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Chapitre II-C: Etude de la différence de sensibilité de plusieurs organismes aux antioomycètes ciblant le site Qi du complexe bc 1

B. Identification des résidus impliqués dans la liaison des antioomycètes au site Qi

Comme on peut le voir sur la figure 42, le site Qi de la levure et des oomycètes est bien conservée mais il existe des variations qui pourraient expliquer la résistance de la levure aux antioomycètes.

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Figure 42: Alignement de séquences de la région Qi du cytochrome b. En bleu, les résidus conservés

entre S. cerevisiae et les autres organismes. Les astérisques noirs indiquent la position des résidus impliqués dans la résistance à des QoIs (Tableau 1) et les verts indiquent les acides aminés, dans l’enzyme bovine, qui seraient en contact avec l’antimycine (Huang et al. 2005). En rouge, les résidus qui diffèrent entre les trois oomycètes et la levure aux positions indiquées par les astérisques. En gras, les résidus introduits dans la levure.

Nous nous concentrerons principalement sur les résidus impliqués dans la liaison à l’antimycine et à l’ubiquinol (Huang et al. 2005; Hunte et al. 2000) et sur les résidus impliqués dans des résistances aux QiIs comme l’HQNO et l’Ilicicoline H (Tableau 1) pour la construction des premiers mutants. Les résidus des oomycètes signalés en rouge et gras dans la figure 42 seront donc introduits progressivement dans l’enzyme de S. cerevisiae afin d’obtenir un site Qi sensible aux antioomycètes. Les leucines aux positions 17, 27 et 195 ne seront pas introduites car elles sont également présentes chez des organismes résistants aux antioomycètes et n’entrainent pas, a priori, un énorme changement. Tout comme les leucines, la phénylalanine en position 221 est retrouvée chez des organismes résistants à ces drogues et ne sera donc pas introduite.

Nous avons étudié aussi l’effet des antioomycètes sur la croissance de deux autres organismes : l’algue Chlamydomonas reinhardtii et le parasite Plasmodium falciparum qui présente des variations communes avec les oomycètes comme illustré dans la figure 42. Les données obtenues devraient nous indiquer quels résidus pourraient être impliqués dans la sensibilité différentielle et nous guider pour la construction du site Qi

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Stone Doggett, notre collaborateur à l’Université d’Oregon, a testé le cyazofamide et l’ametoctradine sur la prolifération du protozoaire. Comme la levure, Plasmodium est insensible au cyazofamide avec une IC50 > 25 µM et a une sensibilité modérée à l’ametoctradine avec une IC50 d’environ 1 µM ; l’IC50 pour l’atovaquone est de l’ordre du nanomolaire.

C. reinhardtii étant un organisme photosynthétique. L’étude de l’effet du cyazofamide, de l’amisulbrom et de l’ametoctradine sur la croissance de l’algue en milieu TAP (Tris-acétate phosphate ; milieu riche) a été faite dans deux conditions : à la lumière où la cellule va effectuer à la fois la respiration et la photosynthèse et à l’obscurité où l’organisme va uniquement respirer (Figure 43). A la lumière, la croissance de l’algue est inhibée uniquement en présence de cyazofamide. A l’obscurité, on observe également une inhibition de la croissance en présence de cyazofamide et une inhibition plus faible en présence des deux autres inhibiteurs. Nous avons également fait ces tests sur deux mutants : Δbc1 (complexe III de la chaine respiratoire) et Δb6f (complexe III de la chaine photosynthétique). A la lumière, le mutant Δ bc1, qui va uniquement faire de la photosynthèse, n’est pas inhibé par les antioomycètes ce qui suggère que le cyazofamide, qui inhibe la croissance de la souche sauvage à la lumière, se lie au niveau du complexe bc1. L’absence de croissance du mutant à l’obscurité est normale car le mutant ne peut pas respirer. Le mutant Δb6f à la lumière et à l’obscurité est inhibé par le cyazofamide ce qui confirme les résultats obtenus avec le mutant Δ bc1 à savoir une inhibition du complexe bc1 de l’algue par le cyazofamide puisque le mutant Δb6f est uniquement capable de respiration dans les deux conditions expérimentales. L’inhibition de la souche sauvage à l’obscurité par l’ametoctradine et l’amisulbrom est probablement un artéfact ou du moins n’a pas de lien avec le complexe bc1 puisqu’on ne voit pas d’inhibition des mutants par ces drogues. Dans ces expériences, la concentration en cyazofamide utilisée est de 100 µM ; des données préliminaires montrent que la croissance de l’algue est inhibée dès 1µM.

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Figure 43: Sensibilité/résistance de la croissance de C. reinhardtii (sauvage et mutants Δbc1 et Δb6f) aux antioomycètes. Les algues ont été cultivées deux jours, en milieu TAP contenant ou non 100µM

de la drogue, à la lumière (photosynthèse + respiration) et à l’obscurité (respiration). Ctrl : contrôle sans inhibiteur ; Amet : ametoctradine ; Amis : amisulbrom ; Cyazo : cyazofamide.

Pour résumé, la levure et Plasmodium sont modérément sensible à l’ametoctradine et insensible au cyazofamide ainsi qu’à l’amisulbrom dans le cas de la levure (la sensibilité du parasite à l’amisulbrom n’ayant pas été testé) tandis que Chlamydomonas est sensible au cyazofamide et insensible à l’ametoctradine et à l’amisulbrom.

