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- L'HYDROTROPISME CHEZ LES PLANTES AQUATIQUES

On sait depuis longtemps, depuis Lefébure ( 1) et Knight (2), que les racines se tournent vers la source de plus grande humidité.

On ne connaissait pas. de sensibilité hydrotropique chez les tiges aquatiques et cependant, après nos expériences démontrant l'exis-tence d'un géotropisme négatif, a priori il était à supposer qu'elle devait exister au moins pour certaines espèces. On peut baser cette supposition su_r le raisonnement suivant :

Les tiges des plantes aquatiques submergées sont négativement géotropiques et cependant, lorsqu'elles ont atteint la surface de l'eau, elles ne s'élèvent pas au-dessus ; il doit donc y avoir là une force qui contre-balance celle du géotropisme et l'annule.

Frank (3) pense que la différence de poids entre la plante dans l'eau et dans l'air suffit pour la courber mécaniquement.

· Le seul m'Oyen de s'en assurer était d'expérimenter, mais les expériences présentaient ici une grande difficulté pratique. Depuis bien des années déjà les physiologistes ont prouvé d'une manière

irréfuta~le que les courbures~ géo-hélio-hydro-tropiques, etc., sont dues à des phénomènes de croissance inégale. Or, la croissance ne peut se produire s'il n'y a pas turgescence.

Dans sa « Monographie du genre Galeopsis )), Briquet, qui n'ad-met pas que la turgescence soit « la cause de la courbure )), dit cependant bien_ que c'en est une cause et que, si cette «cause est parfois presque nulle (boyaux polliniques, cellules de points végé-tatifs), elle est au contraire d'une importance capitale dans d'autres cas.»

Si maintenant on considère que la turgescence de ces plantes submergées est détruite lorsqu'on les sort de l'eau, et qu'elles se dessèchent et se décomposent rapidement, même dans une

atmos-(1) Lefébure, Expériences sur la germination, 1801, p. 5o.

(2) L. c., p. 212.

(3) Frank: Ueber die·Lage und Richtung schwimmender, etc., l. c. p. 31.

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phère saturée d'humidité, on aura de suite une idée de l'impossi-bilité de prouver leur faculté hydrotropique d'une façon directe.

Il faudrait pour cela fixer des tiges horizontalement au-dessus de l'eau ou parallèlement à une paroi humide quelconque ; c'est ce que je fis à plusieurs reprises, mais chaque fois, après quelques heures, les tiges en expérience étaient fanées. Je fermai même le bocal contenant les tiges en expérience pour avoir de l'air saturé d'humidité (et dans ce cas je ne pouvais guère espérer obtenir de courbure hydrotropique) et elles se flétrirent encore. Je renonçai donc à expérimenter directement et je me bornai à vérifier l'obser-Vation précitée au sujet de la courbure des tiges à la surface de l'eau.

fre ExPÉRIENCE. - Je fixai au fond d'un baquet d'eau (1) une tige de Zannichellia palustris L., comme pour une expérience sur le géotropisme négatif, et je la couvris d'une couche d'eau assez mince pour que la plante en dépassât la surface au moment où elle se relèverait.

Au bout de deux jours elle s'était redressée, mais son extré-mité était recourbée et ne dépassait pas la surface, parce qu'elle était chargée de feuilles longues et rubannées. Pour supprimer ce poids, je sectionnai ces feuilles à leur base, mais la tige resta courbée. Quand je l'eus sortie de l'eau, il est vrai, sa courbure disparut à peu près, car elle n'était pas nettement marquée.

2e ExPÉRIENCE. -Je recommençai alors l'expérience en suppri-mant les feuilles dès l'abord. Il y eut flexion vers le haut et la tige émergea quelque temps; mais peu à peu elle se recourba parallèle-ment la surface. Aussi, lorsqu'elle eut accompli en entier la courbure inférieure, amenée par le géotropisme négatif (environ 70°), sa partie sup~rieure avait aussi décrit un angle de même grandeur. Après que j'eus sorti la plante de l'eau, la courbure était encore sensible, malgré la flexibilité de la tige des Zannichellia qui les rend du reste peu propres à ce genre d'expérience.

3e ExPÉRIENCE. - Je pris des tubercules de Potomageton

pecti-(1) Il est évident que, comme les expériences sur le géotropisme négatif des tiges, toutes ces expériences se faisaient à une obscurité complète, afin de supprimer l'action perturbatrice de la lumière.

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natus L., dont les bourgeons et les tiges avaient toute la rigidité désirable et je les traitai de la même manière. Je les fixai sous une couche d'eau peu considérable, de façon que les bourgeons fussent dirigés horizontalement (fig. 15. A).

