• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : HYPOTHÈSES DE TRAVAIL ET RELATIONS CONCEPTUELLES

3.3 V ILLE , MODERNITÉ ET MODERNISATION EN A FRIQUE

Le phénomène urbain se caractérise par son aspect hégémonique ; le monde est de plus en plus urbain, à tel point que des auteurs comme François Asher parlent de véritable « civilisation urbaine planétaire ».212 En dehors des aspects déjà évoqués sur la ville comme creuset aux fonctions multiples nous abordons la question de la modernisation. La modernisation sera souvent confondue avec la modernité qui elle, traduit surtout une manière d’être et un état. En relation avec la notion déjà évoquée de développement/ sous-développement, la modernisation renferme un contenu plus idéologique. Les transformations de l’aspect physique de la ville en général, sont mises en relation, dans les articles de presse, avec « la modernité » sans aucune distinction avec la modernisation dont elles pourraient ressortir. C’est pourquoi cette distinction entre modernité et modernisation, constitue un des éléments de notre « critique de la modernité médiatique » dans la troisième partie de ce travail.

Mais de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la ville en Afrique ? La ville est-elle une réalité étrangère à l’Afrique ? Quelle relation peut-il exister entre les formations urbaines actuelles et celles qui les ont précédées ? L’hypothèse de la ville, creuset de la modernité est-elle recevable au regard de l’évolution socio-historique des zones et

212

François Asher, « Quelle civilisation urbaine à l’échelle planétaire », in Thierry Paquot et alii, La

89

terrains concernés ? L’urbanisation massive actuelle de notre espace trouve-t-elle des explications dans un passé récent ou lointain ?

La compréhension du rôle et des fonctions de l’espace urbain nous oblige à en explorer l’ancrage historique réel ou supposé en Afrique et particulièrement au Sénégal, notre terrain d’étude. Il nous semble qu’une intelligibilité de la modernité en rapport avec notre espace urbain dans ses relations déjà évoquées avec les formations sociales, soulève un ensemble de questions.

De ce point de vue le survol historique complet dressé par Catherine Coquery-Vidrovitch, fournit déjà quelques éléments de réponse intéressants.

« Ville africaine ou ville en Afrique ? », tel est l’intitulé de la question qu’elle pose dès le début d’un ouvrage très éclairant sur les processus d’urbanisation213

. Mais elle ajoute que « la ville comme le concept de civilisation, englobe plusieurs volets : à la fois espace, société, économie et mentalité collective ». En dehors de la spécificité des trajectoires historiques qui lui donnent naissance dans des aires et conditions économiques, culturelles, techniques distinctes, la ville est un phénomène universel, avertit-elle, citant Fernand Braudel.214

Dans une perspective historique, elle révèle que le phénomène urbain, en tant que celui « par lequel des hommes s'agglomèrent en nombre relativement important sur un espace relativement restreint », n’est pas une nouveauté en Afrique.215

En dehors du fait de s’agglomérer, elle convoque d’autres critères, notamment le fait que « tout le monde ne vit pas de l’agriculture », issus d’une lecture de Max Weber.216

Pour caractériser le phénomène urbain on peut retenir à la suite de Catherine Coquery-Vidrovitch, une conjonction d’éléments : un processus spatial, qui est en même temps un processus social générateur d’hétérogénéité. Ce processus devient lui-même culturel avec un centre qui acquiert un pouvoir d’influence et de diffusion. Ainsi elle note la naissance de diverses formations urbaines précoloniales qu’elle appelle anciennes :

 Les villes anciennes dont le développement est dû à l’expansion agricole

213 Catherine Coquery-Vidrovich, Histoire des villes d‟Afrique noire des origines à la colonisation,

Paris, Albin Michel, 1993, p. 15.

214 Op. cit., p. 28.

215 Catherine Coquery-Vidrovitch, « La ville coloniale « lieu de colonisation » et métissage culturel »,

Afrique contemporaine, numéro spécial, 4ème trimestre, 1993, p. 15.

