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complexe bc1

Le paludisme est une maladie parasitaire endémique dans plus d’une centaine de pays de la zone intertropicale. L’organisation Mondiale de la Santé a estimé que sur près de 3 milliards d’individus exposés dans le monde, le paludisme a touché environ 216 millions de personnes en 2010 avec près de 655 000 cas mortels principalement des enfants de moins de cinq ans. Le continent africain est de loin le plus touché avec 81% des cas (Organisation mondiale de la Santé 2011).

L’agent responsable du paludisme est un protozoaire du genre Plasmodium. Cinq espèces infectent l’Homme : P. falciparum, P. vivax, P. malariae, P. ovale et P. knowlesi (pour revue, (Greenwood et al. 2008)). P. falciparum est responsable de la quasi-totalité des cas graves et mortels de paludisme. Le parasite alterne son cycle de développement entre deux hôtes : un moustique hématophage femelle du genre Anopheles et l’Homme chez qui on dénote deux phases, une phase hépatocytaire asymptomatique et une phase érythrocytaire symptomatique.

A partir des années 40, des molécules aux propriétés antipaludiques ont été développées comme la chloroquine qui inhibe la détoxification de l’hème en hémozoïne (Dorn et al. 1998) et la pyriméthamine et la sulfadoxine qui sont deux inhibiteurs de la synthèse des acides nucléiques (Ferone et al. 1969; Triglia et al. 1997). Cependant, des cas de résistance à ces drogues ont été rapportés (pour revue, (Le Bras et al. 2006)). De nouveaux composés ont alors été mis au point ; c’est le cas notamment de l’atovaquone, une hydroxynaphthoquinone, qui inhibe le complexe bc1 du parasite (Fry & Pudney 1992).

Quelques mots sur la chaîne respiratoire de Plasmodium…

Plasmodium se trouve chez le moustique dans un environnement riche en oxygène et dépourvu de glucose. L’ATP produit va alors provenir de la phosphorylation oxydative (Boysen & Matuschewski 2011). A contrario, chez l’Homme le parasite devient

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microaérophile et ne peut donc vivre qu’en présence d’une faible concentration en oxygène (optimum entre 0,5 et 3%) (Scheibel et al. 1979). De ce fait, sa principale source d’ATP provient non pas de la phosphorylation oxydative mais de la glycolyse anaérobie (Sherman 1979). Les enzymes de la chaîne respiratoire sont cependant présentes chez le parasite car elles vont avoir pour rôle de générer un potentiel de membrane nécessaire au transport de métabolites et de protéines à travers la membrane interne mitochondriale mais également de ré-oxyder des enzymes du métabolisme et, en particulier, la dihydroorotate déshydrogénase (DHOD) impliquée dans la synthèse des pyrimidines. La DHOD, localisée dans la membrane interne de la mitochondrie, a besoin pour fonctionner que le pool de quinones soit maintenu en place par le complexe bc1 car ces quinones vont lui servir d’accepteur d’électrons (Painter et al. 2007) (Figure 17). La synthèse des pyrimidines est essentielle à la survie du parasite puisqu’il est incapable d’utiliser celles de l’hôte (Van Dyke et al. 1970). La chaîne respiratoire du parasite va également permettre de réduire la formation d’espèces réactives de l’oxygène en éliminant l’oxygène.

Figure 17: Importance du complexe III dans le métabolisme de Plasmodium. Le complexe III va

participer à la production d’ATP et au maintien du potentiel de membrane nécessaire au transport des métabolites et des protéines à travers la membrane interne mais va également permettre la réoxydation de nombreuses enzymes du métabolisme (la glycérol-3-phosphate déshydrogénase (G3PDH), la malate:quinone oxydoréductase (MQO) et la dihydroorotate déshydrogénase (DHOD)). La DHOD est impliquée dans la synthèse des pyrimidines qui sont essentielles à la survie du parasite. En bleu, les enzymes de la chaîne respiratoire : I, complexe I alternatif ou NDH2 ; II, complexe II ; III, complexe III ; IV, complexe IV. En vert, la quinol (QH2) et la quinone (Q). En rouge, le cytochrome c. En orange, l’ATP synthase (V).

61 … et sur l’atovaquone

Figure 18: Structure de l'atovaquone

L’atovaquone (Figure 18) est à l’heure actuelle associée en thérapie à une autre molécule, le proguanil, sous le nom de Malarone®. Le proguanil métabolisé par l’organisme en cycloguanil va permettre d’inhiber la synthèse des purines et des pyrimidines au niveau de la dihydrofolate réductase parasitaire (Carrington et al. 1951) tandis que le proguanil non métabolisé va agir en synergie avec l’atovaquone sur le potentiel de membrane ; l’ajout de proguanil va ainsi permettre de multiplier par huit le niveau de dépolarisation membranaire dû à l’atovaquone seule (Srivastava & Vaidya 1999). La cible du proguanil n’a pas encore été identifiée contrairement à celle de l’atovaquone. Cette dernière présente l’avantage d’être active aux différents stades du cycle du parasite (Figure 19) et est bien toléré par les enfants et les femmes enceintes.

