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DU JUGE CRIMINEL D’ANCIEN RÉGIME

ENTRE IDÉALISATION ET STIGMATISATION

Le XVIIIe siècle est sans doute l’un des siècles les plus marquants dans l’histoire de la justice car le siècle des Lumières coïncide avec une crise profonde de la justice67. En effet, le pouvoir royal après des décennies de centralisation progressive arrive dans une phase de profond essoufflement politique et économique sous Louis XV et Louis XVI.

L’essoufflement est politique car la royauté n’a pas su se réinventer face aux revendications parlementaires et, ce, en dépit des réformes Maupeou68 et Lamoignon69.

La première réforme judiciaire date de 1770 dont le chancelier Maupeou est le principal artisan. L’innovation majeure de ce texte demeure la gratuité de la justice et la suppression des offices ministériels70. L’objectif étant de diminuer le coût de la justice et de la rendre plus accessible à tous les justiciables du royaume de France. Les parlementaires vont s’opposer vigoureusement à cette réforme et subiront l’exil ordonné par le roi Louis XV. Cette réforme, bien qu’ambitieuse et nécessaire, se retrouva brisée dans son élan par la mort du roi Louis XV en 1774, et le rappel des parlements par son successeur, Louis XVI, la même année, enterrant la réforme judiciaire.

67 Dans le dictionnaire LOGOS, on trouve le sens péjoratif du mot : « qui présente un caractère contestable et

tyrannique », in LOGOS, Grand dictionnaire de la langue française, Paris, éditions Bordas, 1976, p. 138. Voir

également Alain Rey (sous la direction), Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2018.

68 Jean-Luc A. Chartier, Justice, une réforme manquée, 1771-1774 : le chancelier de Maupeou, Paris, Fayard,

2009.

69 Marcel Marion, Le garde des sceaux Lamoignon et la réforme judiciaire de 1788, Paris, Hachette, 1905. 70 Voir Jules Flammermont, La réforme judiciaire du chancelier Maupeou, Paris, Alphonse Picard, 1880.

La réforme du chancelier Lamoignon en 1788 fut une seconde tentative de réformer la justice de l’Ancien Régime. L’idée principale de ce nouveau changement est de simplifier considérablement la carte judiciaire71. À cette fin, le chancelier Lamoignon souhaitait fusionner prévôtés et présidiaux et les remplacer par de grands baillages. L’idée de supprimer, en partie, l’enchevêtrement entre juridictions est fort louable mais la réforme généra un grand mécontentement dans le milieu judiciaire auquel cette nouvelle carte judiciaire et le chancelier Lamoignon ne survécurent pas.

Si les causes de l’abandon sont similaires, à savoir la révolte des corporations judiciaires et plus spécifiquement les Parlements. Elles doivent toutefois être nuancée car la réforme Maupeou eut un temps d’application et calma temporairement les ardeurs des parlements du fait de leur exil forcé ordonné par le roi Louis XV. À l’inverse, la réforme Lamoignon ne put entrer en vigueur et étant donné sa proximité chronologique avec la révolution française ne pouvait que mettre fin définitivement à toute tentative de réforme par la royauté.

L’essoufflement est également de nature économique car outre les conséquences des guerres contre l’Angleterre, la France est touchée par de graves crises économiques qui font grimper les prix des denrées alimentaires72. Ce qui provoque notamment l’émergence d’un courant physiocratique incarné par Lemercier de la Rivière73. Ces

71 Jean-Luc A. Chartier, Justice, une réforme manquée, 1771-1774 : le chancelier de Maupeou, Paris, Fayard,

2009.

72 Voir René Rémond, Histoire de notre temps : tome premier, L’Ancien Régime et la Révolution (1789-1815),

Paris, Points, 2007.

73 Sur les physiocrates voir Anthony Mergey, L’Etat des physiocrates : autorité et décentralisation, Aix en

auteurs physiocrates prônent la liberté économique mais restent profondément monarchistes puisqu’ils sont à l’origine de théorie du « despote légal »74.

Cette absence de renouveau de la part du pouvoir royal aura une incidence profonde sur la figure judiciaire car les corporations de judicature vont s’opposer durement aux réformes judiciaires devenant ainsi le « cancer de la monarchie » 75.

