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Le monde amérindien au miroir des Lettres édifi antes et curieuses,

Oxford, Voltaire Foundation, 2008, 229 p., ISBN 978-0-7294-0935-3

empires ibériques des XVIe-XVIIIe siècles. Il est ainsi souvent appliqué à des pratiques religieuses clandestines et syncrétiques contemporaines. C’est le cas dans la confé- rence de Nathan Wachtel, en 2003, sur les « Résurgences marranes dans le Brésil contemporain » (p. 213-236), qui dresse le bilan de différents cas, tant en domaine lusitanien, à Belmonte, au Portugal, et au Brésil, qu’au Mexique et au Pérou. La contribution se clôt sur un thème cher à l’auteur, développé dans son ouvrage Foi du

souvenir : Labyrinthes marranes (Paris, 2001), celui de « mémoire marrane ».

De mémoire également, il est question dans deux contributions sur la littérature sépharade et, en particulier le Me’am Lo’ez, commentaire des livres bibliques rédigé en judéo-espagnol entre 1729 et 1732 par Yaakov Kouli, né à Jérusalem d’une famille originaire de Candie. L’ouvrage inachevé, véritable « encyclopédie populaire du séphardisme levantin », somme de la pensée rabbinique et profane sur l’histoire et la tradition juives, la foi et la morale, connut un grand succès dans la diaspora séfarade, sans doute parce qu’il lui était spécifi quement destiné et directement accessible. L’article d’Alisa Meyuhas Ginio (2004) examinant « La Bible populaire sépharade comme mémoire de la vie juive » (p. 183-200) montre que le Me’am Lo’ez constitue un miroir de la société séfarade du début du XVIIIe siècle, et en étudie certains aspects tels que la place des enfants et de la femme. La conférence donnée en 2006 par Gil Anidjar, sur les rapports entre « Cabale, littérature et séphardité » (p. 161-181), élargit le propos en traitant de la relation de Jorge Luis Borges à la Cabale et la littérarité du Zohar. Poursuivant sur le sabbatéisme et l’analyse qu’en fait Gershom Scholem, G. Anidjar conclut sur « l’écriture du désastre » et le témoignage de Primo Levi. Le « désastre » est pour sa part approché par Aron Rodrigue qui, en 2007, évoquait « Les Sépharades et la “solution fi nale” » (p. 201-212) : s’interrogeant sur la relative « occultation » du génocide des sépharades, aux dépens de celui des ashkénazes, il critique l’usage du paradigme de l’État-nation par l’historiographie de la question. Appelant à combler cette lacune, il s’attache au destin des sépharades balkaniques durant la guerre et à leur sort après le génocide.

Cet ouvrage tire en défi nitive son intérêt de sa grande diversité et de son esprit de synthèse, deux qualités qui ont aussi leur revers. On regrettera notamment l’insuf- fi sance de l’appareil critique et l’absence d’une bibliographie générale et raisonnée, qui aurait permis aux lecteurs de pousser plus avant leur exploration du champ des études sépharades, en fort développement au cours des dernières décennies.

Natalia MUCHNIK CRH-EHESS, Paris

La collection des Lettres édifi antes et

curieuses (1702-1776) est constituée des

récits publiés par des jésuites soucieux de promouvoir leur activité apostolique auprès du public des dévots et des savants du siècle des Lumières. Adrien Paschoud, qui enseigne la littérature française du XVIIIe siècle à l’université de Lau- sanne, nous offre là une étude fi ne et érudite d’un corpus certes bien connu, dont il extrait les éléments touchant aux populations amérindiennes. Si les lettres qui leur sont consacrées ne constituent qu’une petite minorité de l’ensemble, la pertinence de ce choix doit être appréciée à l’aune de la place qu’occupait la réfl exion sur les « sauvages américains » dans la pensée philosophique du XVIIIe siècle.