Au bout de quelques jours ils germaient et se redressaient vers la surface en s'allongeant un peu, de sorte que leur extrémité la dépassait. Cette extrémité se courba alors horizontalement, et les tiges restèrent constamment en contact avec l'eau. Au fur et à

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A B

Fig. I5.- Tubercules de Potamogeton pectinatus L.- A. Avant l'expérience;

B, au bout de quelques jours deux courbures se sont manifestées, l'in-férieure due au géotropisme négatif, la supérieure due à l'hydrotropisme positif du bourgeon.

mesure que la flexion géotropique s'accentuait, la courbure hydra-tropique augmentait aussi et les rameaux continuaient à s'allonger parallèlement à la surface. Comme ces plantes sont fort rigides, en les retirant du vase on pouvait se convaincre que, ni leur forme, ni leur position n'étaient en rien modifiées par l'émersion (fig. 15. B.).

4e ExPÉRIENCE. --Le même phénomène peut s'observer chez les tiges de Myriophyllum; du moins chez les espèces commu~es dans le Rhône et dans notre port.

11 faut faire une exception pour un Mgriophyllum cultivé au jardin botanique de Genève, M. proserpinacoïdes Hook., qui croit dans les eaux douces du Chili et qui élève parfaitement sa tige au-dessus de la surface.

5e ExPÉRIENCE. - Des rameaux de Ranunculus aquatilis L. à grandes feuilles, placés dans les mêmes conditions, se comportèrent comme les tubercules de Potamogeton pectinatus, mais le géotro-pisme négatif de leurs tiges étant moins accentué, les deux ·cour-bures furent moins nettes.

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66 ExPÉRIENCE. -Je fixai verticalement dans l'eau un tubercule de Potamogeton pectinatus L., de telle sorte que l'extrémité de son bourgeon dépassât la surface. Ce bourgeon se tient droit facile-ment; il est assez rigide même pour qu'il lui arrive souvent de se briser lorsqu'on veut le courber avec la main. J'avais choisi le moment ·où le bourgeon va se développer, de façon qu'il pût s'allonger avant de sécher. Au bout de peu de temps, il se recourba vers le niveau de l'eau.

7e ExPÉRIENCE.- Des rameaux de Zannichellia furent fixés hori-zontalement au fond d'un bocal et recouverts d'une mince couche d'eau, puis le récipient fut rempli d'huile. Un large tuyau passant à travers l'huile mettait l'eau. en communication avec l'atmosphère.

L'huile devait servir de soutien à la plante lorsqu'elle se redresserait sous l'influence de son géotropisme négatif, de sorte que, si elJe effectuait une seconde courbure pour rester en contact avec l'eau, ce ne fut plus sous l'influence de son propre poids mais à cause de l'hydrotropisme. Les Zannichellia se redressèrent, mais en même temps elles s'incurvèrent de façon à rester en contact avec ]'eau.

Cette expérience n'est pas parfaite, on peut toujours objecter que la plante ne pénètre pas dans l'huile, parce que c'est un milieu qui lui est nuisible et arrête sa respiration. Aussi, avons-nous seulement relaté ce fait comme venant corroborer des [résultats déjà acquis.

Conclusions. - Il est bien difficile de conclure car, il faut l'avouer, il manque encore une expérience décisive. Nous avons renoncé à la faire, nous n'avons pas pu même la concevoir. En effet, les plantes aquatiques périssent rapidement hors de l'eau;

au besoin, on aurait pu encore les mouiller en faisant tomber goutte à goutte de l'eau sur elles: mais alors, étant entourées d'eau, elles n'auraient pu manifester de courbure. Notre dernière expé-rience avec l'huile n'est pas non plus sans soulever d'objections.

Enfin, nos premières expériences peuvent s'interpréter de plusieurs manières :

1 o On pourrait, comme nous l'avons vu, supposer que l'aug-mentation de poids des tiges aquatiques dans l'air les courbe

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passivement et les empêche de s'y dresse~. Nos 28 , 3e et 68 expé-riences répondent à cette objection. Les 2e et 3e montrent que chez z.annichellia et chez les tubercules de Potamogeton pectina.t-us, la courbure persiste après qu'on a retiré la plante de l'eau; ce n'est donc pas une flexion purement mécanique. En outre, dans notre 6e expérience, nous avons fixé verticalement un bourgeon de P. pectinatus dont la pointe émergeait de l'eau ; cela seul montre qu'il était assez rigide pour se soutenir lui-même.