A côté de l’opposition des parlements qui demeure une opposition corporatiste, un second front s’est ouvert avec la naissance en 1748, du mouvement des Lumières à l’échelle européenne.

Le mouvement philosophique des Lumières a pour définition communément acceptée la suivante : « Mouvement politique, littéraire, philosophique et esthétique qui domina

le monde des idées du 18ème siècle »76. La datation communément admise pour la

naissance des Lumières françaises est la parution de l’ouvrage « De l’esprit des lois » par Montesquieu.

Toutefois ce mouvement est très hétérogène et recoupe des intellectuels de différentes sensibilités. Ce qui unit le mouvement des Lumières à l’échelle européenne est la fusion entre la question pénale et la question politique. Autrement dit, la question pénale devient une véritable question politique, bien au-delà de ses enjeux techniques. Face à une Europe qui se réforme avec comme pays avant-gardiste la Prusse et la Russie. La singularité politique française est de ne pas suivre cet élan réformateur à cause d’un immobilisme lié à la faiblesse du roi Louis XVI.

74 Ibid.

75 Voir Nicolas Laurent, Le Parlement de Dijon à la fin 18ème siècle : une cour souveraine en pays d’états contribution à l’histoire administrative et politique, Thèse, Droit, Dijon, 2005.

C’est dans ce contexte d’immobilisme et de réformes judiciaires avortées que les intellectuels français du XVIIIe siècle vont, au travers de leurs œuvres, dessiner une nouvelle architecture de la justice en s’inspirant très fortement de l’Angleterre du roi Georges III. Ce désir réel mais tronqué de se calquer sur le système d’outre-manche traduit une réelle opposition au système judiciaire de l’ancien droit de la part de ces auteurs qui le perçoivent comme un repoussoir.

Section 1 : Les Mercuriales du chancelier D’Aguesseau ou l’idéalisation professionnelle et morale du juge

Le chancelier D’Aguesseau77 a laissé dans ses discours de rentrée solennelle78, une certaine vision du juge. Ses discours sont profondément empreints de morale afin de montrer brosser le portrait du bon juge professionnel et vertueux79. Si les discours de D’Aguesseau sont écrits avec une certaine lourdeur syntaxique, ils ont le mérite de peindre le juge de la Régence de Louis XV. Bien entendu, ces discours doivent également être analysé avec le plus d’objectivité possible. En effet, il a une conception de ses confrères très religieuse. Le champ lexical de la piété et de la religion y est très

77 Henri –François D’Aguesseau naquit en 1668 à Limoges et mourut en 1751 à Paris. Il fit une brillante carrière

juridique sous Louis XIV. Nommé avocat général au Parlement de Paris en 1691 il est nommé procureur général en 1700. Cependant, c’est en tant que chancelier de France (1717-1722) puis (1727-1750) qu’il marqua l’histoire de France. Outre le privilège de l’Encyclopédie donné à Diderot en 146 il s’attela à des ordonnances de codification afin de simplifier l’ancien droit. Voir Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halperin, Jacques Krynen (sous la direction),

Dictionnaire historique des juristes français (XIIème-XXème siècle), Paris, Presses universitaires de France, 2015

(2ème édition mise à jour).

78 Voir Jeanne- Marie Tuffery-Andrieu, La discipline des juges : Les Mercuriales de D’Aguesseau, Paris, LGDJ,

2007. Voir aussi Henri François D’Aguesseau, Œuvres de Mr le chancelier D’Aguesseau. Tome premier

contenant les discours pour l’ouverture des audiences, les mercuriales, les réquisitoires et autres discours, Paris,

P.G Simon, 1759.

79 Bien que D’Aguesseau ne soit pas dans les limites chronologiques de nos travaux stricto sensu, il nous est apparu

pertinent d’inclure le chancelier dans nos travaux. En effet ses discours et sa vision judiciaire en font le précurseur de la représentation « moderne » de la vie judiciaire.

fort. Ce qui peut sembler naturel chez certains juges de l’époque est en réalité un vice, un manquement, au regard des idées conservatrices du chancelier de France, D’Aguesseau. En ce sens, il fait un pont avec Montesquieu car tous deux ont une conception ancienne de la Justice80. Cette idéalisation du juge doit donc s’analyser en deux temps : Dans un premier temps, sous l’angle de l’idéalisation professionnelle (§1), dans un second temps, il brosse un portrait moral idéal du juge (§2).

