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6  Conclusion 123 

6.2  Impact de l’hétérogénéité comportementale sur l’efficacité populationnelle de la vaccination 124 

6.2.1 Implications et contextualisation des résultats

Les inégalités en santé sont des différences mesurables entre des individus et des populations dans l’incidence d’issues de santé. Ces inégalités sont généralement considérées inéquitables lorsqu’elles sont évitables et relèvent de différences dans la distribution sociale des déterminants de santé404. Des inégalités en santé

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peuvent émerger et persister lorsque les individus qui ont plus de pouvoir, d’éducation, de ressources et de support social sont plus en mesure de se prévaloir des ressources et interventions en santé253,404. Au Canada,

les facteurs les plus associés aux inégalités en santé sont le statut socioéconomique (SES), le genre, l’ethnicité autochtone et l’isolement géographique476. Le gradient social dans l’incidence du cancer du col de l’utérus est

généralement considéré inéquitable parce qu’il est évitable et relève de barrières sociales et structurales d’accès aux services de santé412. Même au Canada, où le dépistage est financé par l’État, d’autres barrières

socioéconomiques, linguistiques et culturelles existent (ex. emplois précaires et non-flexibles, difficultés de transport, manque de fournisseurs de soins de santé dans des régions défavorisés, méfiance culturelle envers les institutions de santé)477,478. La vaccination contre les VPH a le potentiel de substantiellement réduire

l’incidence des maladies associées aux VPH, mais également d’augmenter les inégalités sociales dans le fardeau de ces maladies si les individus socialement défavorisées se font moins vacciner253,412.

Nous sommes les premiers à avoir modélisé l’impact d’une couverture vaccinale contre les VPH qui diffère par classe d’activité sexuelle. Nos résultats sont similaires à d’autres modèles de transmission dynamique d’ITS plus simples qui avaient conclu qu’une augmentation de l’activité sexuelle dans une population diminue les effets indirects des interventions311 et que les interventions sont moins efficaces dans des classes d’activité sexuelle

plus élevée car elles auront moins d’effets indirects52. Cela suggère qu’une couverture vaccinale élevée chez

les filles qui auront une activité sexuelle élevée sera nécessaire afin de maximiser l’efficacité populationnelle de la vaccination et prévenir l’augmentation des inégalités dans l’infection. Il est toutefois difficile en pratique d’identifier, au niveau individuel, les filles qui seront plus sexuellement actives avant l’initiation de l’activité sexuelle. Des études de surveillance seront nécessaires afin d’identifier l’émergence d’inégalités dans la couverture vaccinale entre groupes sociodémographiques et socioéconomiques, et entre individus ayant différents comportements sexuels. Nos résultats suggèrent néanmoins que l’augmentation globale de la couverture vaccinale permet d’augmenter les effets directs de la vaccination et l’immunité de groupe chez toutes les femmes et peut contribuer à réduire les inégalités absolues dans la prévalence des VPH.

Depuis la publication de cette étude, certaines études ont mesuré l’activité sexuelle dans des cohortes d’adolescentes qui ont été ciblées par les programmes de vaccination dans des pays où la vaccination se fait en clinique. Dans certaines études, les filles vaccinées avaient un risque plus grand d’être sexuellement actives, un nombre plus élevé de partenaires sexuels à vie et un taux d’infection plus élevé avec d’autres ITS414,479-481,

alors que dans d’autres études les filles vaccinées avaient un risque moins grand d’avoir plusieurs (>11) partenaires à vie et utilisaient plus souvent le condom482, ou encore la vaccination n’était aucunement associée

à l’activité sexuelle392,483. Cela suggère que l’association entre la vaccination et l’activité sexuelle dépend du

contexte. Le comportement sexuel des filles vaccinées et non-vaccinées dans les études de surveillance pourrait nous aider à expliquer les tendances observées et à identifier des populations qui bénéficieraient d’une plus

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grande couverture vaccinale. Par exemple, une étude aux États-Unis a observé une réduction impressionnante de 56% de la prévalence d’infection avec les VPH-6/11/16/18 chez les filles de 14-19 dans les 4 années suivant la vaccination, malgré une faible couverture vaccinale de 34%414. Dans cette étude, les filles qui avaient ≥3

partenaires sexuels à vie avaient une couverture vaccinale plus élevée que les filles ayant seulement 1-2 partenaires sexuels à vie. Cette observation concorde avec nos résultats, qui prédisent qu’une couverture vaccinale plus élevée chez les filles qui seront plus sexuellement actives mène à une réduction plus rapide et plus grande de la prévalence d’infection avec les VPH vaccinaux.

Nous sommes également les premiers à avoir modélisé l’impact d’une couverture vaccinale contre les VPH différente selon le niveau de participation au dépistage. Précédemment, un modèle de cohorte néerlandais stratifiant par statut vaccinal avait accordé des probabilités différentes de participation au dépistage à des filles vaccinées et non vaccinées44. L’association entre la vaccination et le dépistage dans cette étude avait très peu

affecté les prédictions d’efficacité populationnelle. Dans une cohorte avec une couverture vaccinale de 53%, le modèle avait prédit une réduction de l’incidence cumulée à vie de cancer du col de 34% lorsque les filles non- vaccinées se font moins dépister, par rapport à 36% lorsque le dépistage ne dépend pas du statut vaccinal44.

