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Il se demanda : comment se fait-il qu’il y ait quelque chose plutôt que rien ?

Dans le document Le plus vrai. est l autre (Page 23-29)

Le jeune homme regarda furtivement par la faille de la serrure qui laissait entrevoir la chambre de l’autre côté. Il observa des formes, des couleurs, des choses qui bougeaient. Lorsque son œil aurait accommodé, il verrait mieux. Mais ce qu’il vit le terrifia. Les formes s’estompèrent, les couleurs s’effacèrent, il n’y avait plus que du blanc et du noir, bientôt seulement du gris. Les choses s’immobilisèrent. Ce qui se passait là pesait lourd. Comment la terre pouvait-elle porter, supporter, un tel spectacle ? L’air était compact, métallique, sans espace. L’ordre était radical, tout était en ordre en effet. Le temps même s’était arrêté. Rien, jamais plus. Le jeune homme s’interrogea : comment peut-il n’y avoir rien plutôt que quelque chose ?

Il préféra avancer de quelques pas, vers l’autre porte et son filet de lumière, pour entrevoir. Mais alors, c’était comme si la chambre, par minces bouffées, sortait par la faille de la serrure. Il vit ce qui pouvait avoir été des meubles, des objets, des formes humaines, qui s’allongeaient, se gauchissaient, s’étiraient, sortaient de la pièce par vagues. Mais où allaient-elles ces choses et ces formes ? Elles procédaient par ruses, et détours. Progressivement elles enveloppaient le jeune homme. Il était chaque seconde plus enserré, presque totalement recouvert. Si seulement ce n’était rien, pensa-t-il pour se réconforter. Mais c’était quelque chose, c’était trop, c’était plein, et cela envahissait.

Il se demanda : comment se fait-il qu’il y ait quelque chose plutôt que rien ?

24 Il chercha une autre chambre. Etait-ce la sienne ? Il voulut rentrer. Il poussa très fort.

La porte résistait, ne voulait pas s’ouvrir. Il s’épuisa, il se découragea. Il renonça à

forcer le passage. Pour ne pas tomber, il s’accrocha à la poignée. En réalité, la porte

n’était pas fermée, elle s’ouvrait simplement, mais dans l’autre sens, vers le jeune

homme. Il put entrer. Il sut qu’il était chez lui. Un souffle vint du fond de lui-même et

l’emplit de sérénité, douceur et volupté. Il ne cherchait plus, il s’était laissé trouver.

25 10

dimanche 4 décembre 2005

TU REGARDES

1

Tu es dans la forêt de Chaux en juillet. Seul. Soudain le paysage s’est retourné. Il était anonyme, gris et frileux. Il est à présent peint de couleurs joyeuses, l’air est chaud, les arbres s’inclinent, si doux est le vent.

2

Tu es sur la colline du Mont Roland. Le ciel est lourd et tes chaussures, dures la terre et ton âme, les êtres absents. La colline s’est renversée dans le sol meurtri, elle pleure.

3

Tu es au bord du Gardon qui coule dans les Cévennes du sud. Le soleil brunit les peaux et les pétrit de volupté. Dans les eaux fraîches du torrent, tu sais : les doutes se sont effacés et les nuages s’estompent au-dessus des bois et des montagnes.

4

Tu écris dans la forêt chaude au bord du cirque de Baume-les-Messieurs, cet été, sur ta chaise pliante et souple qui t’accueille. Ton cahier t’écoute et te caresse, c’est ton violon et il vibre. La source au fond du vallon va son chemin.

5

Tu te réveilles sans y parvenir, ton corps douloureux de mal-être, le monde montre ses griffes et les gens leurs dents méchantes. Tu es loin de chez toi, en terre étrangère et hostile. Hiver en été.

6

Tu regardes cette petite fille qui vient de naître. Elle perce la surface de l’existence, elle fulgure le miracle qui sourd des entrailles. Le monde se tient debout, il avance et bondit. Tu jouis de l’horizon qui t’attire à lui et t’appelle.

26 11

dimanche 4 décembre 2005

SANS ISSUE

L’homme avance sur le trottoir et va à son rendez-vous. Elle l’attend. Mais elle est si capricieuse - autant qu’elle est adorable. Le moindre retard pourrait tout perdre.

