• Aucun résultat trouvé

Guerrieri di Cristo. Inquisitori, gesuiti e soldati alla battaglia di Lepanto,

Milan, Edizioni Unicopli, 2009, 215 p., ISBN-978-88-400-1360-2

Le recours à des sources d’origine religieuse pour l’analyse d’une bataille de l’époque moderne évoque inévitablement La bataille

de la Montagne Blanche, d’Olivier Chaline.

Cependant, Gianclaudio Civale, chercheur à l’Università statale de Milan et spécialiste de l’inquisition, ne se focalise pas, dans cet ouvrage, sur la bataille en elle-même, à laquelle il ne consacre guère que quelques pages, la grande synthèse d’Alessandro Barbero – Lepanto. La battaglia dei tre imperi, Laterza, 2010 – ayant récemment fait le point sur tous les aspects militaires et politiques de l’événement. S’appuyant surtout sur les sources conservées aujourd’hui aux archives du Vatican, en particulier celles de l’« inquisition de la fl otte », peu exploitées jusqu’à présent, G. Civale étudie en fait l’application de la réforme catholique aux armées de la Sainte Ligue, en premier lieu à l’ejercito espagnol. Son ouvrage se situe ainsi à la confl uence des histoires militaire, religieuse, sociale et culturelle et s’inscrit dans un courant historiographique récent qui, suite aux recherches de Susanna Peyronel (Milan), considère le soldat comme une catégorie sociale spécifi que dans ses rapports avec l’inquisition, et utilise par conséquent les fonds d’archives du Saint Offi ce pour mieux appréhender les relations entre l’armée et la réforme catholique. Citons pour mémoire les travaux de Vincenzo Lavenia (université de Macerata) sur les catéchismes destinés aux soldats et les aumôneries militaires en Europe, ainsi que la courte monographie de Giuseppina Minchella (université de Trieste) sur les hommes de la forteresse de Palmanova et leur confrontation avec l’inquisition. Toutes ces études offrent des réfl exions inédites sur les forces armées de l’époque moderne et mettent en exergue une certaine tolérance religieuse, pratiquée plus ou moins consciemment, en leur sein.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle se diffuse l’idéal du soldat chrétien, combattant de la foi affrontant infi dèles et hérétiques. Fidèle aux vertus militaires (courage, obéissance et discipline), il doit aussi montrer sa piété, par exemple en se confessant régulièrement, et respecter les populations civiles, souvent maltraitées par la soldatesque. Ce miles Christi aurait pu ne rester qu’un idéal abstrait issu des manuels jésuites. Toutefois, Don Juan d’Autriche, nommé « capitaine général de la mer » en 1568, prend ces préceptes à la lettre et entend les faire appliquer au sein de la marine espagnole, puis parmi la fl otte de la Sainte Ligue constituée pour contrer l’expansion ottomane en Méditerranée. Cette même année 1571, Philippe II d’Espagne réclame à Pie V une inquisition pour la fl otte, partant de l’idée que les chapelains jésuites, jugés trop conciliants car confi ants dans les vertus des études et du temps, ne suffi sent pas et qu’un appareil répressif est indispensable pour veiller sur la foi des marins et soldats. C’est ainsi que Jerónimo Manrique de Lara, inquisiteur issu d’un grand lignage ibérique, devient vicaire de la fl otte, doté d’importants pouvoirs judiciaires, notamment pour combattre l’hérésie, le blasphème et l’homosexualité.

L’exaltation religieuse atteint son paroxysme dans les semaines précédant la bataille, alors que la fl otte de la Sainte Ligue mouille à Messine. Les cérémonies de la Nativité de la Vierge s’étalent sur trois jours, un père jésuite n’hésitant pas à comparer l’armée à une compagnie de religieux, tant la ferveur semble intense et sincère. Durant la navigation vers la Grèce, on célèbre encore des messes quotidien- nement. Le matin du 7 octobre 1571, la bannière avec la croix est hissée et tous les soldats reçoivent l’absolution. Ils combattent ensuite aux cris de « Marie, Marie » et « Victoire et Vive Jésus Christ », considérant la bataille comme une véritable ordalie.

