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Tout semble avoir été dit et écrit sur l’histoire et les rebondissements de l’Europe de la défense, depuis le Traité de Bruxelles et la CED30 jusqu’au sommet de Saint-Malo, sans oublier les développements les plus actuels de la PESD : institutionnalisation du second pilier, premières opérations, avancées prévues par les nouveaux Traités… Dans ce foisonnement empirique, on s’étonnera néanmoins du peu d’attention portée à la genèse des aspects civils de la gestion des crise. Cette première partie propose par conséquent un autre regard sur la PESD en insistant sur la dimension « sécurité », trop souvent occultée par les débats sur le volet « défense ».

La GCC européenne a en effet son propre cheminement et ses propres dynamiques, notamment par rapport au volet militaire. Il convient de les mettre en perspective pour mesurer l’étendue du chemin parcouru tout en identifiant les éléments déterminants et les principales lignes de continuité/discontinuité. Mais cette première partie offre aussi plus généralement une relecture inédite de la PESD telle qu’elle a été négociée puis mise en oeuvre par l’UE et les Etats membres. Revisiter l’histoire de l’Europe de la défense sous l’angle spécifique de son volet civil n’est cependant pas sans écueil.

Le premier écueil est certainement le manque de recul. La PESD stricto sensu est un champ très récent. Comment distinguer l’histoire immédiate de l’analyse « à chaud » d’un sujet en mutation rapide ? Que retenir dans la masse d’informations déjà connues pour annoncer et éclairer avec profit ce qui sera analysé plus en détail dans la suite de la recherche ? Comment éviter enfin le cumul fastidieux des faits, des dates et des chiffres ?

Le deuxième écueil est de se laisser aveugler par nos lunettes contemporaines. La dualité civilo-militaire de la PESD et la prédominance actuelle des missions civiles ne vont pas de soi. S’il est important de cerner autant que possible l’intentionnalité profonde des Européens, il ne faut pas pour autant céder à un historicisme trop déterminé. La PESD telle qu’elle existe aujourd’hui est largement le fruit des circonstances et de développements inattendus. Ses objectifs ultimes demeurent par ailleurs indéchiffrables (ce qui n’empêche nullement de s’interroger sur les finalités possibles).

Comme l’UE et la PESD tout entières, la GCC est en tout cas une réalité en perpétuel mouvement. Son développement est fondamentalement itératif et incrémental. Enfin, sa dynamique d’évolution est peu propice aux interprétations monolinéaires. Elle est au contraire diachronique du fait de la pluralité des influences internes et externes. Les différentes dimensions du volet civil de la PESD n’ont ainsi pas progressé au même rythme. Les priorités données ont varié en fonction du contexte international, des avancées et des blocages intra-institutionnels, sans oublier les leçons tirées de l’expérience.

30Communauté Européenne de Défense.

L’enchevêtrement des enjeux et des thématiques suppose de distinguer différents niveaux de lecture qui sont aussi des pistes à suivre comme autant de fils rouges.

Cette première partie insiste en premier lieu sur les contextes interne et externe qui ont accompagné et influencé le développement de la GCC (notions de inputs et outputs). Le façonnement du volet civil de la PESD a été conditionné par les grandes évolutions internationales des vingt dernières années : fin de la Guerre froide et illusions du « Nouvel ordre mondial », impuissance de l’ONU et de l’UE face à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, attaques du 11 septembre, tournures prises par les interventions en Irak et Afghanistan. Nous verrons ainsi comment la GCC européenne illustre plus généralement le passage de « l’agenda du Peacebuilding » des années 1990 à « l’agenda de la stabilisation » qui prédomine aujourd’hui sur fond de « Guerre globale contre le terrorisme ». En parallèle, la genèse de la GCC est le reflet des aléas politiques et institutionnels d’une Union européenne en profond bouleversement : effets des élargissements successifs, difficultés à concrétiser la PESC, désaccords sur la PESD, tentatives répétées pour réformer les Traités, etc.

Le deuxième fil rouge de cette première partie a trait aux aspects capacitaires et à la dualité civilo-militaire. Le volet civil a émergé à l’ombre et en parallèle du volet militaire. Ce n’est que progressivement que le décalage a pu être réduit, au moins partiellement (décalage entre les deux volets, mais aussi, entre le discours et la réalité des efforts fournis sur le plan civil). L’UE ambitionne en tout cas de créer de véritables synergies entre les différents aspects de la gestion des crises, en lien avec la Commission. Cela dynamise le caractère opérationnel de la PESD, concrétisé par un accroissement thématique et géographique des missions et opérations. Cet accroissement génère à son tour des besoins nouveaux, d’où un effet d’entraînement qui touche l’ensemble de la PESC/PESD.

Une troisième piste est d’étudier par ailleurs comment la GCC a favorisé les compromis et, plus profondément, les phénomènes de convergence malgré des approches et des visions différentes entre les Etats et dans l’UE elle-même. L’approche minimaliste initiale - utiliser le cadre de la PESD pour mieux coordonner les capacités nationales existantes - s’est rapidement révélée insuffisante. Les structures du Conseil ont ainsi été renforcées sur un mode centralisateur de façon à impulser, par le haut, de nouvelles dynamiques. Plus largement, il est intéressant de voir comment le volet civil a aidé à forger un consensus minimal sur la PESD jusqu’à devenir aujourd’hui un moteur utile pour l’ensemble du second pilier.

