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Dans le but d’obtenir des informations sur la base structurale de la différence de sensibilité aux inhibiteurs du site Qo entre l’enzyme de la levure, de l’Homme et de P. falciparum, nous avons comparé la sensibilité des différentes enzymes construites à deux antipaludiques : l’atovaquone, qui est le seul inhibiteur du complexe bc1 du parasite à être commercialisé et RCQ06, qui a été développé récemment. Nous avons également étudié la sensibilité de ces enzymes à l’azoxystrobine, un fongicide employé en agriculture. RCQ06 a été décrit lors d’une étude sur le développement de quinolones comme antipaludiques (Cowley et al. 2012). Il a été montré que ce composé inhibe efficacement le complexe bc1 du parasite ; l’IC50 est d’environ 1,3 nM ce qui est du même ordre que l’IC50 de l’atovaquone (Biagini et al. 2008). L’analyse in silico de la liaison de cet inhibiteur dans le site Qo du complexe suggère que cette molécule se fixe dans une position distale de l’hème bL et proximale du site de « docking » de Rip1 (Cowley et al. 2012), comme l’atovaquone. L’azoxystrobine, qui a également été testé, se fixe quant à elle dans une position proximale de l’hème bL et distal de Rip1 (Esser et al. 2004). L’activité du complexe bc1 des différentes constructions a été mesurée en présence de différentes concentrations en inhibiteurs afin de déterminer un IC50 permettant de comparer les différentes constructions (Tableau 6). Cette étude fait l’objet d’un article en préparation joint en annexe.

84 1. Sensibilité des mutants à l’atovaquone

Comme cela a été cité précédemment, le complexe bc1 de P. falciparum et de la levure sont fortement sensible à l’atovaquone tandis que l’enzyme de mammifère est moins réactive. L’introduction du variant L275F dans la levure rend l’enzyme de cette dernière résistante à l’atovaquone (rapport IC50 L275F / IC50 WT est de 40). L’introduction de deux autres variants humain, à savoir, F278A et M295L confère également une résistance au composé qui est, cependant, moins importante que celle induite par l’introduction d’une phénylalanine en position 275. La combinaison des trois mutations cause une augmentation de la résistance. Lorsque les variations humaines en position 133-136 et 141 sont introduites dans le triple mutant, la résistance à l’atovaquone est diminuée mais l’enzyme reste 11 fois plus résistance que l’enzyme de levure sauvage avec un rapport IC50/bc1 de 60 ce qui est proche du rapport IC50/bc1 de 75 obtenu pour l’enzyme bovine. Ces données suggèrent que la combinaison de F275, A278 et L295 dans le complexe bc1 humain est responsable de la faible réactivité de l’enzyme à l’atovaquone. Dans le cas du modèle « P. falciparum », lorsque la variation L275F est combinée à d’autres variations (VLPWY (PF2) ou Δ158-161 (PF4) ou résidus 283-299 (PF8) ou l’ensemble (PF7)), l’impact de F275 sur la sensibilité à l’atovaquone est diminué ; l’enzyme PF7 est même plus sensible que l’enzyme de levure sauvage. La sensibilité de l’enzyme du parasite à l’atovaquone pourrait donc s’expliquer par la combinaison de variations (VLPWY, Δ158-161, résidus 283-299) qui annulerait la résistance induite par F275.

2. Sensibilité des mutants à RCQ06

Comme cela a été décrit dans (Cowley et al. 2012) le complexe bc1 de P. falciparum est sensible à RCQ06. Cependant, et contrairement à l’atovaquone, l’enzyme de levure est fortement résistante au nouvel antipaludique (IC50/bc1 >500). De manière intéressante, l’introduction de la phénylalanine en position 275 n’induit pas une forte résistance, comme dans le cas de l’atovaquone, mais au contraire rend l’enzyme de levure fortement sensible à RCQ06 (IC50/bc1 de 10). Les autres variations humaines ou parasitaires, à l’exception de M295L (IC50/bc1 de 90), introduites chez la levure ne rendent pas l’enzyme plus sensible à la molécule. L’ensemble des mutants portant F275

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sont sensibles à l’inhibiteur (IC50/bc1 de 5 à 50). La délétion Δ158 -161 et les résidus 283-299 introduits dans la levure pour mimer l’enzyme de Plasmodium diminuent, cependant, l’effet de F275. RCQ06 serait donc, dans l’enzyme humaine et dans celle du parasite, stabilisé par un résidu aromatique en position 275 tandis que la liaison de l’atovaquone serait perturbée par ce résidu volumineux.