§1 : Une idéalisation professionnelle du juge

Sur le plan professionnel le juge doit être vertueux (A) en prenant exemple sur les Anciens qui sont le symbole d’une sagesse inégalée (B).

A) Un juge vertueux et désintéressé

Il s’agit d’un thème récurrent et transversal dans les Mercuriales car ce sujet est abordé dans les toutes premières pages mais surtout se poursuit avec pour point d’orgue les huitième et neuvième avant de se terminer avec les quinzième, dix-septième et dix- huitième mercuriales81.

Lors de son premier discours, le chancelier D’Aguesseau choisit comme thème « L’amour de son état » et, si la formule paraît désuète, elle n’en constitue pas moins

80 La nostalgie de la Rome antique et de la sagesse juridique des Anciens sont des thèmes récurrents chez les deux

auteurs. S’il est peu probable que Montesquieu ait « copié » D’Aguesseau, il a été très certainement influencé par le chancelier de France. Cette influence se retrouve le style de Montesquieu, un style savant empreint de conservatisme.

81 Voir Jeanne-Marie Tuffery-Andrieu, La discipline des juges : les mercuriales de D’Aguesseau, LGDJ, Paris,

2007. Voir aussi Henri-François D’Aguesseau, Œuvres de Mr le chancelier D’Aguesseau. Tome premier contenant

les discours pour l’ouverture des audiences, les mercuriales, les réquisitoires et autres discours, Paris, P.G Simon,

une source de déontologie pour le magistrat. En effet, il oppose de manière binaire dans la première mercuriale, deux juges : le premier, insatisfait de son état et ne cherchant que l’ambition, le second, vertueux et sachant s’imprégner de la sagesse de ses aînés, représente le bon juge car celui-ci sait la valeur de sa fonction. En effet, d’Aguesseau estime que « si l’inconstance, si l’ennui, si la satiété des plaisirs sont les seuls guides

qui conduisent le magistrat dans la retraite ; il y cherche la paix, et il n’y trouve qu’un

repos languissant, une molle et insipide tranquillité »82. Il poursuit sa harangue sur le

juge vertueux en estimant que « L’homme de bien au contraire, se cache pendant

longtemps, pour jeter les fondements d’un édifice durable. Sa vertu patiente, parce qu’elle doit être immortelle, se hâte lentement et s’avance vers la gloire avec plus de

sûreté mais moins d’éclat »83.

Toujours dans ce discours, le chancelier insiste sur le rôle primordial de la vertu du magistrat « Ne craignons pas l’homme de bien ; la vertu imprime sur son front un

caractère auguste que sa noble simplicité rendra inimitable à l’ambitieux »84.

Pour accentuer cette dichotomie entre vertu et vice, le chancelier en crée une autre cette fois-ci axée sur les anciens et les jeunes. En effet, pour lui, les premiers reçoivent l’enseignement des aînés dans une perspective constructive et savent faire preuve de retenue tandis que les seconds sont synonymes de rébellion et de décisions imprudentes et hâtives. L’auteur en profite pour critiquer l’outrecuidance et le dédain dont fait preuve la jeune génération de magistrats. Il insiste sur la nostalgie des anciens en écrivant « ces

82 Première Mercuriale « L’amour de son état » in Jeanne Tuffery-Andrieu, op.cit, LGDJ, Paris, 2007 ; Voir aussi

Henri -François Daguesseau, op.cit, Paris, P.G Simon, 1759.

83Ibid.

84 Première Mercuriale « L’amour de son état » in Jeanne Tuffery-Andrieu, op.cit, LGDJ, Paris, 2007 ; Voir

grands noms de vengeurs de la discipline, d’organes de la vérité, de sévères

réformateurs, uniquement occupé de la grandeur et de la dignité du Sénat, ne sont plus que des titres magnifiques et des qualités imaginaires dont nous nous honorons

vainement »85; et plus loin d’ajouter : « la vérité n’ose même plus paraître , même dans

le temple de la Justice que sous le voile trompeur et sous les ornements d’une fausse

éloquence »86.