Homme de lettres avant d’être historien, mais spécialiste de littérature et historien de la culture, Adrien Paschoud s’emploie avant tout à décrypter le fonctionnement de ce qu’il appelle un « espace discursif » qu’il analyse en fonction des visées apologétiques et des références épistémologiques qui le structurent. Son étude, issue d’une thèse, est divisée en six chapitres. Dans les deux premiers, Adrien Paschoud analyse successivement la construction de deux discours de type ethnographique, centraux dans l’élaboration des représentations du sauvage américain : l’un porte sur l’état de guerre, l’autre sur ses croyances. Ces deux questions sont abordées à partir d’un va-et-vient entre les réalités ethno-historiques telles que les travaux des historiens et ceux des anthropologues nous permettent de les connaître, et les modes de pensée susceptibles d’être mobilisés par les missionnaires jésuites. Il s’agit alors de comprendre la construction d’un savoir et son instrumentalisation dans les affrontements idéologiques du temps.

Pareillement, avec les chapitres 3 et 4, l’auteur aborde le lien entre la pratique et la représentation de l’action missionnaire. Il montre comment la rhétorique de l’apologétique conduit les jésuites à brosser un tableau triomphaliste des progrès du christianisme alors même que, dans la réalité, la christianisation ne passe pas par la soumission des nouveaux chrétiens à la foi du Christ mais par la mise en œuvre d’une politique d’« accommodement ». À cet égard, l’évangélisation des Amérindiens, sans être fortement théorisée, est comparable à celle développée en Extrême-Orient avec les rites chinois. De cette démarche missionnaire, on trouve dans ces pages des justifi cations scripturaires et canoniques étonnantes et, à notre connaissance, fort peu connues, qui relativisent l’image que l’on a parfois donnée d’un catholicisme tridentin intransigeant et raidi sur son orthodoxie. Les réductions jésuites du Paraguay, le plus beau fl euron des missions de la Compagnie, font dans cette seconde séquence l’objet d’une attention particulière. L’auteur tient pour acquise la compréhension des circonstances historiques qui ont conformé leur développement et il s’appuie pour les restituer sur des travaux antérieurs (Maxime Haubert, Alberto Armani, Girolamo Imbruglia). À partir de là, il s’emploie à restituer les codes et les procédés formels utilisés pour en donner une représentation pertinente. Il en décrit le substrat théologico-juridique, le compelle eos

intrare de Matthieu (22 : 2-10), source de l’inspiration des missionnaires mais aussi,

pour une part, de leur action. Cette injonction leur donne les moyens de créer une théocratie ordonnée qui inverse le signe des valeurs négatives de la sauvagerie et leur permet in fi ne de promouvoir auprès de leur lectorat le modèle stéréotypé d’une chrétienté idéale où les idéaux apostoliques et monastiques se mêlent aux formules ostentatoires de l’Église baroque. Par là, ils préparent l’appel à l’utopie d’une chrétienté parfaite, communautariste. La critique sociale des mauvais chrétiens se fait au demeurant fort précise lorsque les épistoliers mobilisent les écrits de Las Casas.

Les deux derniers chapitres nous entraînent à l’autre extrémité de la chaîne scripturaire : l’auteur y aborde la question de la réception de ces textes par les lectorats européens et, partiellement, celle de leur inscription dans les débats philosophiques de l’époque. Dans un premier temps, Adrien Paschoud braque le projecteur vers les récits de martyres destinés au public dévot (mais il ne dispose guère pour ce faire que d’un texte, une lettre de Pierre Chollenec parue dans le volume 13 des Lettres édifi antes

et curieuses). Alors même que l’auteur du récit perçoit parfaitement la logique symbo-

lique des rites de torture que les Iroquois imposent à leurs prisonniers, leur évocation fait l’objet d’une réécriture poussée qui tourne fi nalement à l’exaltation d’un martyre chrétien intemporel. C’est là sans doute que l’analyse se fait la plus proche de celle de Michel de Certeau, un maître plusieurs fois revendiqué. En marge des stéréotypes