3. Sensibilité à l’azoxystrobine

L’atovaquone et RCQ06 se liant, tout deux, en position distale de l’hème bL et interagissant avec la protéine fer-soufre, nous avons voulu tester l’impact des variants humains et du parasite sur la sensibilité de l’enzyme à l’azoxystrobine qui se lie en position proximale de l’hème bL. L’enzyme de levure est sensible à ce QoI. L’azoxystrobine a une faible réactivité envers le complexe bc1 des mammifères. Aucune donnée n’est disponible pour le complexe bc1 de Plasmodium. Les résidus F275, A278 et L295 seuls ou combinés dans le modèle « humain» confèrent une résistance à l’azoxystrobine. Les changements en position 133-141 diminuent cette résistance. Comme pour l’atovaquone, la faible sensibilité de l’enzyme mammifère à l’azoxystrobine pourrait s’expliquer par la combinaison des trois résidus : F275, A278 et L295. Dans les mutants « Plasmodium », les résidus 275-299 confèrent une forte résistance à la molécule tandis que les variations 133-141 et la délétion des résidus 158-161 augmentent la sensibilité à l’azoxystrobine et masquent la résistance causée par F275. Il est probable que les changements structuraux induits par VLPWH et Δ158-161 stabilisent la drogue dans la poche catalytique.

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Tableau 6: Mutants du site Qo: sensibilité à l'atovaquone, RCQ06 et azoxystrobine. a Les valeurs présentées correspondent au rapport IC50 sur la concentration en complexe bc1 monomérique. Par exemple, 4 molécules d’atovaquone par complexe bc1 de levure sauvage sont nécessaires pour inhiber l’activité quinol-cytochrome c réductase de 50%. b (Biagini et al. 2008). c (Cowley et al. 2012). d Les mitochondries de bœuf ont été fournies par P. Rich, UCL, Londres.

enzyme IC50 inhibiteur/[bc1]a atovaquone azoxystrobine RCQ06 Plasmodium 3 nMb nd 1.3 nMc Bovined 75 180 40 Levure Mutants « Plasmodiumisés » WT 4 17 >500 PF7 VLPWY,Δ158-161,L275F,R283K,M295V,F296L,I299L 1 10 30 PF3 Δ158-161 12 (x3) 6 >500 PF4 VLPWY,Δ158-161,L275F 4 8 50 PF1 VLPWY 2 5 >500 PF2 VLPWY,L275F 10 16 10 PF8 L275F,R283K,M295V,F296L,I299L 16 (x2,5) 220 (x13) 40 Mutants humanisés WT 4 17 >500 LF L275F 150 (x35) 30 (x2) 10 FA F278A 35 (x9) 120 (x7) >500 ML M295L 10 (x2,5) 44 (2,5) 90 LFFA L275F,F278A 200 (x50) 130 (x8) 6 HS1 L275F,F278A,M295L 170 (x40) 160 (x9) 10 AB9 VLPWF 2 10 >500 AB21 VLPWF,L275F,F278A,M295L 60 (x15) 140 (x8) 10

III. Conclusion et perspectives

Les données obtenues ont montré que le résidu en position 275 joue un rôle clé dans la sensibilité différentielle à l’atovaquone et à RCQ06. En effet, l’introduction d’une phénylalanine dans le complexe bc1 de la levure induit une forte résistance à l’atovaquone probablement par encombrement stérique. Ce résidu, associé à A278 et L295, expliquerait la faible sensibilité de l’enzyme humain à l’atovaquone. Plasmodium qui possède une phénylalanine en position 275 est, contrairement à l’Homme, sensible à l’inhibiteur. Cette sensibilité de l’enzyme à la drogue pourrait s’expliquer par la

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combinaison des variations (VLPWY, Δ158-161, résidus 283-299) qui annule la résistance induite par F275 dans notre modèle. Pour le composé RCQ06, ce résidu expliquerait la sensibilité de l’enzyme humaine et du parasite à la molécule ; tous les mutants possédant cette phénylalanine étant sensible à cette drogue. L’introduction d’un résidu aromatique pourrait stabiliser la drogue dans la poche catalytique. Les données obtenues, d’une part, valident nos deux modèles – enzyme humanisée et enzyme « Plasmodiumisée » – et d’autre part, nous permettent de mieux comprendre les différences de sensibilité des enzymes de levure, humaine et du parasite aux QoIs.

Nous nous sommes intéressés aux résidus qui ont été décrits comme étant impliqués dans la liaison des inhibiteurs du site Qo (d’après des données structurales ou des mutations de résistance aux QoIs) mais nous ne pouvons pas exclure que d’autres résidus jouent également un rôle dans la sensibilité différentielle.

Les informations obtenues pourraient être utilisées pour la conception et les modèles, pour le criblage de nouveaux agents thérapeutiques. Nous avons développé, au cours de ma thèse, un test rapide pour cribler des molécules capables d’inhiber la fonction respiratoire. Ce test, décrit dans la partie B du chapitre II, pourrait être utilisé sur les mutants mimant les poches catalytiques de Plasmodium et de l’Homme afin d’identifier des molécules capables d’inhiber spécifiquement le complexe bc1 du parasite. Cependant, il est nécessaire pour ce test d’avoir des souches qui respirent suffisamment ce qui n’est pas le cas du mutant PF7. Au vu des résultats obtenus au cours de cette étude, il semble que la délétion des résidus 158-161 n’est pas un rôle majeur dans la sensibilité du parasite aux antipaludiques. De ce fait, une souche avec l’ensemble des mutations introduites dans PF7 à l’exception de la délétion pourrait être créée pour ce test. Le modèle « Plasmodium », en plus de permettre le design et le criblage de nouveaux composés, pourrait être utilisé pour suivre l’apparition des résistances aux inhibiteurs en développement.

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