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Histoire des aménagements de la vallée de la Punaru'u

Partie 3 : Tahiti et la vallée de la Punaru'u

4.2. Histoire des aménagements de la vallée de la Punaru'u

4.2.1. Production d’Agrégat

Au début des années 1960, la France prépare l’installation du Centre d’Expérimentations du Pacifique (CEP) destiné à encadrer une série d’essais nucléaires sur les atolls de Mururoa, Fangataufa et Hao. Ce projet stratégique pour l’état s’est accompagné d’un développement soudain de l’ensemble de la Polynésie et de son île principale, Tahiti, avec la nécessité de construire de larges infrastructures capables d’accueillir l’immense logistique devant appuyer l’établissement des bases militaires. La Polynésie française est alors passée "d’une économie de comptoir à une économie de garnison"F

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Ouvrant les voies de communication, l’Aéroport International Tahiti Faa’a et le Port Autonome de Papeete furent les deux plus grands chantiers des débuts de l’histoire récente de la Polynésie française. L’aéroport, situé à 5 km du centre de Papeete, a été édifié sur un motu, îlot de sable corallien, Motu Tahiti (L’îlot où souffle une brise légère). Sa construction a nécessité l’apport extérieur d’un très grand volume d’agrégats pour remblayer l’espace gagné sur le lagon. Un témoin précise que « des camions allaient chercher des matériaux dans le lit de la rivière Punaru'u pas très éloigné » (André, 2014). La vallée de la Punaru'u se trouve à 10 km au Sud de la zone aéroportuaire (Figure 26). Dotée d’un gisement alluvionnaire important, la basse vallée fut alors exploitée pour la fabrication de béton et la construction routière ainsi que pour la réalisation des remblais du Port Autonome, inauguré en 1966. L’arrivée massive de personnels militaires et de nombreux capitaux, a contribué à l’expansion continuelle de la zone urbaine dans les décennies suivantes avec l’impératif de disposer de gros volumes d’alluvions pour les constructions.

En 1977, la réglementation interdit l'exploitation de matériaux en site littoral et dans le lit des cours d'eau. Pourtant en 1988, les volumes prélevés dans la basse et la moyenne vallée, depuis les débuts de l’exploitation de la Punaru'u, sont estimés à près de 1 million de mètres cubes. Les matériaux étaient extraits à la fois dans le lit mineur de la rivière et dans le lit majeur. L’exploitation du lit majeur a nécessité l’ouverture de souilles profondes. Ces souilles furent comblées avec de la terre, du tout-venant et certainement d’éléments plus douteux issus des nombreuses décharges sauvages dont la présence est régulièrement mentionnée par les anciens riverains.

Lorsque la ressource de la basse vallée s’est tarie, les exploitants sont remontés en amont pour extraire les alluvions de la moyenne vallée. Cette extension de la zone d’exploitation fut engagée sans plan d’aménagement. En septembre 1985, le Schéma Général d'exploitation des granulats proposa de régulariser la situation en encadrant l'activité des entreprises d'extractions et en préconisant une exploitation limitée au lit majeur avec des souilles fermées. Cependant, Masson note, dans son rapport de 1988, que l'exploitation était

5Communication du ministre des finances français, Patrick Peaucellier, Les Nouvelles de Tahiti, le 24 octobre 2011.

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maintenue en 1986 et que de nouvelles concessions furent accordées la même année pour exploiter les alluvions plus en amont.

Figure 26 : Une proximité intéressante entre la vallée de la Punaru'u et les chantiers de l'Aéroport

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En 2014, la moyenne vallée est toujours exploitée. Plusieurs souilles sont visibles et de nouvelles demandes d'extraction ont été déposées à la Cellule Extraction du GEGDP. Parallèlement aux extractions dans le lit majeur de la rivière des autorisations sont octroyées, une à deux fois par an, pour curer le lit mineur et ainsi éviter l'accumulation de roches pouvant augmenter le risque d'inondation. Malheureusement, certains témoignages évoquent des prélèvements largement supérieurs aux volumes initialement autorisés.

Dans le cadre d'un développement économique soudain et rapide à partir des années ‘60, la vallée de la Punaru'u a servi de réservoir d'agrégats pour soutenir les aménagements de Tahiti. L'exploitation de la partie aval de la vallée a certainement été plus rapide que la mise en place des réglementations et des contrôles permettant d'envisager une vision durable de la ressource. Outre "les dommages très importants subis par ce site sur le plan environnemental" (Masson et Jousse, 1988), les impacts sur la dynamique de l'écoulement souterrain sont nécessairement importants. L’un des objectifs de cette recherche, entreprise il y a trois ans, est d'estimer les effets des modifications structurelles du sol, liés au développement industriel de la vallée, sur la ressource en eau souterraine autant d'un point de vue qualitatif que quantitatif.