Alors que les jésuites se tiennent en retrait, refusant de combattre et de verser le sang, le supérieur des capucins empoigne une épée et blesse ou tue sept adversaires ! D’autres se battent avec l’épée dans une main et le crucifi x dans l’autre. La victoire sans appel de Lépante est alors considérée comme l’accomplissement de l’archétype du soldat chrétien. Mais, bien vite, comme le constate G. Civale, certaines données assombrissent le tableau.

En premier lieu, la victoire, aussi brillante soit-elle, se paie au prix fort. Aux 7 000 ou 8 000 morts de l’alliance chrétienne, il faut ajouter environ 10 000 blessés, dont beaucoup décèdent par la suite faute de soins appropriés. Tempête et épidé- mies font ensuite des ravages lors du retour vers l’Italie. Des médecins et religieux décèdent et l’inquisiteur Manrique lui-même tombe gravement malade. En outre, certains soldats ont commis de graves crimes à la fi n de la bataille : non contents de massacrer des infi dèles, ils ont également occis de nombreux rameurs chrétiens et, parmi eux, l’ancien évêque de la cité vénitienne d’Antivari (aujourd’hui Bar au Monténégro), capturé quelques mois auparavant par les Ottomans ! Animés d’une fureur homicide, les soldats ne peuvent se contrôler et s’écartent ainsi du modèle du soldat chrétien idéal. Pis, une enquête diligentée par le Saint-Siège révèle de graves exactions à l’encontre des chrétiens orthodoxes rencontrés par l’armada. Quant aux blasphèmes, ils n’ont pas cessé sur les galères, étant favorisés par la passion du jeu, meilleur voire seul palliatif à l’oisiveté. L’homosexualité constitue un autre problème que les religieux peinent à éradiquer, les offi ciers italiens se montrant laxistes alors que le marquis de Santa Cruz, convaincu de sa mission, interdit le jeu sur ses galères et encourage les missionnaires jésuites à multiplier les exercices de dévotion pour les soldats et l’équipage.

Au printemps 1572, une nouvelle armée se rassemble à Messine, dans un climat de ferveur religieuse renouvelée. L’inquisition de l’armée organise alors un grand autodafé durant la semaine de la Pentecôte. Onze condamnés, tous soldats et marins, doivent se repentir de leurs fautes (bigamie, blasphèmes répétés, refus de sacrement, consommation de viande pendant le Carême). Aucun ne perd la vie, les condamnations se limitant à un certain nombre d’années de galères. Le caractère symbolique et exemplaire des sanctions est ici évident : il s’agit pour Manrique et ses collègues d’adresser un message fort aux soldats et marins, afi n qu’ils mènent une existence aussi conforme que possible aux préceptes de la réforme catholique.

Le cas des renégats s’avère différent mais pas moins emblématique. L’inquisition entend réintégrer ces hommes, devenus musulmans parfois dès leur enfance, au sein de la communauté chrétienne. Là encore, l’aspect symbolique l’emporte puisque, curieusement, les inquisiteurs dédaignent les janissaires prisonniers, pourtant tous issus du devşirme, pratique ottomane consistant à enrôler et convertir des enfants

chrétiens. En 1572, seuls 27 renégats capturés à Lépante sont « réconciliés » avec la foi catholique, alors que 3 500 prisonniers ont été faits. L’inquisition montre en général une certaine souplesse, considérant que ces hommes se sont convertis à l’Islam sous la pression ou par intérêt, tout en restant « chrétiens de cœur ». Revenir à la foi chrétienne ne leur procure cependant pas la liberté et ils restent galériens. Quelques-uns refusent d’abjurer la religion musulmane, ce qui les conduit au bûcher, comme Francisco Perez, dit Perabana, morisque de Grenade ayant fuit les vexations des Espagnols, converti à Djerba et capturé sur une galère ottomane. En général, toutefois, la plupart de ces renégats, tiraillés entre deux mondes en confl it, déclarent ce que l’inquisition veut entendre. Certains, une fois redevenus chrétiens, n’ont d’ailleurs