« La science consiste à passer d’un étonnement à un autre » Aristote
Les travaux qui constituent cette thèse se sont déroulés en quatre étapes principales :
• Etude de l’incidence des cancers en Nouvelle-Calédonie - Mise en évidence de la sur incidence des cancers respiratoires et des mésothéliomes
• Analyse des mésothéliomes à l’échelle de la commune - Mise en évidence des secteurs à forte incidence et étude des liens avec la géologie, le Pö et l’activité minière
• Enquêtes épidémiologiques et géologiques autour des cas dans les secteurs à risque élevé - Recherche des facteurs d’exposition possible à l’amiante naturel
• Etude écologique dans les 100 tribus d’un secteur englobant les zones à risque élevé – Analyse des déterminants environnementaux du mésothéliome malin pleural en Nouvelle-Calédonie
2.1. Mise en évidence de la surincidence des
mésothéliomes et des cancers respiratoires en
Nouvelle-Calédonie
La première étape de ma démarche était directement reliée à la mission de surveillance des cancers que j’assurais au sein de l’Institut Pasteur de
Nouvelle-Mésothéliome et amiante environnemental en NC Page 64 Calédonie. Elle a consisté à rechercher les données concernant tous les cas incidents de cancers, calculer et analyser les incidences standardisées selon le groupe ethnoculturel et la province de résidence, à étudier leur évolution dans le temps et à les comparer aux taux métropolitains et mondiaux. Cette étape a permis de mettre en évidence les incidences particulièrement élevées des cancers respiratoires et des mésothéliomes en Nouvelle-Calédonie, mais également d’autres cancers comme ceux de la thyroïde.
Ce travail a fait l’objet d’un article paru en avril 2005 dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire publié par l’Institut National de Veille Sanitaire, et intitulé : « Registre
du cancer de Nouvelle-Calédonie, bilan de 15 années de surveillance, 1989-2003 »,
ainsi que de rapports publiés annuellement. La plaquette résumant les 30 années d’enregistrement des cancers en Nouvelle-Calédonie, de 1977 à 2007 est présentée à la fin de cette partie.
2.2. Etude à l’échelle communale : recherche des zones à
risque et des liens avec la géologie, le Pö et l’activité
minière
Des études scientifiques ont montré la présence de fibres d’amiante dans le nickel calédonien [Langer 1980], d’autres dans le Pö utilisé pour enduire les habitations kanakes [Luce 2000]. Les autorités sanitaires ont mené une vaste campagne de destruction de ces maisons. Cependant certaines associations environnementales accusent l’exploitation du nickel d’être la principale responsable des cancers liés à l’amiante. De plus la bibliographie internationale révèle la présence de serpentinites dans le sol calédonien [Guillon 1973, Lartham 1986, Lessard 1978, Pan 2005,
Trescases 1975], indiquant la possibilité d’une exposition environnementale liée à un
certain contexte géologique. L’exposition à l’amiante en NC est probablement multifactorielle ; il est important de passer en revue les différentes sources possibles d’exposition afin de n’en négliger aucune et de pouvoir prendre, de la façon la plus complète possible, les mesures de protection des populations.
Mésothéliome et amiante environnemental en NC Page 65 Afin de mieux cerner les groupes concernés par l’exposition à l’amiante, une étude cas-témoins a été conduite sur tous les mésothéliomes pleuraux confirmés histologiquement, enregistrés de 1984 à 2002 au Registre du Cancer de Nouvelle-Calédonie. L’incidence du mésothéliome par commune a été étudiée pour mettre en évidence les principaux foyers. Puis une analyse statistique incluant le recensement des cases à Pö trémolitique, l’activité minière et la présence de serpentinite dans le sol de la commune de résidence a été réalisée afin de rechercher les facteurs significativement associés à la répartition géographique des cas de mésothéliome.
Ce travail a fait l’objet d’un article paru en 2007 dans la revue Cancer Detection and Prevention, intitulé « Pleural mesothelioma in New Caledonia : An acute environmental concern » [Baumann et al. 2007].
2.3. Enquêtes épidémiologiques et géologiques autour des
cas dans les deux secteurs les plus à risque
Dès 2004, un groupe de recherche a été constitué qui réunissait l'Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie (IPNC), le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et l'Institut pour la Recherche et le Développement (IRD). L’équipe de recherche était constituée de Pierre Maurizot, expert senior en géologie, directeur de l’antenne BRGM de Nouvelle-Calédonie, Bernard Robineau, enseignant-chercheur en géologie de l’environnement détaché à l’IRD, Jean-Paul Ambrosi, géochimiste de l’environnement, chargé de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, détaché à l’IRD, et moi-même, épidémiologiste à l’IPNC et responsable scientifique du registre du cancer de Nouvelle-Calédonie. J’étais chargée de piloter l’équipe. Nous avons monté trois projets successifs qui ont été financés par le Ministère de l’Outre-Mer et complétés par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. L’objectif principal était d’identifier et de hiérarchiser les sources environnementales d’exposition à l’amiante en Nouvelle-Calédonie.
