des provinces ne semble pas affecter le statut des walis et gouverneurs. Ces derniers ont construits leur réputation et maintenus leur position au niveau local et national pendant plus d’une cinquantaine d’années, en tant que représentants de l’Etat sur le territoire. Leur attitude neutre et apolitique leur permet, également, de bénéficier de la confiance des citoyens et d’être l’incarnation de l’Etat au niveau de leurs commandements.

Les mêmes inquiétudes exprimées par rapport à la position des walis et gouverneurs se sont posées, également, en France lors de la réforme de 1982. « L’expérience a montré que ces

craintes étaient excessives : les réformes si elles ont modifié le contenu des fonctions préfectorales, n’ont en rien réduit leur importance et leur signification politique »80.

« L’Etat territorial, et au premier rang les préfets, se sont adaptés à la décentralisation, dont les grandes étapes ont été accompagnées d’une politique de déconcentration. Dans la mise en œuvre de cette politique de transfert de pouvoirs de l’Etat aux niveaux locaux, le rôle de synthèse et de coordination du préfet a toujours été réaffirmé »81.

Néanmoins, les walis et gouverneurs vont perdre une marge de manœuvre importante notamment, budgétaire, qui leur permettait d’intervenir directement dans la mise en œuvre des politiques publiques au niveau territorial. Ce rôle que les walis et gouverneurs ont assuré depuis l’indépendance va être affecté, sauf si l’Etat compte mettre en place des outils pour compenser le manque de crédits dont souffrirait ses représentants. Cet impact est d’autant plus

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Données de la Direction générale des collectivités locales du Maroc.

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Deyon Pierre, De pluviose an VIII à l’an 2000 : l’évolution de la fonction préfectorale, Pouvoirs locaux n° 44, 1/2000, Institut de la décentralisation, pages 22-28 (pages 27 et 28).

81

Duport Jean-Pierre, Le préfet, immuable et changeant, Pouvoirs locaux n° 44, 1/2000, Institut de la décentralisation, pages 77-28 (page 77).

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important si l’on prend en considération le fait que lorsque les walis et gouverneurs exécutaient les budgets des régions, préfectures et provinces, ils pouvaient par une sorte d’ « unité de caisse » couvrir les frais d’autres missions qui relevaient de leur fonction de service déconcentré (notamment, de sécurité, de coordination, etc.) par les crédits de la région, préfecture ou province.

Le législateur, en confiant l’exécutif aux présidents élus, voulait renforcer la démocratie locale et conforter la place des conseils élus et, notamment, leurs présidents en tant qu’acteurs actifs dans le développement local, cependant il ne serait imaginable qu’il a voulu affaiblir la position des walis et gouverneurs.

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