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Lors de la grossesse, l’élargissement de la peau pour accueillir le bébé et la capacité de la femme à adapter son psychisme témoignent de la souplesse de son enveloppe psychocorporelle, indispensable pour éviter la rigidité psychique selon Doron (2003). La fonction limitante de l’enveloppe se trouve remise en question. Petit à petit, la femme se sépare psychiquement de son bébé, il devient un être à part entière, tout en étant à l’intérieur de son enveloppe. Le soi et le non-soi sont dans un même corps et en même temps, doivent être différenciés. Les limites deviennent floues. Selon Doron (2003), une atteinte de l’enveloppe pourrait entraîner une confusion entre le monde interne et le monde externe. J’ai pu observer cela avec Mme Lou. Ses propos mettent parfois à distance l’enfant qui est en elle, et parfois ils l’incluent. Lorsqu’elle fait quelque chose, elle emploie le pronom « on », par exemple « on a regardé la télé », ce qui signifie qu’elle différencie son enfant d’elle-même : « on », c’est elle et lui. Mais lorsqu’elle dit « ça bouge la-dedans » : « ça » correspond à son enfant. Il n’est plus vraiment une personne distinguée mais quelque chose qui bouge à l’intérieur d’elle. La limite dedans/dehors, la distinction entre soi et l’autre, à l’intérieur de soi, l’identification inévitable à son fœtus, sont autant de problématiques à rapporter à l’enveloppe. Mais cette atteinte de l’enveloppe n’est pas le signe d’un trouble psychiatrique, elle est normale et inhérente à la grossesse.

Lorsqu’une femme est hospitalisée pour MAP, sont col est ouvert. L’enveloppe corporelle est déchirée et ce, pour plusieurs jours voire plusieurs semaines. Il y a comme une défaillance de cette enveloppe, censée contenir et protéger le fœtus à l’intérieur. Elle n’est plus fiable. Je me suis posée la question de l’origine de la MAP. Pour certains psychanalystes, la MAP serait l’expression corporelle de l’inconscient qui

ne se sentirait pas apte à porter un enfant. Au vu du parcours de Mme Lou, cela semble lié. Elle a mis plusieurs années à tomber enceinte et cela est arrivé après l’agrément de l’agence d’adoption, comme si son inconscient attendait l’autorisation à être mère. Puis une fois enceinte, son corps à nouveau n’exprime pas cette maternité : son ventre s’arrondit à peine, sa poitrine grossie, du moins elle pense que c’est le cas. Mais aucun autre signe ne vient confirmer cette maternité. Comme si une fois encore, son inconscient n’est pas prêt à porter un enfant. Peut-être que l’enveloppe psychique est mise à mal par la présence d’un corps étranger, qu’inconsciemment elle ne conçoit pas encore accueillir un enfant et cela se traduirait par l’enveloppe physique qui s’ouvre comme pour rejeter le fœtus, provoquant une MAP.

Quand l’enfant est dans son ventre, la future maman commence déjà à interpréter les mouvements du fœtus qu’elle peut ressentir, à imaginer et fantasmer cet enfant. Elle prête son psychisme pour faire de lui une personne à part entière. Il s’agit d’un processus important pour investir l’enfant et devenir mère. Et le psychisme de la mère est une enveloppe pour le bébé. Mais lorsque l’enveloppe physique est altérée, qu’en est-il de l’enveloppe psychique ? Quand contenir l’enfant physiquement devient difficile, le contenir psychiquement s’avèrerait également impacté. Pour Mme Lou l’activité fantasmatique et onirique autour de son enfant semble pauvre. J’aurai pu aller plus loin en lui demandant si elle en rêvait par exemple. Mais le peu qu’elle disait sur lui était surtout lié à sa survie : je ne sais pas s’il sera là, s’il sera vivant, s’il sera en forme… Comme si d’une certaine manière il échappait aussi à son psychisme et qu’elle était dans l’impossibilité d’imaginer une suite pour lui. L’investissement du bébé semble compromis. Avec cette enveloppe physique « trouée », l’enveloppement psychique que Mme Lou apporte a son enfant semble fragile.

Mme Lou avait du mal à laisser paraître ses émotions. Elle avait en permanence le sourire et parlait très calmement. Elle semblait tout à fait sereine et pourtant, son tonus était assez élevé. Lâcher prise paraissait difficile : elle aidait aux mobilisations, elle ne prenait pas le temps de profiter de l’approfondissement, ré-ouvrait très vite les yeux. Elle avait également un fonctionnement très cérébral, était beaucoup dans la parole. Ce comportement de maîtrise était-il une réponse à un corps auquel elle ne peut faire confiance ? Était-ce une façon de ne pas lâcher son enfant ? Ne pas risquer de se détendre quelques instants au risque que le col se dilate et que l’enfant sorte ? Parfois, face à un corps qui trahit, la confiance en lui se perd et la maîtrise prend le dessus, « pour masquer ce qui peut se vivre comme une déchéance » (Potel, 2015, p.47). Tout cela dresse le portrait d’une femme qui semble être dans un hyper-contrôle. Ce tonus élevé et cette impression de contenance sont peut-être une carapace mise en place

pour substituer à l’enveloppe sur laquelle elle ne peut plus compter. D’ailleurs, elle avait toujours sa couverture sur elle, comme une seconde peau. Aussi, le fait qu’elle attende l’heure de notre rendez-vous pour télécharger une application de relaxation donne l’impression d’une « mise en scène ». Le recours à la sensorialité et à la contenance en psychomotricité pourraient ainsi faire sentir à Mme Lou sa propre qualité de contenance, et la restauration d’une enveloppe plus solide.

Il existe des cas où l’enveloppe psychique, si elle n’est pas suffisamment unifiée et contenante, va impacter la perception corporelle. C’est le cas de certains troubles psychiatriques, où des angoisses de morcellement peuvent se faire ressentir par exemple, reflétant le fonctionnement psychique du patient. Les patientes que j’ai rencontré n’ont pas de trouble psychiatrique. Cependant, il aurait pu être intéressant, pour Mme Lou notamment, de se faire une idée de son fonctionnement antérieur. Peut- être que Mme Lou a toujours eu une enveloppe fragile, qui a eu du mal à se constituer. La grossesse venant perturber son équilibre psychocorporel, l’enveloppe est peut-être devenue défaillante. Il aurait pu être intéressant d’aller questionner le vécu de cette enveloppe, au travers de bilan sensoriel par exemple.