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I.1.1. … corporelle

L’hospitalisation met la femme dans une situation de dépendance vis-à-vis du personnel médical. Son corps est comme à disposition : elle doit être en permanence disponible pour des monitoring, des prises de sang, des échographies… Elle l’accepte car elle sait que cela permet d’assurer une sécurité à son bébé. Mais son corps n’en reste pas moins objectalisé, vu comme un contenant. Certaines expriment même le sentiment d’être un « incubateur », réduite à « un ventre ».

Parfois, cette situation peut être vécue comme l’incapacité à pouvoir faire confiance à son corps. Pour Mme Toda, le personnel médical semble palier à une fonction qu’elle

ne peut plus assurer : protéger son enfant. Elle culpabilise beaucoup et a l’impression de n’avoir rien fait pour sa fille. Elle n’a pas pu aller au bout de la grossesse, la césarienne l’a empêchée d’être active dans l’accouchement, désormais les infirmières s’occupent de sa fille et elle les envie. Pour elle, c’est comme si le personnel soignant avait tout fait à sa place. La confiance en son propre corps apparait ébranlée, ce qu’elle exprime : « c’est mon corps qui a fait n’importe quoi », comme si son corps échappait à son contrôle. Dans cette phrase, elle semble dissocier son corps de sa pensée qui elle, voulait prendre soin de cet enfant. Dans une situation pareille, le corps semble ne pas répondre au psychisme, qui tente en vain de le contrôler. Le corps paraît représenté comme entité différente du psychisme, et leur lien serait alors altéré. Les divers conflits psychiques auxquels est en proie la femme enceinte vont s’exprimer par un ralentissement psychomoteur. Il s’agit d’un état dépressif que la femme traduit par la fatigue, « normale » car elle est enceinte. L’environnement médical anxiogène ne fait qu’accentuer cet état dépressif. Il met la femme dans une position de passivité face aux soins. Ce sont autant d’éléments qui altèrent la psychomotricité de la femme et font d’elle un objet plutôt qu’un sujet. Elle peut alors avoir la sensation de manquer d’emprise sur ce qu’il se passe pour elle et son bébé. Cette passivité semble encrée dans le comportement des femmes, du moins lors de leur hospitalisation. C’est ce que j’ai pu observer lors des séances de relaxation. Elles avaient souvent du mal à émettre une demande. Lorsque je posais des questions sur leurs préférences, comme être touchées ou non, la plupart répondaient « comme vous voulez ». Au moment de l’installation, elle ne savaient pas comment se positionner et demandaient ce qui m’arrangeait moi. Cela m’a paru être en lien avec l’habitude qu’elles ont de s’adapter et adapter leur corps aux soins apportés par personnel soignant. En psychomotricité, je voulais justement mettre en évidence le fait qu’elles sont décisionnaires de leur corps. Il s’agissait d’une occasion, d’un espace pour elle, pour vivre leur corps comme leur appartenant afin de se le réapproprier.

I.1.2. … temporelle

L’hospitalisation peut provoquer une effraction temporelle dans la vie de certaines femmes. Le cours de la grossesse est modifié, le risque de prématurité est souvent sous-jacent. Les repères spatio-temporels sont bousculés. L’idée que la femme se faisait d’une grossesse et d’un accouchement sereins, d’un enfant sain et né a terme, est remise en question. Pour Mme Belo, la temporalité s’est trouvée bouleversé. Elle

ne s’attendait pas à cette pré-éclampsie. Son hospitalisation a été brutale et il était difficile pour elle de ne pas savoir quand elle en sortira. Elle disait qu’elle se sent indépendante des médecins. Elle donne l’impression de perdre son autonomie. Etre mère, ou du moins le devenir, c’est prendre des décisions, choisir pour son enfant, le protéger… L’hôpital la prive indirectement de cette possibilité : ce sont les médecins qui prennent soin d’elle et de son enfant à présent. Pour elle, devenir mère passait aussi, et surtout, par la préparation du nid à la maison. L’hôpital vient une fois encore « l’empêcher » de faire, d’être actrice. Elle dit qu’elle ne se sent pas devenir mère en ne faisant rien. Le temps de préparation a été écourté. L’hospitalisation s’apparente à un obstacle dans la construction de son identité de mère, marquant peut-être une pause dans le processus de maternalité.

Lors de notre première rencontre, Mme Toda évoquait la difficulté de ne pas pouvoir sortir. Elle ne pouvait déjà pas le faire lorsqu’elle était chez elle, mais ce mal-être s’est accentué par les souvenirs liés à l’hôpital. Le lit médicalisé, les perfusions, le matériel qui l’entourait lui faisaient penser à l’hospitalisation de son père quelques mois auparavant. Le cadre hospitalier l’enfermait et la mettait face à des pensées douloureuses auxquelles elle ne pouvait échapper par le travail ou par les sorties, comme elle avait l’habitude de faire. Cette rupture avec son quotidien a imposé à Mme Toda une fin précoce à sa grossesse, une accélération de l’arrivée de sa fille. Cela a semblé précipiter l’élaboration de son identité de mère. Comme elle a pu le dire plus tard, les choses ne se sont pas déroulées aux bons moments, et elle sentait le besoin de remettre les choses dans l’ordre chronologique.