La zone d’étude du premier projet englobait les communes de Houailou et Bourail, deux régions géologiquement différentes qui rassemblaient 35,3% des cas. Les objectifs de ce projet étaient :
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• de mener sur le terrain des enquêtes épidémiologiques et géologiques autour de chaque cas de mésothéliome enregistré sur l’une des deux communes, afin de relever les informations concernant les différentes sources possibles d’exposition aux fibres d’amiante : histoire résidentielle des cas, histoire professionnelle, analyse et localisation du Pö, roches amiantifères mises à nu...
• d’échantillonner et d’analyser la minéralogie de tout matériau potentiellement amiantifère, afin de déceler et d’identifier la nature des fibres.
• de rassembler les données dans un Système d’Information Géographique, afin de construire des cartes sur lesquelles devaient figurer à la fois les données géologiques, minéralogiques et épidémiologiques. Ces cartes étaient établies dans le but d’aider à la compréhension de la survenue du mésothéliome à Houaïlou et à Bourail, ainsi qu’à l’évaluation du risque amiante environnemental sur les deux communes étudiées.
Les résultats de ces travaux ont été publiés dans le rapport IPNC FB MOM 2007 « Facteurs de risque du mésothéliome en Nouvelle-Calédonie : données
épidémiologiques et géologiques. Confrontation des données épidémiologiques et des données géologiques pour étudier l’étiologie du mésothéliome environnemental en Nouvelle-Calédonie : application dans les deux zones test des communes de Houailou et de Bourail. »
Un second programme de recherche a été mené sur les communes de Koné, Touho et Poindimié. Il comprenait les volets suivants :
- enquête épidémiologique couplée à l’étude géologique dans cette seconde zone à risque identifiée par l’étude communale, afin de comparer les résultats (sources d’exposition à l’amiante, nature des matériaux amiantifères) avec ceux de l’enquête précédente,
- pose de capteurs de fibres sur les deux secteurs étudiés afin de mettre en évidence la présence de fibres dans l'air et de déterminer leur nature minéralogique.
Mésothéliome et amiante environnemental en NC Page 67 Ce programme était complété par la mise au point d'un capteur géophysique destiné à repérer les tronçons de pistes recouverts de serpentinite.
Les résultats ont été publiés dans deux rapports :
• L’amiante environnemental en Nouvelle-Calédonie : Confrontation des données
épidémiologiques et des données écologiques dans le secteur de Koné-Touho-Poindimié, et Identification des fibres aériennes d'amiante dans les zones à risques de Houailou-Bourail. Rapport IPNC FB MOM 2008.
• Amiante environnemental en Nouvelle-Calédonie : Identification des fibres
aériennes d’amiante dans les zones à risques de mésothéliome révélées par l’enquête épidémiologique dans le secteur de Koné-Touho-Poindimié. Rapport BRGM RP- 56198 – FR, 2008.
2.4. Etude écologique sur les 100 tribus du secteur
Houaïlou-Bourail-Poya-Koné-Poindimié-Touho-Hienghène
Ce troisième projet, financé en partie par le Ministère de l’Outre-Mer, a été réalisé après une enquête financée par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur tous les cas de mésothéliome non encore investigués lors des deux précédentes études.
Deux axes de travail étaient définis dans l’étude financée par le Gouvernement :
1) poursuite de l'enquête épidémiologique, géologique et minéralogique autour de tous les cas de mésothéliome non encore étudiés,
2) mise au point de l'utilisation d’un capteur hyperspectral en télédétection pour cartographier les minéraux fibreux.
Les résultats de ces travaux ont été publiés dans le rapport BRGM RP- 57103 remis au Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en 2009 : « Amiante environnemental en
Nouvelle-Calédonie : Poursuite de l’enquête épidémio-géologique et Méthodologie d’utilisation d’un capteur hyperspectral ».
Mésothéliome et amiante environnemental en NC Page 68 Puis un secteur d’étude, qui englobait les deux zones déjà étudiées ainsi que deux zones connues pour la présence de trémolite, a été défini. Afin de pouvoir évaluer la part des différents facteurs révélés par les enquêtes précédentes:
- Pö trémolitique,
- affleurements de serpentine ou d’amphibole, - carrières de serpentinite,
- proximité du réseau routier, - proximité du secteur minier - couvert végétal
- encaissement des vallées,
l’étude éco-épidémiologique a été étendue à l'ensemble des tribus du secteur d’étude, à la fois dans celles où le mésothéliome avait été enregistré et dans celles indemnes de cas.
Ce travail n’a pas pu être terminé dans le cadre de mon poste à l’IPNC, la nouvelle direction décidant d’interrompre mon contrat juste après ma dernière mission sur le terrain. Il a été cependant mené à son terme, grâce au concours du BRGM qui a continué d’assurer les analyses minéralogiques et à celui du directeur du laboratoire ERIM de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, qui a accepté de co-diriger ma thèse (la partie géologique étant dirigée par le directeur du CNRT Nickel et son environnement). J’ai ainsi réalisé les analyses statistiques au sein de l’unité ESPACE de l’IRD, qui était mon laboratoire d’accueil pour ce travail, et rédigé l’article accepté aussitôt dans la prestigieuse revue Environmental Health and Perspectives, présenté à la fin du chapitre 6.
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