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1- Carte administrative du Sénégal

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1.1.1 Le tournant de la rencontre coloniale223

Il peut être utile de chercher dans l’histoire du Sénégal des éléments de référence explicatifs de sa structure urbaine actuelle et de la diversification progressive des supports d’information. En introduction nous avons évoqué le point de départ de l’histoire du Sénégal précolonial marqué par des royaumes ou États entre lesquels existent des rivalités et progressivement morcelés par les guerres. Au début du XIXe siècle, les possessions françaises guère nombreuses servent de points d’entrée de la colonisation. Il faut noter que ce sont d’anciens comptoirs de traite esclavagiste établis au XVIIe siècle comme Saint-Louis, Gorée, Rufisque. Les logiques économiques vont de pair avec les logiques de domination ou plus exactement de « pacification » pour parler un langage d’époque. En 1891, la conquête coloniale est pratiquement terminée. Mais le tournant que constitue la colonisation se traduit au niveau de l’occupation de l’espace par la mise en place d’une architecture urbaine. De nouvelles activités et une nouvelle structure administrative sont générées avec des conséquences jusque dans la naissance et l’évolution ultérieure des moyens d’information. Le spécialiste en aménagement du territoire, Amadou Diop, souligne :

« L‟organisation urbaine des villes sénégalaises reflétait la projection

spatiale d‟un projet de civilisation exogène basé sur une logique

d‟exploitation capitaliste. »224

Selon les historiens, Iba Der Thiam et Mbaye Gueye, de la naissance de l’Afrique occidentale française (AOF) en 1895 au transfert de la capitale fédérale de Saint-Louis à Dakar en 1902 et même jusqu’en 1945, l’organisation politique du Sénégal est une parfaite illustration de l’ordre colonial ; la seule différence notable étant les « quatre communes » (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis) qui constituent une exception politique et administrative par rapport au reste du territoire.225

La lutte politique est menée pour la conquête des droits politiques et économiques et des élus sont envoyés à l’Assemblée constituante française dès 1945. Parmi ces conquêtes démocratiques figurent la liberté de réunion et d’expression. Les Quatre

223 Cette partie s’appuie largement sur Iba Der Thiam et Mbaye Guèye, Atlas du Sénégal, Éditions Jeune Afrique, 2000. D’autres informations intéressantes peuvent aussi être consultées à l’entrée SÉNÉGAL de l’Encyclopaedia universalis, article écrit par François Bost et Vincent Foucher.

224

Amadou Diop, Villes et aménagement du territoire au Sénégal, op. cit., p. 72.

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communes sont le centre névralgique de la vie sociale, politique et économique et les hommes politiques suscitent des supports d’information pour porter un combat de revendication de droits politiques et sociaux des autochtones. Nous en faisons mention dans des développements ultérieurs. Nous sommes dans un contexte de « pluralisme urbain » propice à la création de titres autres que ceux suscités par le colonisateur. Les premiers organes qui émergent dans ce lot sont partisans et militants et le lectorat essentiellement urbain dans un Sénégal en marche vers l’indépendance obtenue le 4 avril 1960. Les villes deviennent le principe organisateur de la vie nationale et accaparent les fonctions essentielles. Nous reviendrons sur cet aspect qui constitue un des éléments majeurs à expliciter pour donner plus de cohérence à notre démonstration.226

1.1.2 Une réalité post-coloniale marquée par le fait urbain

Les éléments fournis en introduction devaient servir à montrer l’importance du tournant colonial qui institue des espaces centraux à des fins de gestion politique et administrative. Les villes restent encore le noyau de cette organisation. Il en résulte que le Sénégal d’aujourd’hui est un pays qui compte environ 12 millions d’habitants dont plus de la moitié de la population vit dans l’agglomération urbaine de Dakar.227 Dakar, centre urbain principal apparaît surdimensionnée par rapport au reste du pays. Cela ne va pas sans conséquences sur l’organisation du paysage médiatique et la distribution des supports d’information. D’ailleurs ce fait est à l’origine de déséquilibres politiques, administratifs et infrastructurels. À titre d’exemple et pour contestable qu’elle puisse paraître, l’une des revendications de l’irrédentisme casamançais, dans la région Sud du pays (fig. 2 : Carte administrative du Sénégal), met en avant la négligence dont est victime cette localité au profit des zones-centres du « Nord » du pays.228 En réalité le déséquilibre est patent entre la capitale et le reste du pays pris dans son ensemble. Il se traduit par une fracture, pas seulement numérique, pour employer un terme connu, au sein d’un même pays ; mais il emporte des conséquences au niveau des accès et des usages face aux moyens d’information. C’est peut-être pour cela qu’au niveau central les technologies de l’information et de

226 Voir le sous-titre « Origine de la presse : la fécondité du milieu urbain ».

227 Direction de la prévision et de la statistique, Rapport de synthèse de la deuxième enquête sénégalaise

auprès des ménages, Dakar, Juillet 2004, p. 23.