90

 Les villes nées au contact de l’islam et le monde arabe

On en retient cependant avec cette historienne de l’Afrique que « la ville ne fut pas en Afrique un phénomène seulement importé, ni par les Européens ni par les Arabes. »217 C’est ensuite qu’on peut noter, selon Catherine Coquery-Vidrovitch, la formation des villes coloniales, mises en valeur par une position militaire stratégique, administrative, économique et portuaire. Ces villes constituent des « instruments de colonisation ».218 Il faut souligner que dans la perspective qui est la nôtre, c’est la ville, creuset et lieu de métissage et du brassage en rapport avec le fait colonial, qui va retenir notre attention, pour un souci d’efficacité dans la démonstration :

« Depuis le début de l'ère coloniale, les villes ont été en effet plus que jamais, vecteurs de "modernisation " -terme utilisé en fait comme synonyme d'ouverture à la colonisation. Elles ont constitué les foyers privilégiés de la rencontre et de la combinaison, sinon encore de la synthèse des valeurs dites "traditionnelles" (c'est-à-dire plus anciennement implantées) remaniées sous l'action des valeurs occidentales dominantes. »219

C’est en effet la capacité à favoriser la rencontre et l’ouverture que l’évolution de la ville, dans le contexte sénégalais, va nous permettre de poser la problématique de la modernité dans le cadre de cette recherche. Parce qu’elle devient un lieu social, économique, culturel « où s’élabore une société aux formes nouvelles, faites d’un constant processus de synthèse entre l’ancien et le nouveau ».220

Il faut ajouter que le développement de la presse est lié au fait urbain au Sénégal, depuis la deuxième moitié du XIXe siècle ainsi que le montrent les travaux de Roger Pasquier.

3.3.2 La ville sénégalaise, un laboratoire de la modernité ?

La ville constitue le symbole de la modernisation. Dans le contexte de cette recherche, les relations entre ville et modernité, si elles sont élucidées, permettront de mieux asseoir une de nos hypothèses de base : à savoir que la ville constitue pour le contexte

217 Catherine Coquery-Vidrovich, Histoire des villes d‟Afrique noire…, op. cit, p. 15.

218 Catherine Coquerey-Vodrovitch, « La ville coloniale "lieu de colonisation" et métissage culturel » in

Afrique contemporaine, op. cit., p. 15.

219

Ibidem.

91

sénégalais le laboratoire par excellence de la modernisation inspirée du modèle occidental et, par voie de conséquence le symbole de la modernité. Dans cette relation établie entre espace urbain et modernité, il est intéressant de noter qu’à l’époque coloniale, les habitants des « Quatre communes » étaient appelés par l’administration coloniale, « les évolués » par rapport au reste des habitants du pays encore sous tutelle coloniale. Destiné à une ouverture précoce vers l’extérieur par sa position géographique stratégique, le Sénégal connaîtra des influences extérieures diverses (portugaise, hollandaise, française), qui marqueront profondément l’image physique de ses formations urbaines.

L’évolution des formations urbaines sénégalaises dans un contexte socio-politique spécifique, marqué par une domination française, fournit des éléments d’analyse du développement des médias et des mentalités. Le développement des médias eux-mêmes en rapport avec l’occidentalisation de l‟information a pu être analysé dans des travaux de recherche.221 L’ensemble de ces éléments seront développés dans la deuxième partie de ce travail. Dans notre hypothèse de travail, la ville sénégalaise est le signifiant de la modernité, elle en constitue un outil et un de ses symboles les plus ostensibles.

