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CHAPITRE 1 : MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE ET JUSTIFICATION DU CORPUS

1.4 M ÉTHODOLOGIE

Les médias dans notre approche appartiennent au cadre urbain ; ils apparaissent comme un des éléments de ce phénomène. Les interactions entre ces deux éléments (ville-médias) seront mieux explicitées et analysées. Notre étude consiste à avancer que la ville comme signifiant de la modernité est, pour une large part un construit ; ce signifiant prend des formes accréditées et renforcées par le discours médiatique. Notre démarche consistera donc à contextualiser les médias dans le cadre urbain. Elle nous oriente par conséquent vers l’approche constructiviste en ce qu’elle permet une meilleure analyse de l’idée de modernité comme construction médiatique et sociale. Cela amène à s’interroger dans une démarche critique sur la « vérité médiatique » qui de ce fait n’acquiert du sens que « par rapport à un ensemble social donné et par rapport à l’accord des acteurs sur sa définition ». Si l’on se réfère aux éléments fournis par Alex Mucchielli, cette vérité est d’abord une sorte de « sens commun » pour un groupe avant d’être une construction scientifique pour les chercheurs dont l’objectif est d’en rendre compte.52

Pour explorer cette « vérité », un questionnaire recueille des données auprès de journalistes, habitués à traiter la matière urbaine. Ces données sont utilisées dans l’interprétation de certains éléments du corpus.

Des hypothèses sont formulées sur de présumées relations entre les variables de notre recherche ; elles sont mises à l’épreuve du corpus dans une démarche de compréhension des phénomènes étudiés53. Ces hypothèses sont confrontées aux

51 In Momar Coumba Diop (dir.), Le Sénégal à l‟heure de l‟information, op. cit., p. 26.

52 Alex Mucchielli, Claire Noy, Études des communications : approches constructivistes, Paris, Armand Colin, 2005, p. 23.

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Luc Bonneville et alii, Introduction aux méthodes de recherche en communication, Montréal, Les éditions de la Chenelière Inc., 2007.

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résultats auxquels nous aboutissons dans l’analyse du corpus dans la troisième partie, ce qui permet de faire le point sur la pertinence des points soulevés. Dans notre méthode d’analyse, les formes urbaines comme lieu de fixation de la modernité ont guidé notre collecte de l’information. L’espace et ses contraintes, la territorialité et ses limites, la citadinité et ses modes d’expression, les formes et leurs significations nous servent à faire ressortir de profondes interactions par le biais d’un corpus. Notre analyse est presque dictée par le lexique urbain qui sert de repère et dont il faut rechercher les « correspondances » dans les médias. Car nous ne perdons pas de vue que la ville nous sert de matière première. Ce qui permet de mieux éclairer le travail de construction à l’œuvre dans la presse. Depuis Berger et Luckmann, l’École dite de la phénoménologie sociale a démontré avec pertinence le processus de construction sociale de toute réalité partagée. Selon cette approche, ce travail de construction des réalités se fait alors de manière collective sur la base de règles partagées.54 C’est pourquoi le champ médiatique est considéré dans son ensemble et dans le temps, démarche qui a l’avantage de donner une vue globale de l’influence de la ville sur chaque type de média (radio, télévision, presse).55

Pour autant, si la constitution d’un « espace public »56 est évoquée sous l’angle d’un pluralisme induit par la ville, la primauté est surtout donnée à la structure du complexe « urbano-médiatique ». Car notre postulat est qu’on ne peut dissocier ville et médias selon les hypothèses émises au début pour éclairer notre démarche. Nous ne nous situons pas dans le sens d’une approche de type déterministe qui privilégierait une interdépendance entre infrastructure et superstructure ; ce qui pourrait être le propre d’une analyse marxiste.

Le repérage de nos mots clés s’est fait d’abord à partir de la revue de la littérature qui nous a permis de déceler des enjeux de recherche à travers certaines considération de chercheurs en SIC (Isabelle Pailliart, Bernard Miège, Armant Mattelart,…) indiquant des relations établies ou à explorer vers d’autres champs disciplinaires ou d’autres approches (géographie surtout). Progressivement nous avons construit un réseau sémantique cohérent autour des SIC (médias, information, communication) et d’autres

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Berger P., Luckmann T., La construction sociale de la réalité, Klincksieck, 1986

55 « Certains facteurs explicatifs d’un phénomène, en effet, ne peuvent être mis à jour que par l’étude du développement de ce phénomène. », in Maurice Angers, Initiation pratique à la méthodologie des

sciences humaines, Québec, Éd. CEC inc., 1996, pp. 38-39.