228

Hassane Drame, Le conflit casamançais : une crise centre-périphérie, Mémoire de DEA : Études africaines, IEP Bordeaux, 1992.

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la communication sont intégrées dans les politiques de développement. Des instances de régulation du secteur des télécommunications (ARTP) et des médias (CNRA) viennent arbitrer des secteurs en évolution rapide. Il faut dire que le secteur des télécommunications est l’un des plus dynamiques en Afrique de l’Ouest avec des conséquences visibles dans le secteur des médias. Selon les dernières données de juin 2012, publiées par l’ARTP, le Sénégal compte plus de dix millions d’abonnés au téléphone mobile, preuve s’il en est de la bonne santé et du dynamisme de ce secteur. La forte ouverture à l’utilisation des technologies de communication est une tendance globale même si des clivages internes sont toujours notés comme en atteste la deuxième enquête auprès des ménages.229

Lorsque le Sénégal accède à l’indépendance politique en 1960, Léopold Sédar Senghor en devient le président en septembre de la même année jusqu’à sa démission en 1980. Abdou Diouf le remplace jusqu’en 2000. Il est battu aux élections du 19 mars par Abdoulaye Wade, le troisième chef de l’État sénégalais. Lui succède en 2012 Macky Sall. De la période coloniale à nos jours, les villes ont été le centre de la vie politique même si avec sa force démographique le monde rural et paysan constitue un enjeu en termes surtout électoraux. Ce fait est souligné par beaucoup d’analystes de la vie urbaine sénégalaise :

« Les évolutions de la vie politique sénégalaise depuis l‟indépendance se sont accompagnées d‟oscillations non moins importantes dans la littérature d‟analyse qui en traite. Dans un premier temps, des travaux ont montré l‟ancienneté de l‟enracinement des pratiques démocratiques au Sénégal –il s‟agit là d‟une histoire politique, centrée sur les villes et les élites "évoluées"».230

L’évolution politique est marquée par deux changements majeurs au sommet de l’État qui ont achevé de le faire passer comme une vitrine de la démocratie en Afrique de l’Ouest ; même si cette vitrine est par endroits craquelée.231

Le premier changement intervient en 1980 qui consacre l’accession à la présidence de la République d’Abdou Diouf comme successeur de Léopold Sédar Senghor, par une simple modification de la constitution. Mais le fait retient l’attention par le caractère presque inédit d’un chef

229 Direction de la prévision et de la statistique, Rapport de synthèse de la deuxième enquête sénégalaise

auprès des ménages, Dakar, Juillet 2004, p. 23.

230 In Dahou Tarik et Foucher Vincent (coord.), « Le Sénégal entre changement politique et révolution passive », Politique africaine, n° 96, décembre 2004, Paris, Karthala, 230 p.

231 C’est l’historien Mamadou Diouf qui parle du Sénégal comme d’une vitrine craquelée de la démocratie.

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d’État qui se retire volontairement des couloirs dorés du pouvoir dans un contexte africain globalement miné par les coups d’État, le système de parti unique, la présidence à vie et l’absence d’élections démocratiques. Le deuxième changement intervient en 2000, quand par un vote démocratique et dans un contexte totalement pacifique, Abdoulaye Wade arrive au pouvoir. Ce fait, à lui seul, a suffi à certains analystes pour décréter la maturité du modèle démocratique sénégalais au moment où un pays de la sous-région jusque-là réputé riche et stable, la Côte d’Ivoire, subissait son premier coup d’État et sombrait dans une crise, partie pour durer. Le deuxième changement politique, intervenu au Sénégal se déroule dans un contexte d’affirmation du pluralisme médiatique avec le pôle des médias du service public, relais des activités du pouvoir en place et instrument de propagande politique pour le parti au pouvoir, contrebalancé par le pôle des médias dits privés qui ouvrent largement leurs colonnes aux partis d’opposition et instaurent de fait un équilibre dans la circulation de l’information et la diffusion des idées.

Ce rôle des médias privés a été déterminant selon certains analystes232 dans la réalisation de l’alternance politique au Sénégal en 2000. Il n’en demeure pas moins que les deux pôles continuent à coexister dans un paysage médiatique dont la mue n’est pas totalement achevée. En effet le Sénégal s’est installé dans le paradoxe d’un pays où existe un pluralisme dont la source remonte à la période coloniale avec une floraison de titres mais qui connaît encore de fortes résistances dans la libéralisation des fréquences télévisuelles ; 40 ans après les indépendances, il n’existait encore qu’une seule chaîne de télévision.233 L’organisation de l’octroi des licences télévisuelles constitue un des derniers bastions du pluralisme qui reste à conquérir par les organisations professionnelles de la presse sénégalaise même si la situation a beaucoup évolué depuis 2000.

1.1.3 De l’ouverture médiatique à la pensée moderniste

Le Sénégal compte aujourd’hui une vingtaine de quotidiens, plusieurs fréquences radios ainsi que plusieurs fréquences télévisuelles autorisées par l’État. Un long

232

Mamadou Ndiaye, Le rôle des médias privés dans la réalisation de l‟alternance politique au Sénégal, op, cit.