Arriver à l’heure, tel est le souci.

Devant l’homme, un vieux couple. Ils marchent côte à côte. Va-il les doubler à droite ? Il essaye. Mais les deux anciens prennent soudain la partie droite du trottoir.

Voyant un passage sur la partie gauche, changement de tactique, il s’avance dans cette direction. Mais ces deux-là vont à nouveau musarder du côté gauche. Impasse subite.

Deux fois, trois fois, la méchante scène se reproduit… Impossible de passer. Entre le mur des immeubles et les voitures en stationnement le long du trottoir, ils occupent tout le terrain. Pas d’issues pour passer.

Il devine à leur silhouette que ces deux-là sont des nantis, qui ne s’en sont jamais fait dans leur vie et qui ne pensent qu’à eux. Sûrement qu’ils ont passé leur vie à se regarder avec complaisance en leur miroir doré. Il voit bien qu’ils sont de la race des salauds. D’ailleurs que faisaient-ils dans les années quarante ? À leur allure, guère de doute qu’ils devaient être dans la milice, s’ils étaient français. Ce sont des allemands ? Alors ils étaient si complaisants avec les partisans de l’odieux tyran sanguinaire. On sent bien ces choses-là…

L’homme est exaspéré. Mais il est résolu.

Il est grand. Il est fort. Il a des bras puissants et de solides mains.

Une alliance subite et calme se réalise entre sa main droite et sa main gauche.

La main gauche se lève et exerce une pression latérale discrète et très ferme sur une tête, celle située de ce côté. Une démarche symétrique s’opère de l’autre main sur l’autre tête.

Les deux crânes du couple pervers se heurtent violement et efficacement. Les deux corps s’abaissent soudain, plongent vers le trottoir. Ils ont quand même temps de crier un peu.

Le chemin est libre.

27 12

vendredi 16 décembre 2005

PATIENCE

Pour rencontrer ce qu’il me plait Mais pas trop tôt et pas trop vite

Que ça mijote et à feu doux C’est un désir, il est violent Mais il sait attendre longtemps

Il brûle mais il ne se consume Il éclaire toute la vallée

Donne vie à tout ce qu’il touche Il couve, il couve

Vous voulez savoir vite, vite ? Attendez encore un peu

C’est l’énergie De quoi, de qui ?

C’est féminin ou masculin ? Pour les hommes c’est le féminin Pour les femmes c’est le masculin

Est-ce l’amour de la patience Ou la patience de l’amour ?

28 13

Vendredi 6 janvier 2006

JEAN-PIERRE

Moi, ce Jean-Pierre, il m’a laissé un souvenir vraiment très précis, il n’y a pas beaucoup de copains de classe ou d’ailleurs, de notre jeunesse, qui avaient une personnalité aussi forte, et ce caractère de fer, et cette intelligence pénétrante et cette hardiesse, cette audace dans la vie. Je vois bien que tu es d’accord avec moi….

Tu te rappelles, on était en classe de 3ème, fin juin, au lycée de l’Arc, en cours de français, chez Monsieur Lance, qu’on appelait la gazelle. Jean-Pierre avait mis, juste avant qu’on entre en cours, les deux pieds de la table du prof, sur l’estrade, les deux pieds justes à la limite, sur le bord de l’estrade, vers la salle. Il suffisait qu’on touche à peine la table pour qu’elle pique du nez et se retourne les quatre fers en l’air au centre de l’allée centrale.

La gazelle rentre, pose son cartable sur la table. Et patatrac, la table roule comme un boulet jusque vers le poêle au milieu de la salle de classe.

Alors, dans le même instant, une odeur forte, puante et pénétrante envahit tout, intenable.

Bien sûr, tu savais comme moi que c’était Jean-Pierre qui avait fait le coup, le double coup de la table basculante et de la boule puante pour accompagner le mouvement …

Tu te souviens de la panique. C’était juste avant la fin des classes, quelques jours avant la distribution des prix. Jean-Pierre devait avoir le prix d’excellence, tout le monde le savait, et le premier prix de maths et de français et d’allemand, bref, j’arrête…

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