Ce résultat découle du fait que la probabilité à vie de se faire dépister n’était pas substantiellement différente entre les filles vaccinées et non-vaccinées (92% vs 88%). Un autre modèle de cohorte américain avait inversement conclu que si les femmes ayant une faible participation au dépistage ne se faisaient pas vacciner, la vaccination contre les VPH ne serait plus coût-efficace322. Ces deux modèles n’intégraient cependant pas les

effets indirects de la vaccination et ne pouvaient analyser les résultats stratifiés par comportement de dépistage. Nos résultats suggèrent que les femmes non-vaccinées et ayant une faible participation au dépistage seront au moins partiellement protégées par l’immunité de groupe, en autant que la sélection des partenaires sexuels (mixing sexuel) ne soit pas fortement déterminée par les facteurs sociodémographiques et économiques associés à la participation au dépistage. Le modèle prédit que le taux d’incidence des SCC demeurera tout de même 50-100 fois plus élevé chez les femmes qui ne sont jamais dépistées que chez les femmes dépistées à chaque ≤5 ans, même à couverture vaccinale égale. Cela implique que la participation au dépistage demeurera un déterminant important du risque du cancer du col à l’avenir.

6.2.2 Forces et limites

Le modèle HPV-ADVISE constitue le modèle le mieux adapté pour évaluer l’impact de différences dans la couverture vaccinale selon les comportements parce qu’il modélise plusieurs classes d’activité sexuelle et est parmi les seuls modèles de transmission dynamique à modéliser des classes de participation au dépistage. Il a été calibré à plusieurs données épidémiologiques d’activité sexuelle, d’histoire naturelle et de dépistage, dont la prévalence de types de VPH par niveau d’activité sexuelle et par âge et la distribution des résultats cytologiques par niveau de participation au dépistage314. L’utilisation de plusieurs ensembles de paramètres a

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permis d’évaluer en partie l’incertitude quant aux paramètres du modèle. Cependant, nous n’avons pas effectué d’analyses de sensibilité sur la structure du modèle. Ainsi, les intervalles d’incertitude autour des résultats n’intègrent pas l’incertitude associée à la structure du modèle. Une analyse plus détaillée de l’impact de certaines hypothèses structurales avait précédemment été effectué par Van de Velde et al.352. Les hypothèses structurales les plus susceptibles d’influencer nos résultats sont les hypothèses par rapport aux appariements sexuels (mixing), car ce sont ces appariements qui affectent l’immunité de groupe réalisée dans différentes strates de comportement. Notre analyse de sensibilité avec l’assortativité extrême par niveau de participation au dépistage a permis d’évaluer en partie l’influence des appariements sexuels. La comparaison à l’avenir de nos résultats avec les résultats de d’autres modèles développés indépendamment avec des structures différentes permettrait une validation supplémentaire de nos résultats.

Selon les recommandations du National Cancer Institute375, nous avons utilisé, lors de nos analyses, des

mesures absolues et relatives de l’efficacité populationnelle vaccinale et des inégalités dans la prévalence d’infection et l’incidence des SCC. Parce que les mesures absolues et relatives peuvent mener à des conclusions différentes par rapport à l’évolution des inégalités, il est généralement recommandé d’évaluer l’impact des interventions avec ces deux types de mesures375,425.

Dans notre cadre conceptuel (Figure 1), la vaccination, l’activité sexuelle et la participation au dépistage sont associés aux mêmes facteurs socioéconomiques et sociodémographiques. HPV-ADVISE n’a pas présentement de stratifications pour des caractéristiques pouvant représenter des groupes socioéconomiques et sociodémographiques, donc nous avons plutôt modélisé une association directe entre la vaccination et l’activité sexuelle, et entre la vaccination et la participation au dépistage. L’avantage de notre approche est qu’elle évalue directement l’impact d’une association entre la vaccination et ces comportements, qui sont les facteurs de risque proximaux de l’infection avec les VPH et des SCC du col de l’utérus. L’objectif principal était d’illustrer l’impact potentiel d’une couverture vaccinale inégale selon ces facteurs de risque proximaux. Si les inégalités entre groupes sociaux sont causées par ces comportements, il est nécessaire de premièrement comprendre l’efficacité populationnelle dans chaque classe de comportement. Ces études constituent donc une première étape pour comprendre l’impact de la vaccination sur les inégalités dans le fardeau de l’infection et de la maladie. Cependant, la modélisation d’une couverture inégale entre strates de comportements n’est pas équivalente à la modélisation d’une couverture inégale entre groupes socioéconomiques et sociodémographiques, puisque les individus d’un même groupe n’ont pas tous les mêmes comportements sexuels et de dépistage. Les groupes socioéconomiques et sociodémographiques diffèrent plutôt par leur distribution de ces comportements. Ainsi, une couverture vaccinale inégale entre groupes socioéconomiques et sociodémographiques mènera à des couvertures vaccinales inégales entre strates de comportements moins grandes que celles que nous avons examinées. Il est très probable que les distributions réalisées de la couverture vaccinale soient plus modestes

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que les scénarios extrêmes que nous avons modélisés. Nous avons choisi de modéliser des scénarios extrêmes car ceux-ci démontrent l’impact maximal d’une maldistribution de la couverture vaccinale, et permettent ainsi d’évaluer la diminution maximale de l’impact vaccinal causée par cette maldistribution.