B) L’exemple des anciens ou la déontologie parfaite

Autant dire que D’Aguesseau ne se prive pas de critiquer l’absence de vertu chez ses semblables et l’oubli de la sagesse des aînés. Ces deux autres leitmotivs se retrouvent un peu plus loin dans sa deuxième mercuriale quand il prononce les paroles suivantes : « Après avoir méprisé l’âge des anciens et la dignité des supérieurs qu’il est à craindre

que l’on ne porte la prévention pour son avis jusqu’à mépriser l’avis du plus grand

nombre des juges et à ne pas sentir et combien on doit respecter la règle immobile de la

pluralité des suffrages »87. Cette phrase reflète bien l’un des axes majeurs des discours

du chancelier, à savoir l’exemple des anciens pour mieux rappeler à l’ordre les juges contemporains à leurs obligations déontologiques professionnelles. Sur cette lancée, D’Aguesseau note que « ce serait renverser les plus solides fondements de l’autorité

des juges et ce serait rompre avec les liens les plus sacrés qui unissent les plus grandes compagnies que d’altérer par une négligence inexcusable, ou une liberté criminelle, la

85 Deuxième mercuriale « La Censure publique in Jeanne Tuffery-Andrieu, op.cit.Paris, LGDJ, 2007 ; Voir aussi

Henri -François Daguesseau, Œuvres de Mr le chancelier D’Aguesseau. Tome premier contenant les discours

pour l’ouverture des audiences, les mercuriales, les réquisitoires et autres discours, Paris, P.G Simon, 1759.

86 Ibid.

87 Deuxième Mercuriale « la censure publique » in Jeanne Tuffery-Andrieu, La discipline des juges : les

mercuriales de D’Aguesseau, Paris, LGDJ, 2007 ; Voir aussi Henri -François D’Aguesseau, Œuvres de Mr le chancelier D’Aguesseau. Tome premier contenant les discours pour l’ouverture des audiences, les mercuriales, les réquisitoires et autres discours, Paris, P.G Simon, 1759.

moindre partie d’un jugement que le suffrage du plus grand nombre des sénateurs a

consacré, pour ainsi dire, à l’immutabilité »88.

Ici, le chancelier fait bien plus que disserter sur des considérations morales et métaphysiques pour élever le juge ; il rappelle et insiste lourdement sur les garde-fous déontologiques du magistrat qui doivent lui permettre de rendre une justice éclairée. Ces propos d’une éloquence indéniable doivent être mis en corrélation avec la huitième et neuvième mercuriale qui sont « le point d’orgue » puisque D’Aguesseau consacre les mercuriales précitées aux vertus professionnelles du magistrat idéal. En ce sens, la huitième mercuriale : « L’homme public ou l’attachement du magistrat au service

public »89 doit retenir notre attention : le juriste examine la facette inversée de la

première mercuriale ; si dans le premier discours le chancelier faisait l’éloge du magistrat, il s’avère que dans le huitième, il adopte un ton plus proche du serment pour rappeler le poids des obligations des officiers de judicature. En effet, D’Aguesseau estime que les officiers de judicature sont débiteurs de la République90 à laquelle ils doivent rendre des comptes ; la métaphore est religieuse car le juge est comparé à « un

prêtre de la justice chargé d’étendre son culte »91, ce rôle lui donnant justement

l’obligation d’être « l’ardent défenseur du bien public »92. Plus loin, il persévère en

88 Voir aussi Henri-François D’Aguesseau, op.cit., Paris, P.G. Simon, 1759.

89 Huitième mercuriale « L’homme public ou l’attachement du magistrat au service public » in Jeanne Tuffery-

Andrieu, op.cit, Paris, LGDJ, 2007. Voir aussi Henri -François D’Aguesseau, op.cit., Paris, P.G Simon, 1759.

90 La République à laquelle D’Aguesseau fait allusion est, sans doute, la République Romaine pour mieux montrer

que les préteurs romains servaient de manière exemplaire la Rome Antique. A moins qu’il ne fasse aux républiques de Gênes et de Venise. En toute hypothèse le terme de « République » ne saurait avoir son acceptation contemporaine dans ce discours car le chancelier était profondément monarchiste.