56Jürgen Habermas a donné ses lettres de noblesse à ce concept d’où découle celui de publicité dans son ouvrage de référence L‟espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1986.

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approches et/ou directions scientifiques (territorialité, sémiosphère, urbanité, modernisation, modernité ). Nos hypothèses de travail sont ensuite venues nous aider à problématiser des relations conceptuelles présumées.

1.4.1 Médias et complexité linguistique

L’étude des médias à travers un corpus de presse écrite est un choix méthodologique. Nous pensons ainsi analyser de manière plus pertinente l’urbanité intrinsèque des supports écrits sans pour autant ignorer les autres types de médias dans la contextualisation. Des développements sont donc consacrés, dans la troisième partie, aux médiums linguistiques utilisés par les médias en milieu urbain. Une analyse est proposée des différentes langues en cours car, pensons-nous, le contexte urbain développe une capacité sans pareil à attirer son monde et à le mouler dans ses règles. L’efficacité de son modèle passe nécessairement par une ou des langues capables de produire du sens. Ne l’oublions pas, l’aptitude à comprendre les langues secrétées par la ville constitue d’une part un moyen de socialisation pour les habitants et un moyen de survie pour les médias. En atteste d’ailleurs la forte disparition de ces organes d’information qui ont eu du mal à s’adapter dans un contexte ayant ses exigences propres (Cf. Annexe 6). Au-delà des langues, la maîtrise des langages de la ville est aussi un gage de survie pour les médias. Nous verrons dans l’analyse du contexte que certains types de supports médiatiques semblent avoir été consacrés par la ville comme moyens de communication dont le degré d’urbanité se mesure selon des critères précis. Certains médias sont - et c’est notre postulat - plus urbains que d’autres.57

Il s’agit à travers la description de l’avènement des médias au Sénégal dans notre chronologie historique, de proposer une explication cohérente de ce que nous avançons. Avec la question des langues se trouve posé d’une autre manière, le problème du pluralisme dans l’espace urbain. On verra dans des développements ultérieurs que la question linguistique dans les médias occupe une place importante dans l’analyse de la modernité. Elle revient également dans l’analyse des contenus et programmes d’information, en rapport avec le niveau d’instruction et aspirations des différentes catégories des personnes cibles.

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Voir tableau comparatif sur l‟urbanité des différents types de médias : « Médias et dépendance

43 1.4.2 L’internet, une nouvelle donne

L’internet est lié à la ville sénégalaise et son évolution. Sa prise en compte peut s’avérer utile à travers les éléments du corpus utilisés dans l’analyse de la modernité. Son développement est lié au secteur de la téléphonie où on note la présence massive de deux opérateurs principaux. La Sonatel, une filiale de France Telecom (Orange) et Sentel, filiale de Millicom Cellular Company.58 Ces deux sociétés sont en concurrence sur le réseau mobile, le réseau filaire fixe étant un monopole exclusif de la Sonatel. Cette situation est décriée tant par les abonnés que par les revendeurs de services de la Sonatel. Un troisième opérateur annoncé dans le secteur depuis longtemps par la presse s’est finalement installé. Il s’agit d’Expresso, filiale du soudanais Sudatel, adjudicataire d’une licence globale (mobile, fixe, internet). Aujourd’hui les abonnés de la téléphonie mobile, tous opérateurs confondus, dépassent les 10 millions sur environ 12 à 13 millions d’habitants.59

La régulation du secteur a d’abord été confiée à l’Agence de régulation des télécommunications (ART). Ayant vu ses compétences étendues au domaine postal, elle est devenue Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) par la loi n°2006-02 du 4 janvier 2006. Le domaine des technologies a très tôt suscité l’intérêt des institutions de développement en partenariat avec le Sénégal.