Figure 19: Activité de l’atovaquone à travers le cycle de vie de Plasmodium chez l’Homme (en rouge) et chez le moustique (en gris). L’atovaquone agit aux différents stades du cycle parasitaire chez

l’Homme (phase hépatocytaire et érythrocytaire) et chez le moustique (Figure adaptée de (Delves et al. 2012))

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Tout comme la stigmatelline et le myxothiazole, l’atovaquone est un inhibiteur compétitif spécifique du site Qo du complexe bc1 (Ki= 9 nM) (Kessl et al. 2003). Les travaux de Korsinczky et de Kessl présentés dans l’introduction de cette thèse ont permis d’établir un modèle de liaison de l’atovaquone à la poche catalytique Qo

(Korsinczky et al. 2000; Kessl et al. 2004, 2005). Ainsi, l’hydroxyle du cycle quinone de l’inhibiteur se lierait via une liaison hydrogène à l’azote de l’histidine 181 de Rip1 et le carbonyle en position 4 de ce même cycle interagirait via une molécule d’eau à l’acide glutamique 272 du cytochrome b (Figure 13). Le reste des interactions atovaquone-cytochrome b seraient essentiellement hydrophobes et impliqueraient des résidus à chaînes aromatiques ou aliphatiques proches de la drogue (résidus dans les régions 117-155 et 251-300 du cytochrome b).

L’atovaquone, en se fixant dans le complexe bc1, va entraîner une inhibition du transfert des électrons ainsi qu’une dépolarisation de la membrane (Srivastava et al. 1997). L’arrêt du transfert des électrons conduit à une inhibition de la respiration de 73% (Murphy & Lang-unnasch 1999) ainsi qu’à une inhibition importante de l’activité de la DHOD et, par conséquent, de la synthèse des pyrimidines (Ittarat et al. 1994). L’atovaquone pourrait également avoir des cibles secondaires telle que la DHOD, comme cela a été montré chez le rat (Hansen et al. 2004), ou des enzymes de la synthèse de l’ubiquinone, comme cela a été décrit chez Pneumocystis (Basselin et al. 2005).

Cette molécule est employée dans le traitement du paludisme car elle est efficace contre l’enzyme du parasite et possède une faible réactivité envers l’enzyme humaine. Cette différence de sensibilité pourrait s’expliquer par des variations entre la séquence du cytochrome b de ces deux organismes. Au cours de ma thèse, j’ai étudié l’impact de ces variations sur la sensibilité à l’atovaquone mais également à un autre antipaludique, RCQ06. Les résultats de cette étude sont décrits dans la partie A de ce chapitre et font l’objet d’une publication en préparation.

Malheureusement des résistances à l’atovaquone ont été rapportées chez des parasites issus de patients ayant subi un échec thérapeutique et dans des parasites cultivés in vitro en présence de la drogue comme je l’ai écrit précédemment dans l’introduction de la thèse. Ces mutations de résistance sont localisées dans les régions 117-155 et 251-300 du cytochrome b (Tableau 1 et Figure 14). La résistance à l’atovaquone est conférée soit par un encombrement stérique (exemple : I269M (I258M

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chez Plasmodium) soit par une perte d’interaction entre la protéine et la drogue (exemples : F278I (F267I chez Plasmodium) et Y279C/S/N (Y268C/S/N chez Plasmodium)). La mutation de résistance L282V (L271V chez Plasmodium) va, quant à elle, induire une rotation du résidu en position 279 entraînant une perte de l’interaction entre ce résidu et l’atovaquone.

Les mutations de résistance ont un impact socio-économique considérable. Au niveau de l’individu, les échecs thérapeutiques générés par ces résistances augmentent la mortalité liée à la maladie (Trape 2001) et la persistance des parasites accroît le risque d’anémie chez le patient et, de ce fait, la fréquence des transfusions sanguines avec tous les risques que cela comporte dans les pays du tiers monde (transmission du VIH, hépatite…). D’un point de vue collectif, les résistances augmentent le taux de transmission du paludisme ce qui a un réel impact sur l’économie des pays touchés. On estime à environ 15 euros le coût d’un accès palustre soit l’équivalent de 21 jours de travail d’une personne dans la plupart des zones d’endémie et à plus de 9 milliards d’euros la perte annuelle du PIB liée au paludisme en Afrique subsaharienne (Pradines et al. 2010). De ce fait, il est devenu important de développer de nouveaux inhibiteurs capables d’inhiber spécifiquement et efficacement le complexe bc1 du parasite et notamment des parasites résistants à l’atovaquone. La partie B de ce chapitre de ma thèse aura pour but de caractériser un nouvel inhibiteur du complexe bc1 de P. falciparum, HDQ. Ce projet a fait l’objet d’un article.

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Chapitre I-A : Etude de la sensibilité différentielle entre les enzymes

de la levure, de P. falciparum et de l’Homme à des antipaludiques