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2. Biomarqueur tissulaire : High temperature requirement factor A1 (HtrA1)

2.2 HtrA1 et le cancer de l’ovaire

2.2.1 Études in vitro : HtrA1 et la carcinogenèse

Quelques recherches ont été menées pour évaluer le rôle de HtrA1 dans la carcinogenèse du cancer de l’ovaire. Chien et al. ont montré que la perte d’hétérozygotie était associée à une sous-expression de la protéase(66). De plus, la protéase semble être impliquée dans la régulation de l’anoïkose, une forme d’apoptose induite lorsque les intégrines de la cellule ne sont plus en contact avec la matrice extracellulaire du tissu d’où elles proviennent(67). Échapper à l’anoïkose est une étape essentielle vers la malignité pour une cellule, un des pôles essentiels de la carcinogenèse(68). La cellule peut alors survivre et croître sans ancrage à la matrice extracellulaire et envahir les tissus adjacents. He et al. ont montré que l’expression de HtrA1 était naturellement augmentée dans les cellules cancéreuses ovariennes en anoïkose par rapport à celles qui ne sont pas en mort cellulaire(62). De la même manière, l’induction de l’expression de HtrA1 était liée à une augmentation de la mort cellulaire dans des cellules cancéreuses qui n’exprimaient pas naturellement la protéase(66). À l’inverse, la suppression de l’expression de la protéase dans des lignées de cellules de cancer de l’ovaire exprimant fortement HtrA1 a rendu les cellules résistantes à l’anoïkose (62, 66).

La protéine HtrA1 semble aussi être impliquée dans la migration cellulaire. En effet, la suppression de l’expression de la protéase dans une lignée cellulaire de cancer de l’ovaire a entraîné une augmentation de la

vitesse de remplissage de la griffure par des cellules lors d’un scratch assay (60). Les auteurs avancent l’hypothèse que cette association entre HtrA1 et la migration cellulaire serait due à l’association de la protéase aux microtubules du cytoplasme dans des lignées cellulaires de cancer de l’ovaire. Par contre, dans cette même étude, l’expression de HtrA1 n’était pas associée significativement à un changement de la prolifération cellulaire.

La sous-expression de la protéase a aussi été trouvée associée à la résistance à la chimiothérapie(63). Après un traitement de 24h dans une solution de cisplatine, les cellules d’une lignée cellulaire de cancer de l’ovaire sous-exprimant HtrA1 ont formé significativement plus de colonies (p<0,01 à 15μM de cisplatine) que les cellules exprimant fortement HtrA1. Le pourcentage de cellules sous-exprimant HtrA1 qui étaient en apoptose était statistiquement plus faible que le pourcentage de cellules contrôles en apoptose (12% vs 31% à 20 μM de cisplatine, p<0,001). Inversement, l’induction de l’expression de HtrA1 était associée à une diminution significative du nombre de colonies (p<0,0001 à 16 μM de cisplatine), ainsi qu’à une augmentation significative du nombre de cellules en apoptose (35% vs 10% de cellules en apoptose, p<0,0001 à 20 μM à 24h).

Le mécanisme par lequel les tumeurs qui sous-expriment HtrA1 pourraient être résistantes à la chimiothérapie est en partie expliqué par son rôle dans la régulation de l’apoptose. D’abord, il a été observé que le traitement au cisplatine induisait la production de HtrA1 dans les cellules cancéreuses ovariennes in vitro et que, par conséquent, cette augmentation accroîtrait la mort cellulaire(63, 69). Par ailleurs, HtrA1 avait la capacité de former un complexe avec une protéine inhibitrice de l’apoptose bien connue pour son rôle dans la chimiorésistance, X-linked inhibitor of apoptosis protein (XIAP), et HtrA1 la dégraderait via son activité protéase(69). La destruction de XIAP induirait la production des caspases 3 et 7 qui sont utilisées par la caspase 9 dans la voie intrinsèque de l’apoptose(63, 69, 70). Ainsi, la sous-expression de HtrA1 ne permettrait pas la dégradation de XIAP et la mort cellulaire serait inhibée.

Un autre mécanisme par lequel la protéine HtrA1 pourrait être impliquée dans l’anoïkose a été suggéré par He et al. dans leur étude sur des lignées cellulaires de cancer de l’ovaire(62). Par immunoprécipitation, ils ont montré que HtrA1 interagissait avec le facteur EGFR, facteur classiquement associé à la carcinogenèse. Ils ont aussi montré que la sous-expression de HtrA1 augmentait l’expression de EGFR, diminuant du même coup le nombre de cellules en anoïkose. L’expérience contraire, en induisant la surexpression de la protéase, a montré une diminution de l’expression de EGFR tout comme une augmentation de la mort cellulaire. Les auteurs suggèrent que la protéase pourrait promouvoir l’anoïkose par l’atténuation de la voie EGFR/AKT.

2.2.2 Études in vivo : HtrA1, croissance tumorale et métastases chez la souris

Des cellules de cancer de l’ovaire luminescentes dont l’expression de HtrA1 a été supprimée par shRNA ont été injectées dans un modèle de souris immunodéficientes et elles se sont avérées plus agressives que les cellules contrôles n’ayant pas eu de modification de l’expression de la protéase(62). En effet, après 1 semaine, la mesure de la bioluminescence dans l’abdomen des souris était 2,4 fois plus élevée dans le groupe ayant reçu les cellules sous-exprimant HtrA1 que dans l’abdomen de celles du groupe contrôle (p<0,01). Au décès des animaux, le nombre de métastases était significativement plus élevé dans le groupe sous- exprimant HtrA1 que dans le groupe contrôle (moyenne de 14 métastases vs. 3, p<0,01).