4.2.2. Zone industrielle

Dans le courant de la décennie des années ‘80, une zone industrielle (ZI) s’est développée sur les souilles remblayées de la basse vallée. D’importantes industries locales s’y sont implantées, faisant de cette ZI la plus importante de Polynésie française. La centrale thermique Emile Martin, gérée par l'Electricité de Tahiti (EDT) fut inaugurée en 1985. Elle produit 75 % de l’électricité de Tahiti. La Brasserie de Tahiti (BdT) y a installé sa principale usine d’embouteillage et de conditionnement en 1986. La BdT brasse 95 % de la bière consommée sur le territoire et produit 50 % des boissons non alcoolisées. EDT utilise l’eau souterraine pour refroidir les moteurs de la centrale, la BdT puise une eau plus profonde pour produire l’ensemble des breuvages qu’elle commercialise.

D’abord contenue dans la basse vallée, la ZI s’est étendue au cours du temps sur une partie de la moyenne vallée couvrant au total un espace de 78 ha. La majeure partie de cette surface est recouverte de bitume favorisant le ruissellement et interdisant l’infiltration.

L’extension de la ZI au début des années ‘90 attribue définitivement une vocation industrielle à la partie aval de la vallée. A l’échelle de l’île, cette option a sans doute permis d’éviter une dispersion des établissements industriels et de perturber trop fortement les équilibres naturels et écologiques d’autres sites.

Cependant, les intérêts économiques sont parfois rattrapés par les impératifs environnementaux. Plusieurs activités industrielles dépendent directement de l’accès à l’eau souterraine et de sa pérennité en terme de quantité et de qualité. L’exploitation des agrégats et le développement de la ZI ont pourtant profondément modifié les conditions hydrodynamiques du milieu pouvant entraîner des conséquences délétères sur la ressource hydrique.

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4.2.3. Modification du lit de la rivière

La rivière de la Punaru'u est un cours d’eau soumis à un régime de type torrentiel. Naturellement, elle s’écoule en serpentant dans un lit mineur relativement large en cherchant son chemin préférentiel à travers les dépôts alluvionnaires charriés au fil du temps. Tout au long de ce parcours sinueux, la rivière est ralentie par les tortuosités de son cours ce qui offre à l’eau le temps de s’infiltrer. Les alluvions forment, à priori, un milieu fortement perméable favorisant la pénétration de l’eau dans le sol.

La Figure 28 est une photo aérienne de la moyenne vallée en 1988 avant l’extension de la ZI Les méandres se distinguent clairement dans le lit mineur de la rivière. L’exploitation des alluvions dans le lit mineur et le développement de la ZI ont imposé d’importants travaux de terrassement, mais avant tout une modification du lit de la rivière. La Figure 29, datant également de 1988, présente le projet de dérivation de la rivière dans la moyenne vallée. L’aménagement du nouveau chenal a nécessité la construction de digues pour canaliser le cours d’eau et contrôler les risques d’inondation en période de crue sur la ZI. Après plusieurs phases de travaux successives, entre 1980 et 1995, la rivière de la Punaru'u est canalisée sur la totalité de la basse et moyenne vallée, du pied du plateau Tamanu à l’exutoire.

Bien que les projets d’aménagements furent assortis de nombreuses préconisations relatives à la géométrie et au profil du canal, à la protection des berges et à l’exploitation des alluvions (Masson et Jousse, 1988), il apparaît aujourd’hui que les recommandations ont été peu suivies ou tout du moins négligées.

4.2.4. Captage d’Alimentation en Eau Potable (AEP)

L’eau de la vallée de la Punaru'u ne représente pas un intérêt stratégique pour la seule industrie privée. Un syndicat intercommunal exploite un captage destiné exclusivement à l’alimentation en eau potable des communes de Punaauia, Faa’a et Paea. Ce captage, situé à la limite entre la moyenne et la haute vallée à la côte 130 m au pied du plateau Tamanu (Figure 27), fut mise en service en 1983. L’accès à l’eau potable de milliers de foyers en dépend directement.

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Figure 28 : Vue aérienne depuis l'aval avant les aménagements de

la moyenne vallée 1985.

Figure 29 : Représentation schématisée du cours naturel de la

rivière. La courbe en bleu foncé dessine le futur tracé du lit de la rivière.

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D’après les informations recueillies auprès du personnel en charge de l’entretien du captage, et les quelques informations parcellaires trouvées dans la littérature, la prise d'eau serait calibrée pour un débit de 450 à 500 l/s. Elle est ensuite reliée au réseau de distribution communal, en aval de la ZI, par une canalisation qui suit le tracé de la piste.

Figure 30 : Captage AEP de la Punaru'u à la côte 130 mètres.

Le captage est une construction en béton relativement importante couvrant la rivière sur les 40 mètres de sa largeur et formant un petit bassin de rétention au-dessus (Figure 30). L’eau est guidée vers une ouverture, de 7 à 8 m de largeur, où est positionnée une grille. Une part de l’eau s’écoule à travers cette grille où elle est ensuite dirigée vers une conduite forcée. Le trop-plein rejoint le lit de la rivière. Lors des crues, le volume d’eau beaucoup plus important peut déborder sur la partie droite du captage.

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