Les relations conceptuelles ont été déjà dégagées entre l’espace urbain et les sciences de la communication. Dans la même logique, les approches sur la société de l’information peuvent nous servir à lire la réalité urbaine au Sénégal. Car la technologie en général et les technologies de l’information en particulier apparaissent comme des emblèmes de la modernité et du progrès technique. Ce n’est pas pour rien que l’histoire de la mondialisation est indissociable des progrès des outils de la communication. Les villes concentrent presque toute l’infrastructure technique permettant aux TIC de se développer. Cela est particulièrement vrai pour le Sénégal et Dakar sa capitale en particulier, pour des raisons économiques et commerciales tout à fait évidentes. Ce qui fait d’ailleurs que la fracture numérique, concept galvaudé de nos jours, n’est la plupart du temps, que la fracture entre l’espace urbain et les zones rurales ; mais ce phénomène est tout aussi observable dans les villes entre ceux qui ont accès aux TIC et les citadins moins bien lotis de zones périurbaines. Cela ne devrait pas cependant occulter le fait que c’est dans les pays du Sud, auxquels appartient le Sénégal, qu’intervient la plus forte croissante en matière de TIC et de hausse du

221

André-Jean Tudesq, « Occidentalisation des médias et fossé culturel au sein des sociétés africaines » in Afrique contemporaine, n° 185, 1er trimestre, pp. 63-73.

92

nombre d’internautes. Ce qui signifie en termes de modernisation un développement des infrastructures adaptées et une croissance économique des activités liées à la société de l’information. Il y a une corrélation évidente et tangible de l’espace urbain, des TIC et de la modernité d’une part ; ce qui se traduit d’autre part, au niveau des symboles et de la lisibilité du phénomène urbain, par une association du triptyque ville-société de l‟information-modernité.

Conclusion de la première partie

« Un monde de citadins », « l’urbanisation du monde », « civilisation urbaine »… les titres sont foisonnants, d’approches du phénomène urbain et tendant à l’accréditer comme LE phénomène des XXe et XXIe siècles.

Mais il est essentiel de préciser que nous envisageons une approche communicationnelle sur la ville. La ville en tant qu’espace investi de valeurs physiques d’une part et appelant les définitions des sciences sociales, mais aussi comme espace des représentations et des symboles, faisant référence à l’espace de la communication et appelant les sciences de la communication pour le comprendre. Certains ont souvent parlé de cet aspect urbain des médias, notamment quand il s’agissait, dans l’approche « communication pour le développement », de réduire le fossé informationnel entre urbains et ruraux. Au mieux il ne s’agissait que d’un constat, sans aucune prétention à un décodage du mécanisme intime qui établit définitivement la relation entre la ville, les médias et la modernité.

Avec un peu plus de prétention certes, nous voulons aller au-delà du simple constat. Il s’agit pour nous de contribuer à la compréhension de cette relation. C’est pourquoi nous essayons de proposer dans les premiers développements, une approche de la modernité. Une sorte de lecture théorique que nous référons au contexte sénégalais. Qu’est-ce que la modernité ? nous sommes-nous interrogé. Les développements sur « l’esprit de la modernité » et sur les « modernités » s’inscrivent dans cette tentative de lire le contexte sénégalais au miroir de l’universel. Dans le même esprit, la Ville comme phénomène historique lié au fait colonial, est analysée dans une autre partie. Cette partie a aussi permis de s’interroger sur les liens entre l’espace et la manière d’être dans cet espace qui fonde l’urbanité. Dans une tentative de faire un état de l’art sur les études urbaines et les recherches en SIC, nous avons analysé de façon très instructive pour nous même d’abord, les interrogations que les chercheurs en sciences

93

de l’information et de la communication avaient sur la ville, l’urbain et la modernité. À partir de ce moment nous avons perçu la pertinence de nos interrogations primordiales. Il s’agissait alors de montrer comment s’articule dans notre contexte d’étude, au-delà de la théorie, la relation entre l’urbain, les médias et la modernité. Le point de départ étant une bonne compréhension du cadre général, une partie a été consacrée au contexte médiatique, en en retenant ce qui nous paraissait essentiel. Le portrait dressé du contexte médiatique est un portrait rapide, esquissé grossièrement, mais il participe à l’intelligibilité et à la cohérence du travail. Il permet surtout de deviner les pistes de recherche qui ont été les plus empruntées ces dernières années dans les travaux en SIC sur le Sénégal. À savoir l’information politique, les médias dans les processus de démocratisation…Les lignes consacrées à l’internet montrent à notre avis, qu’il est impossible de parler des articulations entre médias et phénomène urbain sans s’arrêter sur l’internet qui demeure essentiellement urbain au Sénégal en même temps qu’il offre des promesses nouvelles aux médias.