2.2.3 Études chez l’humain

2.2.3.1 Expression en ARN messager et en protéine de HtrA1 dans des tissus de cancer

de l’ovaire

L’ARN messager (ARNm) et la protéine HtrA1 sont présents dans l’épithélium ovarien normal (66, 71). Une altération de l’expression de HtrA1 dans les tissus cancéreux par rapport à l’épithélium ovarien normal pourrait être un indice appuyant la thèse que la protéase joue un rôle dans le cancer de l’ovaire, bien que l’épithélium ovarien normal semble ne pas être le tissu d’origine du cancer, tel que mentionné précédemment. En travaillant sur des lignées de cancer de l’ovaire humain, Shridhar et al. ont montré que l’expression en ARNm de HtrA1 était diminuée ou carrément supprimée dans les cellules cancéreuses par rapport à l’épithélium ovarien normal (72). Chien et al. ont corroboré ces observations par la mesure d’ARNm et de protéines sur des lignées cellulaires d’épithélium ovarien normal et de cancer de l’ovaire(66). En comparant les tissus de 20 tumeurs bénignes de l’ovaire, de 44 carcinomes ovariens primaires et de 19 tissus ovariens normaux, Narkiewicz et al. ont aussi montré que l’expression en ARNm de HtrA1 était statistiquement diminuée dans les tumeurs ovariennes par rapport aux tissus normaux (p<0,001), ainsi que dans les tissus de carcinomes en comparaison aux tissus de tumeurs bénignes (p<0,001) (73). Cependant, aucune différence significative de l’expression protéique de la protéase n’a été trouvée entre les groupes.

2.2.3.2 Associations entre HtrA1 et les facteurs pronostiques standards du cancer de

l’ovaire

Les facteurs pronostiques standards du cancer de l’ovaire sont l’âge, le grade tumoral, le type histologique, le CA-125, le stade TNM ou FIGO et la présence de tumeur résiduelle après la chirurgie(74). Peu de recherches ont été menées pour étudier le lien entre l’expression en ARNm ou en protéine d’HtrA1 et les facteurs pronostiques standards chez les femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire. Narkiewicz et al. ont mesuré

l’expression d’ARNm et de protéine de HtrA1 dans des tissus ovariens normaux et dans des tissus néoplasiques(73). Aucune association significative n’a été trouvée entre la mesure d’ARNm de HtrA1 et le grade tumoral (p=0,13), le stade TNM (p=0,23) ou le type histologique (p=0.59). Par contre, il y avait une association significative positive entre le niveau de la protéine HtrA1 et le stade TNM (p=0,04).

2.2.3.3 Associations entre HtrA1 et le pronostic des femmes atteintes d’un cancer de

l’ovaire

Selon nos connaissances, il n’y a pas d’étude évaluant le lien entre HtrA1 et le risque de progression et de décès des femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire. Par contre, Chien et al. ont étudié l’association entre l’expression de HtrA1 tissulaire et la réponse au traitement de chimiothérapie au cisplatin chez 60 femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire(63). La mesure de l’expression de HtrA1 a été réalisée par immunohistochimie (IHC) en estimant l’intensité (0, 1 ou 2) des cellules positives, sans égard à la structure intracellulaire marquée. Comparées aux femmes qui surexprimaient la protéase (intensité de marquage 2), les patientes avec des tumeurs qui sous-exprimaient HtrA1 (intensité 0 et 1) avaient un taux de réponse à la chimiothérapie significativement plus faible. Au total, 19/30 patientes (63%) sous-exprimant HtrA1 ont répondu au traitement contre 27/30 patientes (90%) surexprimant HtrA1 (p=0,0146).

2.2.3.4 Associations entre HtrA1 exprimé dans le stroma et le pronostic des femmes

avec un cancer de l’ovaire

Notre équipe de recherche a mené une étude exploratoire comparant par DNA microarray la différence d’expression de la protéase HtrA1 dans le tissu tumoral et le stroma chez 10 femmes avec un cancer séreux de l’ovaire présentant une récidive précoce (n=5) ou tardive (n=5)(75). Toutes les femmes devaient avoir un cancer de haut grade, reçu une chimiothérapie adjuvante et avoir eu une réponse complète suite à la première ligne de traitement. Une sous-expression de HtrA1 a été observée seulement dans le stroma des tumeurs des femmes avec récidive précoce par rapport à celles avec une récidive tardive (expression différentielle de 0,58). Comme cette étude était de taille limitée, elle ne pouvait pas prendre en compte l’effet des facteurs pronostiques standards. Ces résultats devraient donc être confirmés dans une large cohorte de femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire.

Cette association entre l’expression de HtrA1 et la récidive est intéressante car elle a été trouvée dans le stroma des tumeurs. Très peu d’études concernant des marqueurs pronostiques dans le stroma ont été réalisées. Le stroma est un tissu qui donne une structure à la tumeur(76). Les fibroblastes contenus dans le stroma réagissent à la présence de la tumeur et cette réaction dite desmoplasique finit par promouvoir la croissance, l’expansion et la dissémination des cellules cancéreuses(77).

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