6.2.3 Directions futures

La prochaine étape consiste à intégrer des stratifications pour des caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques dans les modèles de transmission des VPH et à modéliser directement l’impact d’une vaccination différentielle par classe socioéconomique et sociodémographique. Aucun modèle dynamique de transmission des VPH n’inclut présentement de stratification socioéconomique ou sociodémographique (autre que le genre et l’âge). Notre groupe de recherche travaille présentement à intégrer ces stratifications dans notre modèle.

Aucune étude n’a encore évalué l’impact d’une couverture vaccinale différente entre des populations avec différentes caractéristiques sociodémographiques, qui diffèrent par leurs distributions d’activité sexuelle et de participation au dépistage. Une étude canadienne parue depuis le début de cette thèse a modélisé l’impact d’une vaccination différentielle entre les autochtones et le reste de la population manitobaine en supposant que différentes classes de comportement de participation au dépistage constituaient différentes ethnicités332. Cette

méthode suppose que tous les membres d’un groupe ethnique sont homogènes par rapport à leur dépistage. Ce modèle a prédit une réduction du taux d’incidence du cancer du col de 40% chez les femmes autochtones et de 38% chez les femmes non-autochtones de ≥35 ans lorsqu’elles avaient une couverture respective 60% et de 65%. Une importante conclusion de l’étude était que le degré d’assortativité entre ethnicités influence substantiellement l’efficacité populationnelle de la vaccination chez les autochtones. Nos résultats supportent également cette conclusion. Cependant, peu de données empiriques existent par rapport aux appariements sexuels effectués entre groupes socioéconomiques et sociodémographiques. La majorité des données proviennent de recensements de mariages et de partenariats domestiques237,238,242-244, qui sont

vraisemblablement des partenariats plus assortatifs que l’ensemble des partenariats sexuels. Afin de mieux comprendre les règles d’appariement sexuel (mixing), il faudrait plus de données empiriques sur les caractéristiques socioéconomiques et démographiques des individus et de leurs partenaires sexuels.

La réduction des iniquités en santé est un objectif important de santé publique en Amérique du Nord et en Europe476,484,485. Cependant, il n’est pas toujours clair si les objectifs prônent la réduction des inégalités absolues

ou relatives, qui sont des objectifs distincts avec des jugements de valeur distincts425. La réduction conjointe

des inégalités absolues et relatives nécessiterait l’augmentation combinée de la couverture vaccinale et de la participation au dépistage. L’augmentation de ces deux couvertures peut cependant représenter un défi substantiel, et devrait faire l’objet de plus de recherches. Jusqu’à présent, la vaccination scolaire semble être la

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méthode la plus efficace d’augmenter la couverture vaccinale dans des populations plus défavorisées. Notamment, on peut citer le cas de la Nouvelle-Zélande qui a atteint une couverture vaccinale plus élevée chez les filles Maōris (78%) que chez les filles de descendance européenne (63%) avec la vaccination scolaire248.

Les inégalités dans la couverture vaccinale peuvent également être réduites en offrant la vaccination lors d’années scolaires subséquentes aux filles ayant manqué la vaccination l’année précédente, une stratégie utilisée en Écosse169. L’utilisation accrue de tests de VPH auto-administrés pourrait également augmenter la

couverture du dépistage. Un essai clinique randomisé en Angleterre a observé que, chez de femmes n’ayant pas répondu à plusieurs invitations de participation au dépistage, l’envoi d’un test de VPH auto-administré a incité plus de femmes à se faire dépister (10.2%) que l’envoi d’une nouvelle invitation pour un test cytologique (4.5%)486. Cependant, ces faibles taux de réponse démontrent à quel point il peut être difficile d’augmenter la

participation au dépistage chez les femmes qui ne se font pas dépister.

Les recommandations et les pratiques de dépistage risquent de changer au cours des prochaines années avec le remplacement des tests cytologiques par des tests de détection d’ADN des VPH487. Ce changement pourrait

affecter les inégalités dans l’incidence du cancer du col. Parce que les tests de détection des VPH sont plus sensibles que les tests cytologiques, des intervalles plus longs entre dépistages sont envisagés488. Il n’est pas

encore clair comment des intervalles plus longs et la possibilité d’auto-administrer le test affecteront la participation aux programmes de dépistage. De plus, la performance du dépistage par cytologie pourrait diminuer avec le temps en raison de la diminution de la prévalence des types de VPH oncogènes487,488. Les

interactions entre la vaccination et les nouveaux protocoles de dépistage, ainsi que leur impact sur les inégalités sont donc des questions propices à évaluer avec la modélisation.

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