La séquence urbaine, la séquence de la modernité et la séquence médiatique écrivent, dans leurs itinéraires respectifs, une histoire commune. On ne saurait les dissocier avec pertinence, à moins de vouloir déconnecter les médias de leur contexte de production qui se trouve être ici le milieu urbain. Si ce travail contribue à restaurer cette relation, notre objectif sera largement atteint.

94

DEUXIE ME PARTIE - LES ME DIAS DANS LA VILLE :

LE POUVOIR DE LA « CENTRALITE »

“I shall try to show that the development of media –from early forms of print to recent types of electronic communication -was an integral part of the rise of modern societies”

John B. Thompson, The Media and Modernity: A Social Theory of the Media, London, Polity, 1995

95

Cette partie est une tentative de mise en cohérence qui ambitionne d’ériger la ville comme figure centrale de la modernité sénégalaise autour de laquelle les médias, et particulièrement la presse écrite, trouvent un ferment indispensable à leur naissance et leur développement. Un peu plus longue que la première, elle fait la relation dès l’origine, entre la ville et les médias, en évoquant une naissance suscitée par le colonisateur dans un contexte particulier. Le point de départ historique se situe au XIXe siècle. Il n’est pas choisi par hasard, il coïncide avec les occurrences alternées et combinées des faits urbain/colonial et médiatique. Des repères utiles sont offerts qui permettent d’aborder autrement l’étude des médias. À partir des éléments proposés, une nouvelle approche du pluralisme est tentée en rapport avec le contexte urbain. Tous les aspects de l’articulation entre pluralisme urbain, pluralisme politique et pluralisme médiatique sont analysés en rapport avec l’histoire de la modernité au Sénégal. Leurs interactions respectives n’en seront que mieux comprises. Car ces éléments (ville/médias) ne cesseront de développer dans le contexte sénégalais, une vigoureuse complémentarité à la fois fonctionnelle et symbolique, permettant de renouveler la perspective d’analyse pour les SIC. En réalité si la ville devient finalement le « centre », c’est au terme d’un processus et d’une interaction avec les médias qui eux-mêmes participent de cette construction en tant que rouage essentiel. L’espace urbain devient, par la force du symbole, une métaphore spatiale de la diffusion de valeurs nouvelles. Il n’est jusqu’à l’activité littéraire elle-même qui ne soit influencée par ce nouveau cadre organisationnel et la production. Pour l’ensemble des activités importantes pour la construction nationale222, la ville devient véritablement un lieu primatial, perçu d’abord comme un centre à partir duquel s’élabore toute la vie sociale de la nouvelle société sénégalaise. C’est pourquoi, en droite ligne d’une de nos hypothèses principales, le concept de « territorialité médiatique » qui s’articule avec ce que nous appelons le « système d’information urbain » est analysé. Et cela pour accréditer l’importance acquise par la « centralité » au travers d’un système de représentations qui émerge du continuum formé par les médias et la ville. Ces deux entités finissent par assumer des fonctions proches voire semblables. Le Centre urbain aura d’ailleurs tendance à se confondre avec le « centre médiatique ». Une évolution plus détaillée des grandes tendances du contexte est

96

proposée et le niveau d‟urbanité acquis par chaque type de média est évalué. Dans ce cadre nous assistons à l’apparition de nouveaux lieux urbains : le wolof et l’internet.

97