Cette première partie montre pour finir que la GCC européenne est tout autant un processus qu’un projet. Toutefois, ce projet s’affine progressivement d’un point de vue politique, conceptuel et capacitaire. Deux idées maîtresses doivent être ainsi gardées à l’esprit.

La GCC est tout d’abord le fruit d’un lent processus d’apprentissage initié dès les années 1990 dans les Balkans et complété ensuite au fil des opérations. Les Etats européens se sont inspirés des pratiques optimales acquises dans d’autres cadres (ONU, OSCE), mais aussi, de leurs premières expériences en commun sur les théâtres de crise (interventions de l’UEO puis de l’UE en tant que telle). Cette maturation intellectuelle a été accompagnée par ailleurs de négociations permanentes au niveau politique et institutionnel. La GCC est par conséquent aussi un processus politique, en lien étroit avec les débats sur la PESD.

La seconde idée-force est que les années 2003-2004 représentent un tournant dans la jeune histoire de la GCC européenne. Les premières missions et l’adoption de la Stratégie européenne

de sécurité (décembre 2003) ont servi de base pour l’envol effectif du volet civil de la PESD.

Cette période cruciale marque le début d’une véritable démarche rationnelle visant à construire méthodiquement un outil complet et cohérent en matière d’intervention civile au sein de l’Union. La GCC est depuis lors passée du stade de l’intuition, voire de l’ambiguïté constructive, à celui d’une entreprise de nature stratégique, avec des effets opérationnels et politiques visibles. C’est en ce sens que la gestion civile des crises se transforme peu à peu en projet.

Une approche chronologique classique permet de distinguer quatre périodes dans la genèse et dans le développement du volet civil de la PESD. Chacun des quatre chapitres suivants analyse donc une phase particulière de cette histoire.

Le Chapitre I couvre ainsi la période allant de 1991 à 1999. Ces années sont celles des missions de l’UEO dans les Balkans, mais aussi, des débuts timides de la « Communauté européenne » (devenue entre-temps « Union européenne ») dans le champ de la gestion des crises. Cette période se caractérise par des échecs et des demi-succès dont il faut rappeler le contexte (la reconfiguration de l’architecture de la sécurité en Europe) et les enseignements concrets. Ce chapitre est dès lors indispensable pour comprendre pourquoi les Etats européens ont porté leur choix sur l’UE pour développer sur un mode intergouvernemental des capacités civiles novatrices. L’idée est de montrer par ailleurs que l’Europe de la gestion des crises trouve ses véritables origines dans les premières opérations civiles « européennes » de cette époque, antérieure pour une grande part au sommet de Saint-Malo.

Le Chapitre II étudie pour sa part les quatre premières années de la GCC, depuis le sommet de Cologne jusqu’à l’adoption de la Stratégie européenne de sécurité (1999-2003). Cette phase de définition initiale (identification des premiers domaines prioritaires, début de la méthode capacitaire) doit être replacée dans le contexte de la crise du Kosovo et dans le cadre plus large des débats sur la création de la PESD. Parallèlement à l’acquisition de capacités militaires (Objectif global d’Helsinki), les grands contours du volet civil ont été ainsi esquissés au gré des présidences tournantes et des Conseil européens semestriels. Il faut montrer en tout cas l’émergence d’un consensus sur la nécessité de doter la PESD d’une véritable dimension « non militaire ».

Le Chapitre III traite ensuite de la période 2004-2005. Après les balbutiements et les premières actions concrètes sur le terrain, la Stratégie européenne de sécurité a servi de point de référence pour lancer en juin 2004 le Plan d’action pour les aspects civils de la gestion des crises. On peut parler en ce sens de « basculement » de la GCC avec le début d’une démarche rationnelle et méthodique « par le haut ». Celle-ci s’est concrétisée par l’élaboration de l’Objectif global civil 2008 qui traduisait une double ambition : d’une part, renforcer la GCC et son caractère opérationnel, d’autre part, prendre en compte les capacités des dix nouveaux Etats membres suite à l’élargissement à 25. Enfin, de nouvelles missions civiles PESD ont servi tout à la fois de test et d’incitation pour accélerer les efforts sur un éventail de sujets toujours plus étendu.

Le dernier chapitre (Chapitre IV) correspond aux développements les plus récents, dans le cadre de « l’après Post Hampton »31 et du nouvel Objectif global civil 2010. Depuis la Présidence britannique du second semestre 2005, il semble en effet que la GCC européenne soit entrée dans une phase de maturité. Celle-ci se matérialise par la multiplication et par la diversification des actions civiles PESD. Cette accélération peut être interprétée comme une façon de légitimer la

31 Propositions du SG/HR Javier SOLANA pour consolider la PESD suite au Sommet européen informel du 27 octobre 2005. Cf. infra.

PESD et de masquer la crise générée par l’échec du Traité constitutionnel (sans oublier les incertitudes sur le Traité de Lisbonne). Mais, cette expansion rapide reflète aussi un niveau d’ambition plus élevé pour le volet civil de la PESD : déploiement d’opérations d’envergure (Kosovo), capacité à s’engager dans des environnements dits « non permissifs » (Afghanistan, Géorgie)… Ces évolutions permettent d’évoquer un « durcissement » de la GCC européenne qui cherche cependant encore sa voie, entre autonomie et rapprochement avec l’OTAN.

Chapitre I : aux origines de la PESD et de la

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