~o On peut admettre que la tige une fois hors de l'eau perd rapi-dement sa turgescence et que, molle, elle se courbe facilement par le fait de son propre poids. Mais dès qu'elle a touché la surface, la turgescence se manifeste de nouveau et fixe la courbure par un phénomène de croissance qui accompagne ord~nairement la turges-cence. Cette interprétation a l'avantage de rendre compte du fait que la courbure persiste quand la plante a été retirée de l'eau. On ne peut réfuter complètement cette manière de voir; je dois dire cependant qu'elle ne me parait pas tout à fait jus ti fiée, parce que dans ma 68 expérience, lorsque le bourgeo~ du Pot. pectinatus se recourbait vers la surface de l'eau, j'ai pu constater qu'il n'a pas cessé d'être rigide et bien turgescent.

3o Une dernière hypothèse nous reste, c'est celle d'un hydrotro-pisme positif (1) des tiges de plantes aquatiques. C'est plutôt en faveur de cette dernière que parlent nos expériences. Cependant, nous ne saurions l'admettre d'emblée, car la preuve absolue n~est

pas faite et qu'en outre, il nous paraîtrait très naturel que la sélec-tion n'ait pas développé chez les plantes aquatiques une sensibilité spéciale ayant pour but de les empêcher de sortir de leur milieu, si ce but est atteint par le moyen que nous a v ons indiqué sous le chiffre 2.

(r) Nous ne mentionnons pas ici les organes aériens de certaines plantes aquatiques. C'est un argument qui nous semble parler en faveur de l'hydro-tropisme, mais il n'est pas du tout péremptoire et ne ferait qu'embrouiller le problème en posant l'éternelle question de la fonction qui crée l'organe ou de l'organe qui crée la fonction. Ces parties aériennes ont en effet une struc ture particulière. Du reste tout ce que l'on baserait sur une telle preuve pourrait être réduit à néant si l'on admet, chose fort vraisemblable, que ces parties aériennes possèdent non seulement une anatomie particulière, mais aussi une physiologie distincte, réminiscences d'un état ancestral où la plante vivait sur la terre ferme.

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V. - LE RHÉOTROPISME CHEZ LES PLANTES AQUATIQUES Les plantes aquatiques, du moins certaines d'entre elles, sont certainement sensibles à l'action du courant et exécutent sous son influence des courbures caractéristiques. Bengt Jônssen (1) appelle cette sensibilité : le Rhéotropisme; il l'a étudiée chez des PlasmQ-dies de. Myxomycètes, puis chez les racines de quelques plantes terrestres. Il montre par ses expériences que les plasmodies se meuvent toujours dans le sens inverse ·du mouvement de l'eau, et que les racines se recourbent également contre le courant.

Je n'ai pas expérimenté sur les racines, mais seulement sur les tiges, j'y ai été amené par l'observation que les Zannichellia patustris, dans les endroits où le courant ne se faisait pas sentir, redressaient nettement leurs rameaux vers le haut, tandis que celles qui étaient exposées à un courant d'eau, les tenaient allongés dans le sens du courant ; et ce courant était assez fai.ble pour qu'il fût vraisemblable que par sa seule force il ne pût pas neutraliser l'influence du géotropisme. Je pris de ces tiges allongées horizontalement sous l'influence du courant, et je vis que comme les autres, elles étaient négativement géotropiques, il fallait donc bien qu'il y eût une autre sensibilité qui annulât la première, pour les coucher horizontalement, c'était le rhéotropisme.

On peut aussi remarquer que les tiges que l'on force à se tenir contre le courant, se recourbent peu à peu dans le sens de ce même courant. Cependant on pourrait admettre qu'il n'y a là qu'une action mécanique si les expériences de Jônssen sur les racines n'avaient pas nettement démontré que nous sommes ici en face d'une sensibilité particulière. Cette dernière ne me semble pas rentrer dans la catégorie du géotropisme, parce qu'ici la for:ce agit sur l'ensemble de l'organisme et non sur les molécules du protoplasme des cellules, comme nous avons vu que cela se passait pour le géo-tropïsme.

De plus, nous sommes arrivés avec les tiges à la même conclu-sion que Jônssen avec les raCines : « Auf die Wurzeln hat eine

(x) Bengt Jonssen : Rheotropismus (Berichte der deutschen botanis-chen Gesellschaft, x883. Bd. I, p. 5I3).

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» Energie (Stromung) nur unter der Bedingung richtende Kraft,

>> wenn die Empfindlichkeit stark genug ist, um den Geotropismus

>> anfzuheben ».

Cette sensibilité a évidemment aussi son iniportance pour la plante ~ on se représente parfaitement que si le rhéotropisme était renversé, c'est-à-dire si la racine se dirigeait du côté du courant et la tige en sens inverse, les plantes auraient bien moins ~e chances de se fixer ; tandis qu'en allant chercher un point de fixation en amont, des- racines jettent des câbles qui relieront la plante au.

fond du fleuve, l'empêcheront d'être entraînée trop facilement et risqueront moins d'être brisés puisque la force agira sur eux par traction et non par torsion.

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