91 Voir Henri -François D’Aguesseau, Œuvres de Mr le chancelier D’Aguesseau. Tome premier contenant les

discours pour l’ouverture des audiences, les mercuriales, les réquisitoires et autres discours, Paris, P.G Simon,

1759.

affirmant que le magistrat n’est rien d’autre que « le dépositaire du salut du peuple » expression très lourde visant à montrer qu’être juge revêt une importance capitale. Dans la même optique, le juriste prodigue ses conseils :

« Il se hâtera d’instruire de bonne heure les affaires dont il doit instruire les autres

juges et par cette préparation anticipée il sera armé contre la profonde malice {} Quel sujet peut exciter plus dignement l’homme public ? Qu’il s’applique donc tous les jours

à couper cette hydre de procédure qui renaît tous les jours »93. Ainsi le juge D’Aguesseau insiste fortement sur le magistrat consciencieux, qui est soucieux de l’intérêt général et qui sait prendre ses responsabilités face au poids du métier tout en étant transcendé par la sagesse des anciens. C’est finalement une figure idéale basée sur la catharsis antique mais teintée d’un profond conservatisme religieux qui apparaît, pour D’Aguesseau, comme le moule judiciaire idéal. Il se montre encore plus ferme en disant : « Que ce zèle qui anime les fonctions éclatantes de sa vie publique le suive dans

l’obscurité de sa vie privée »94. Mais sa vision conservatrice transparaît encore plus dans la mercuriale suivante consacrée à l’autorité du magistrat95. Son discours est profondément axé sur la nature de l’autorité du magistrat et le bon usage de celle-ci. En effet, pour le chancelier, le magistrat tient son pouvoir de la justice même, lui conférant ainsi une dignité dont il n’est pas le maître. Le juge ne peut s’élever que grâce à la vertu

93 Huitième mercuriale « L’attachement du magistrat au service public », in J. Tuffery-Andrieu, La discipline des

juges : les mercuriales de D’Aguesseau, Paris, LGDJ, 2007. Voir aussi Henri -François D’Aguesseau, op.cit., Paris, P.G Simon, 1759.

94Huitième mercuriale « L’attachement du magistrat au service public », in J. Tuffery-Andrieu, La discipline des

juges : les mercuriales de D’Aguesseau, Paris, LGDJ, 2007. Voir aussi Henri -François D’Aguesseau,Œuvres de Mr le chancelier D’Aguesseau. Tome premier contenant les discours pour l’ouverture des audiences, les mercuriales, les réquisitoires et autres discours, Paris, P.G Simon, 1759.

95 Neuvième mercuriale : « L’autorité du magistrat et sa soumission à la loi » in Jeanne Tuffery-Andrieu, op.cit.,

qui est le rempart le plus solide contre les séductions de son autorité divine. En effet dans cette mercuriale, D’Aguesseau insiste particulièrement sur l’absence de compromission du magistrat. Il insiste aussi sur la solennité et le dévouement du magistrat dans sa vie publique. « Pouvoir tout pour la justice et ne rien pouvoir pour soi

tel est l’honorable mais aussi pénible condition du magistrat »96. Plus loin, il ajoute « Ne

craignons pas de dire hautement en ce jour consacré à la plus exacte vérité que nous ne connaissons pas d’actions indifférentes dans la vie publique du magistrat. »97. Pour

montrer la force de son autorité, D’Aguesseau insiste à ne pas faire de distinctions sociales par le magistrat « Quelle joie pour le pauvre et le faible quand il a la chance de

précéder le riche et le puissant dans cet ordre tracé des de la justice même ». Cette

nécessité pour le magistrat de concilier autorité et charité chrétienne « quelle

bénédiction ne donnent-ils pas au Magistrat quand ils voient que le gémissement secret

de sa misère est plus promptement et plus favorablement écouté que la voix de la haute

fortune. Puisse le magistrat goûter toute la douceur de ces bénédictions et préférer une

gloire si pure à la vaine ambition de faire éclater son pouvoir »98.

Surtout dans sa neuvième mercuriale, le magistrat d’Aguesseau semble poser les jalons d’un légicentrisme ou en tout cas postuler que la loi et l’équité sont complémentaires. Le magistrat doit se soumettre au premier tout en usant de la seconde pour rendre la justice99. En effet, il déclare « premier objet du législateur, dépositaire