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PARTIE I : CADRE THÉORIQUE

I. La dépression du sujet âgé

4.3 B IAIS ATTENTIONNELS ET VIEILLISSEMENT

Comme nous l’avons vu précédemment, de nombreuses études ont mis en évidence un effet délétère de l’avancée en âge sur les structures frontales impliquées dans les fonctions cognitives telles que la mémoire de travail, le raisonnement et l’attention. Ce déclin cognitif serait susceptible d’entrainer une diminution des interactions sociales. Cependant, il semblerait que le bien-être psychologique augmente avec l’âge. En effet, des études ont montré que le vieillissement était associé à une augmentation du degré de satisfaction (Charles, Mather, & Carstensen, 2003), de la stabilité et de la qualité de vie (L.L. Carstensen & Mikels, 2005). Ces résultats ne s’appliquent pas à l’ensemble des personnes âgées car ils sont fortement dépendants des différences interindividuelles observées dans le vieillissement au niveau de l’état de santé ou d’autres facteurs (L. L. Carstensen & Turk-Charles, 1994; Charles & Carstensen, 2010; Levenson, Carstensen, Friesen, & Ekman, 1991; Mroczek & Kolarz, 1998; Norris, Larsen, Elizabeth Crawford, & Cacioppod, 2011). Cette augmentation du bien-être et de la qualité de vie chez la personne âgée, indifféremment du sexe et

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des origines ethniques est appelée biais de positivité (Mather & Carstensen, 2003). Certaines études ont observé une diminution de la fréquence et de la durée des émotions négatives dans la vie quotidienne chez des personnes âgées (L. L. Carstensen, Pasupathi, Mayr, & Nesselroade, 2000), mais qui n’est en aucun cas synonyme d’anesthésie affective. De plus, les personnes âgées semblent inhiber leurs réponses en présence d’informations négatives telles que des visages en colère ou tristes (Mather & Carstensen, 2005). Les sujets âgés privilégieraient d’anciennes émotions positives plutôt que de faire face à de nouvelles émotions qui pourraient modifier leur bien-être (Fredrickson & Carstensen, 1990; Fung, Carstensen, & Lutz, 1999). Selon Rösler (Rösler, Ulrich, et al., 2005), les sujets âgés ne pourraient pas maintenir leur attention sur des stimuli négatifs et il semblerait que leur mémoire soit positive (Fernandes, Ross, Wiegand, & Schryer, 2008; Tomaszczyk, Fernandes, & MacLeod, 2008). Deux théories s’opposent pour expliquer ce biais de positivité chez la personne âgée :

- La théorie de la sélectivité socio-émotionnelle (Socioemotional Selectivity Theory - SST) (L. L. Carstensen, Isaacowitz, & Charles, 1999; L.L. Carstensen & Mikels, 2005) stipule que les personnes âgées ont pour objectif de réguler les nouvelles émotions en se maintenant sur un état émotionnel positif par une optimisation de leurs expériences émotionnelles positives (Positivity Effect).

- La théorie de l’intégration dynamique (Dynamic Integration Theory - DIT) (Labouvie-Vief, 2003) suppose que la baisse des ressources cognitives chez la personne âgée aurait un effet sur la mobilisation des émotions positives. La mise en place des mécanismes de régulation émotionnelle serait ainsi dépendante de la quantité de ressources cognitives disponible chez le sujet (Li et al., 2004).

Il existe un lien étroit entre émotions et cognition (Schimmack & Derryberry, 2005) qui pourrait avoir une incidence sur ce biais. Une étude menée en 2005 (Mather & Knight, 2005) a rapporté que les personnes ayant un niveau de contrôle cognitif plus élevé avaient plus de difficultés que les autres personnes pour mobiliser les informations positives en mémoire et favoriser le biais de négativité et une meilleure régulation émotionnelle. Ils agiraient comme des sujets jeunes qui possèdent de

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bonnes capacités cognitives et qui n'ont pas recours au contrôle cognitif de leurs souvenirs positifs à des fins de régulation émotionnelle. Une méta-analyse de 2008 (N. A. Murphy & Isaacowitz, 2008) a mis en évidence une meilleure mémorisation pour les stimuli avec une valence affective comparée à des stimuli neutres, le positif étant mieux retenu que le négatif (positivity effect) chez les personnes âgées comparé à des sujets jeunes. Il est également possible que le biais de positivité retrouvé chez la personne âgée et entrainant une diminution des réponses face aux stimuli négatifs ne soit pas seulement dû à une baisse des ressources cognitives (DIT), mais plutôt à une différence de traitement des émotions ou même à une différence de difficulté entre les différentes tâches proposées dans ces études (Anderson, Craik, & Naveh-Benjamin, 1998). Par exemple, les images émotionnelles auraient tendance à être traitées plus rapidement que les mots émotionnels (Houwer & Hermans, 1994).

Les études des MO présentent dans ce contexte un apport complémentaire. Plusieurs études réalisées en eye-tracking ont montré un biais de positivité lors de la présentation de paires d'images à connotation émotionnelle (Isaacowitz, Wadlinger, Goren, & Wilson, 2006a, 2006b) avec une préférence pour les images à connotation émotionnelle positive ainsi qu’une tendance à fixer en 1er

les images neutres (Rösler, Mapstone, Hays-Wicklund, Gitelman, & Weintraub, 2005). Par ailleurs, divers mécanismes cognitifs tels que les processus d'inhibition et d'attention automatique entraineraient chez la personne âgée la détection et l’initiation de la première saccade vers les informations neutres ou positives. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une tâche d’attention divisée, on observe les effets inverses et un biais de négativité chez la personne âgée (Charles et al., 2003; M. Knight et al., 2007). En effet, par rapport aux jeunes adultes, les ressources cognitives limitées (diminution des capacités de contrôle cognitif) des sujets âgés entraîneraient une focalisation sur les images négatives lorsque la tâche propose des éléments distracteurs (ici des sons) qui mobilisent des ressources cognitives normalement utilisées pour la régulation émotionnelle.

Différents facteurs peuvent venir également modifier la perception des émotions. Des déficits de reconnaissance des émotions exprimées par le visage semblent plus importants chez les hommes de manière générale (Montagne, Kessels, Frigerio, de Haan, & Perrett, 2005). Cependant, les femmes auraient un déficit de reconnaissance plus important pour des émotions associées à la colère (Deldin, Keller, Gergen, & Miller, 2001; Langenecker et al., 2005). Les femmes sont susceptibles d'avoir une mauvaise estimation des émotions en interprétant des stimuli tristes et craintifs comme étant de la colère (Wright et al., 2009).

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4.4 L

ES STRUCTURES CORTICALES ASSOCIEES AUX EMOTIONS