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Une image maternelle furtive

HERITAGE INDIVIDUEL :

B- Salim Bachi et la puissance paternelle

1- Une image maternelle furtive

L’image de la mère des/du personnage(s) est quasi-absente dans les

œuvres de cet auteur. Quelques passages dans Le Chien d’Ulysse lui sont

dédiés, mais elle se dissipe aussitôt, chassée par la présence masculine, ou par celle d’un père qui, souvent, n’est pas toujours valorisée.

Dans son premier roman, le seul texte parmi ceux que nous allons analyser pour traiter ce sujet de puissance et exposant l’image de la mère de manière explicite, le narrateur (et personnage principal) laisse deviner la

relation conflictuelle qu’il entretient avec sa mère « presque toujours

enceinte». Celle Ŕci ne s’adresse à son fils que pour lui faire des reproches. Non sans tristesse, Hocine se confie au lecteur en rapportant ce que lui dit sa mère, cherchant sans doute une empathie de sa part, le héros confesse :

«…quand votre mère vous maudit parce que selon elle vous

engloutissez la fortune familiale en dévorant comme un cannibale»1

Ou bien encore :

« t’es comme l’ancien moudjahid, rumine ma mère, chaque soir, en

déposant ma pitance. Tu vas nous ruiner»1 déplore Hocine.

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Ces quelques passages traduisent bien évidemment la nature de la relation qu’entretient Hocine avec sa mère, mais demeurent aussi les seuls qui inscrivent sa présence, plus que furtive, dans les romans de l’auteur.

Dans Autoportrait avec Grenade, texte qui recèle quelques repères

biographiques de l’auteur Ŕmais où l’authenticité des faits racontés demeure invérifiable- la mère est complètement absente. Aucun passage du récit ne l’évoque, seule revient, parfois, l’image de la grand-mère.

En effet, complètement absente de son premier roman, celle-ci s’installe

confortablement dans Amours et aventures de Sindbad le marin, «Lalla

Fatima» joue très bien le rôle de la grand-mère avec tout ce que cela implique. Ni menaçante, ni oppressante, l’image de la grand-mère est plus que positive, celle-ci représente la quiétude, l’assurance et la protection ; sa présence rassure et conforte l’auteur/ le narrateur. C’est ce que traduit ce passage d’autoportrait où Salim Bachi rapporte :

« je me souviens d’un hiver particulièrement rigoureux à Cyrtha, où il était tombé de la neige qui disparaissait avant d’avoir touché terre. Mes doigts me cuisaient tant il faisait froid. Je rendais visite à ma grand-mère en revenant de l’école. Elle était occupée à préparer de la galette sur un brasero à gaz. Je me souviens qu’il faisait très chaud dans la cuisine, son domaine, où elle régnait sans violence. Je m’y sentais bien, la douleur froide abandonnait mes articulations, s’éloignait de mon corps.» 2

Dans Autoportrait avec Grenade, plusieurs descriptions flatteuses sont

dédiées à la grand-mère, la plus significative, reste celle où Bachi explique qu’elle lui a légué, entre autres, l’amour pour ces contes orientaux. Il dit : «ma 1Ibid.. p.22

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grand-mère était une conteuse qui dérobait les Milles et une nuits comme une sorcière, assurée de son pouvoir et de sa force»

Ce passage nous renvoie directement à Kateb Yacine et à sa relation

avec sa mère qui «…était surtout douée pour le théâtre. Que dis-je ? A elle

seule, elle était un théâtre. J’étais son auditeur unique et enchanté… » 1

La grand-mère de Bachi serait-elle sa muse comme l’a été la mère de

Kateb Yacine qui lui a donné «le goût du verbe» et l’amour du théâtre au

point d’en faire son métier ? En tout état de cause, la présence de ces contes orientaux dans Amours et Aventures de Sindbad le marin, conforte l’idée de la muse et octroie à la grand-mère une place de choix.

C’est dans Amours et Aventures de Sindbad le marin, que l’on mesure

le mieux le rôle de la grand-mère pour le personnage principal. Munie de plus d’actions et d’interventions, celle-ci jouera pleinement son rôle de protectrice. Presqu effacée au début du roman, celle-ci se transforme et se métamorphose en une créature surhumaine lorsque son petit fils est en danger et qu’il faut intervenir pour le protéger :

« -Laisse mon petit-fils tranquille ! -Sindbad ?

- Tu m’as bien comprise. Toi et ton chien laissez-le en paix ! Il est innocent. Il a déjà tout perdu. C’est un homme brisé.»2

L’image de la grand-mère est en effet, à l’encontre de celle de la mère. Toutefois sa présence est loin d’être une puissance.

Une autre présence féminine se dispute avec la grand-mère l’espace textuel de Bachi : c’est le personnage Samira, qui est l’une des plus importantes figures féminines de part sa fréquence dans la narration. En effet, plusieurs

1 Kateb Yacine, Le Polygone Etoilé. op.cit. . p.179

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passages lui sont dédiés dans différents textes: le Chien d’Ulysse, la Kahéna, et Autoportrait avec Grenade. Samira, héroïne tant aimée par Hamid Kaïm, se dérobe à chaque fois, ce qui la rend davantage désirée. Cette présence répétée dans plusieurs textes de l’auteur et son histoire d’amour impossible avec Hamid Kaïm (puisque rappelons-le : Samira est mariée au commandant Smard) nous permettent de faire le lien avec Nedjma de Kateb Yacine. L’analogie s’arrête là, car contrairement à l’héroïne de Kateb, Samira ne joue nullement un rôle important ou décisif, au contraire, celle-ci subit les actions des personnages masculins, elle ne les dicte pas, elle n’impose pas sa présence, contrairement à Nedjma qui exerce une force attractive sur les personnages les plus importants du roman. Allant de Si Mokhtar et de ses fréquents déplacements de Constantine à Bône et de Bône à Constantine, de son projet d’aller vivre avec elle et Rachid au Nadhor, sans oublier les quatre amants : Lakhdar, Mourad, Mustapha et Rachid et bien entendu son mari Kamel.

Samira ne connait pas le même destin que son homologue katenienne. Elle passe, certes, de texte en texte (nous pensons aux romans : le Chien d’Ulysse, la Kahéna, et Autoportrait avec Grenade) mais n’exerce nullement d’actions significatives sur les personnages.

D’ailleurs, dans la Kahéna, Samira explique bien sa position de

« prisonnière » subissant les actions de Hamid Kaïm ;, celle-ci nous fait part de ses impressions et dit :

«n’était-il pas capable de tous les subterfuges pour me retenir dans ses rets ? Il me faisait l’effet d’une Schéhérazade de pacotille, et moi, femme, je devenais son roi, son amante au bras

suspendu»1

1 Bachi Salim, La Kahéna, op.cit. . p.91

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Dotées de moins d’actions que les autres personnages masculins, la grand-mère et Samira ne peuvent être le substitut de la mère, et encore moins incarner la puissance maternelle, inexistante dans toute l’œuvre. Mais déjà, dés les premières pages du roman, le narrateur ne déclare t-il pas : «j’en veux à ma mère, à mon père aussi…» ?

Cette confession de Hocine explicite le lien qui le rattache à sa mère et à son père. En effet, ces aveux chargés de reproches à l’égard des parents, expliquent, d’emblée, l’absence de la mère dans le récit et nous prépare à une relation conflictuelle avec le père dans le Chien d’Ulysse.