Des organismes comme le Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI), la Banque mondiale, le PNUD et l’USAID ont initié de vastes programmes pour implanter durablement l’internet au Sénégal. Ainsi en 1996 a été lancé le programme Acacia par le CRDI à la conférence de Midrand en Afrique du Sud. L’initiative Leland est implantée en 1996 par les États-Unis, et la Banque mondiale s’implique avec World links for development (1997-1998) et Infodev.60

À cela il faut ajouter des initiatives d’ONG et de la société civile qui contribuent à populariser les Technologies de l’information. L’action de l’ONG internationale Enda Tiers monde comme fournisseur d’accès et hébergeur de sites web est à noter dès 1992.On peut dire que c’est un environnement global favorable qui permet aux

58 La Sonatel est devenue Orange Sénégal et la Sentel Tigo. « Orange détient 63% de parts de marché,

Tigo 32,7% et Expresso 4,3% » in Union international des télécommunications, Aperçu du marché du Sénégal en 2010, Base de données de l’IUT sur les indicateurs des télécommunications/TIC dans le monde.

59De 7,5 millions en début de l’année 2012, ce chiffre est monté à « 10 712052 abonnés au mobile » en quelques mois in ARTP, Observatoire de la téléphonie mobile : données chiffrées au 30 juin 2012, juin 2012.

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organes de diffusion médiatique de mettre leurs contenus en ligne. Progressivement, les professionnels des médias ont perçu l’enjeu d’une existence sur le net. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui on peut noter une présence honorable de plusieurs journaux, radios et télévisions en ligne.61 Les formats numériques se sont imposés comme une voie d’avenir et le Soleil propose actuellement l’intégrale de son édition du jour en téléchargement. Le quotidien Walfadjri a reçu un prix international pour la qualité de son site en 1998. C’est dire que l’enjeu de la maîtrise des standards du web est bien perçu.62 Il faut reconnaître aujourd’hui que la plupart des titres mettent en ligne une information à jour, à travers des sites conviviaux avec une charte graphique et un design cohérents. Les évolutions du secteur des TIC ont eu des répercussions positives dans la présentation de l’information en ligne. Certains organes de presse en sont à leur deuxième ou troisième mouture de site web. C’est le cas du Soleil, de Walfadjri, de Sudonline. Certains, organisés sous forme de portails d’information sur le Sénégal, proposent l’ensemble des informations du jour issues de la presse quotidienne sénégalaise et/ou africaine. Seneweb.com, Nettali.com, Xibaar.com, Allafrica.com (Allafrica, portail africain avec des pages d’information consacrées au Sénégal) sont à ranger dans cette catégorie. Ces portails sont généralistes et relaient l’information issue des journaux africains et sénégalais. Des sites, comme xalima.com, proposent les radios de la place en écoute sur internet.

D’ailleurs certains journaux organisent en ligne des sondages sur des questions politiques, sondages pourtant interdits par la loi au Sénégal mais il semble que le virtuel ait réussi à fonder son propre territoire. L’internet a induit de nouvelles pratiques et créé un nouveau rapport à l’information en lien avec la démocratie. Gageons que le législateur finira par s’adapter aux nouvelles réalités charriées par les TIC. La téléphonie par internet, illégale à ses débuts, offre l’exemple patent d’un domaine où la répression est la voie la moins indiquée pour suivre les évolutions d’un secteur en mutation rapide.

Il faut cependant noter qu’au Sénégal, l’internet demeure une réalité profondément urbaine, un phénomène élitaire ou élitiste, malgré les conquêtes de l’ADSL. Car il accentue le clivage entre zones urbaines et zones rurales où les possibilités de connexion sont de loin plus réduites, les opérateurs principaux étant occupés à rentabiliser leurs investissements auprès de la clientèle urbaine. Les rares tentatives de

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Voir en annexes 2&3 : Listes des sites web de journaux et de la presse en ligne.

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connecter le monde rural sont le fait d’organismes ou de projets de développement fortement subventionnés par l’UNESCO, le PNUD, etc.

Nous reviendrons avec une attention plus soutenue sur les développements de l’internet parce qu’il apparaît comme une porte d’entrée intéressante dans l’évolution de l’industrie de l’information au Sénégal mais également parce qu’il concentre tous les préjugés favorables d’un développement urbain prétendument tourné vers la modernité. L’internet se positionne d’ailleurs comme un des lieux stratégiques d’inscription de la modernité, un espace nouveau qui induit de nouveaux modes de vie.63

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