233 « Avant 1939, le Sénégal a connu 17 périodiques officiels, 52 journaux politiques ou d’information, 13 publications diverses. » in André-Jean Tudesq, Journaux et radios en Afrique aux XIXe et XXe siècles, GRET, 1998, p. 46 ; malgré tout, cela ne fait à peine qu’une décennie, après le règne sans partage de la RTS, que sont arrivées les chaînes suivantes : Walf TV, RDV, TFM, 2STV, Canal Infos News, Africa 7 et Touba TV.

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chemin a donc été parcouru depuis le XIXe siècle. Du pluralisme urbain on est passé par le pluralisme politique pour en arriver finalement au pluralisme médiatique presque intégral. L’interaction de ces différents types de pluralisme va contribuer à l’émergence d’une société de type moderne au Sénégal. Les élections de 2000 ont été marquées par l’intrusion d’un nouvel acteur de la gouvernance électorale : les médias ont ainsi démontré par un suivi vigilant et une diffusion en temps réel des résultats du scrutin, leur capacité à contribuer à la transparence. Ce dynamisme ne doit pas être déconnecté du contexte global, caractérisé par une diversification des supports de l’information, notamment virtuelle. La presse en ligne est désormais une nouvelle donne de l’information urbaine.234

On compte désormais plusieurs webzines sénégalais sur la toile ; c’est dire que l’internet est en train de jouer un important rôle dans la diffusion des idées et la consolidation de l’urbanité au même titre que l’imprimerie aux débuts de la presse. L’aventure médiatique au Sénégal est essentiellement une aventure urbaine. Cela laisse des traces dans les contenus et les moyens utilisés pour la diffusion de l’information. De manière implicite et peut-être même inconsciente, la presse prend le parti de l’urbanité et s’installe dans un confort favorable à la diffusion d’une pensée de type « moderniste ». Cette mise en contexte très rapide nous permettra de situer nos hypothèses et nos analyses ultérieures sur la naissance et le développement de la presse au Sénégal.

(Le tableau ci-après est produit pour appuyer notre propos sur les disparités dans des domaines pertinents pour notre travail.)

234 Pour avoir une idée globale et précise des débuts de la presse en ligne en Afrique voir Annie Lenoble-Bart, « Infos riches et infos pauvres : "fossé numérique et solidarité numérique" dans la cyberpresse en Afrique », Netsuds, n° 1, août 2003, pp. 77-87.

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Sénégal superficie : 196 712 km2 Densité (Nbre d’habitants / km2) en 2008 (Projection ANSD): 60

Taux d’urbanisation : 46,8 (source agence nationale de la statistique)

Population 12 171 265 en 2009 Taux brut de scolarisation en Taux net de scolarisation en (Source : Agence nationale de la

statistique)

% (2007). (Annuaire 2007 MEN) : 86

% (2007). (source : Annuaire 2007 MEN) : 75,5

Medias Radio Télévision Internet

81 à Dakar contre 73 rural (2004) 55 à Dakar contre 7 en milieu rural (2004)

Abonnés ADSL : 95412 (2010); taux de connexion des ménages : 4,0%. (10,1% à Dakar)

Téléphone Lignes fixes Densité lignes fixes téléphone mobile 48,6% des lignes se trouvent à

Dakar soit 29% des ménages, (2009)

2,4 fois plus élevé pour Dakar (2009)

10 712 052abonnés (source ARTP, 2010)

Ordinateurs Dakar Reste du pays

27,5 pour 100 ménages (2004) 11,7 pour 100 ménages (2004)

Internet Bande passante : 6,5 Gbps (ARTP 2011)

Taux de pénétration : 15,7% de la population

3475 noms de domaine «.sn » (NIC Sénégal 2012)

Tableau 3- Disparités Dakar/reste du pays à partir de données générales

Sources : Rapport de synthèse de la deuxième enquête sénégalaise auprès des ménages, Dakar, Juillet 2004 ; Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), Enquête Nationale sur les Technologies de

l’Information et de la Communication au Sénégal (ENTICS) pour le compte de l’ARTP, 2009 ; Apix, Fiche d’opportunité dans les TIC et téléservices au Sénégal, Dakar, 2011, Annuaire Ministère de l’éducation nationale,

ARTP, Observatoire de la téléphonie mobile, 30 juin 2012

À travers des données tirées de sources officielles, ce tableau montre la place démesurée de la capitale par rapport au reste du pays. La densité téléphonique est presque trois fois plus élevée à Dakar, le taux de connexion à l’internet dans la capitale fait plus du double de la moyenne nationale. On constate un clivage moins profond pour la radio, peut-être dû à l’ancienneté et la nature de ce medium qui fait son apparition en 1939 avec Radio-Sénégal. On perçoit déjà une « urbanité » plus marquée de la télévision et de l’internet par rapport à la radio. L’analyse comparative sera plus poussée en y intégrant la presse qui constitue un îlot spécifique.

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