Comme illustré figure 42, P. falciparum et C. reinhardtii présentent des variations communes avec les oomycètes. Ainsi, on retrouve une histidine en position 16 et une tyrosine en position 20 chez ces différents organismes. Or ils ne présentent pas de sensibilité commune à un des antioomycètes ; il semblerait donc que ces deux résidus ne soient pas impliqués dans la sensibilité différentielle à ces drogues. A contrario, les résidus Y/F30, G31, V91 et V204, seulement présents chez les oomycètes, pourraient expliquer la différence de sensibilité à l’amisulbrom entre les enzymes des phytopathogènes et celles de la levure, de l’algue et de Plasmodium. De manière intéressante, on retrouve une thréonine en position 22 uniquement chez les oomycètes et Chlamydomonas qui sont sensibles au cyazofamide suggérant une implication de ce résidu dans la liaison du cyazofamide au site Qi. L’ensemble de ces variations pourraient être introduites dans la levure afin d’obtenir un site Qi sensible aux antioomycètes.

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III. Conclusion et perspectives

Nous avons entrepris d’identifier les résidus impliqués dans la différence de sensibilité aux antioomycètes observée entre ces phytopathogènes et la levure. Pour cela, nous avons commencé à remplacer, pas à pas, des résidus de la levure par leur équivalent chez les oomycètes en ce concentrant dans un premier temps sur les résidus qui ont été décrits comme étant impliqués dans la liaison de l’antimycine (Huang et al. 2005) ou dans des résistances à des QiIs (Tableau 1). L’algue verte Chlamydomonas reinhardtii et le parasite Plasmodium falciparum partageant certaines variations avec les oomycètes, des tests de sensibilité de ces organismes aux drogues ont été effectués dans le but d’identifier certains des facteurs de la sensibilité différentielle. D’autres variations, en dehors des résidus sur lesquels nous nous sommes concentrés, pourraient également jouer un rôle dans ce processus. Par exemple, le résidu M29 qui est commun aux oomycètes et à Chlamydomonas pourrait être impliqué dans la liaison du cyazofamide. De ce fait, il sera peut-être nécessaire d’effectuer de nombreux changements afin d’obtenir un site Qi sensible aux trois antioomycètes. La construction in silico d’un modèle de l’enzyme des oomycètes par homologie avec des structures du complexe bc1

disponibles suivie d’une simulation de la liaison des drogues dans la poche catalytique Qi

pourrait également permettre d’identifier les changements à effectuer dans le cytochrome b ; tout comme la recherche d’algues résistantes au cyazofamide.

Les données obtenues apporteront des informations importantes pour la conception de nouvelles molécules capables d’inhiber spécifiquement le site Qi des oomycètes. Une fois le modèle obtenu, celui-ci pourra être utilisé pour cribler de nouveaux antioomycètes mais également pour suivre l’apparition de mutations de résistance. Ces expérimentations n’étant pas chose aisée chez les oomycètes.

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Conclusion du chapitre

A l’heure actuelle de nombreux fongicides du site Qo sont utilisés en agriculture pour lutter contre les phytopathogènes. Malheureusement, des mutations de résistance à ces drogues sont apparues assez rapidement après l’introduction des composés sur le marché ; parmi ces mutations, on trouve G143A qui confère un fort niveau de résistance. La mutation s’est propagée rapidement chez certains pathogènes tandis que chez d’autres espèces, elle n’a pas encore été détectée. Des études ont montré qu’il existe une différence dans la structure exon/intron du CYTB des champignons et oomycètes (Grasso et al. 2006). En effet, les espèces où la mutation n’a pas été détectée possèdent un intron après le codon G143. A l’aide de notre modèle « levure », nous avons pu montrer que la modification de ce codon empêche l’épissage de l’intron et que cela avait pour effet une diminution du niveau de cytochrome b et donc de la croissance respiratoire. Nous avons également montré que des mécanismes de « by-pass » qui pourraient permettre une restauration de la croissance sont possibles : restauration de l’appariement exon/intron nécessaire à l’épissage, perte de l’intron, augmentation de la concentration intramitochondriale en magnésium requis pour l’épissage. Ces données apportent des informations intéressantes sur la possible apparition de la mutation G143A chez les pathogènes possédants un intron. Face à l’émergence de mutations de résistance, il est nécessaire de rechercher de nouveaux composés capables d’inhiber la croissance de ces organismes résistants. Nous avons donc développé un test permettant d’identifier, au sein de chimiothèques, des molécules capables d’inhiber la fonction respiratoire. Nous avons ainsi pu identifier un nouvel inhibiteur du complexe bc1, d12, qui pourrait être développé comme fongicide car possédant des caractéristiques intéressantes: pas d’effet sur l’enzyme de mammifère et inhibe la croissance du mutant G143A et F129L. Un autre moyen de lutter contre les phytopathogènes résistants serait de développer des inhibiteurs du site Qi. Actuellement, les seuls fongicides QiIs commercialisés sont le cyazofamide, l’amisulbrom (et l’ametoctradine ?) mais ces drogues sont spécifiques des oomycètes. Nous avons cherché ici à identifier les résidus impliqués dans la sensibilité différentielle afin de créer, dans la levure, un site Qi mimant celui des oomycètes. Ce mutant pourra également servir à suivre l’évolution de la résistance aux QiIs.

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