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Un hiatus majeur entre l’offre institutionnelle et la demande sociale de participation 128

CHAPITRE VI- EXAMEN DE L’OFFRE INSTITUTIONNELLE ET DE LA DEMANDE

6.5 Un hiatus majeur entre l’offre institutionnelle et la demande sociale de participation 128

Selon Poquet (2001), une participation effective est celle qui résulte de la rencontre entre l’offre institutionnelle de participation et la demande sociale de participation.

L’enquête de terrain a permis d’analyser les deux mouvements (descendant et ascendant) et il s’avère que quoique les deux soient présents, les motifs derrière chacun d’eux ne permettent pas une conciliation des intérêts des différentes parties prenantes. En effet, l’enquête de terrain a démontré que les motivations de la Ville à ouvrir les dossiers d’aménagement et d’urbanisme étaient souvent prescrites par la LAU. Dans le cas d’activités non prescrites par la loi, la Ville privilégiait des activités de validation ou de bonification de projets développés en grande partie par les fonctionnaires. Dans tous les cas, les exercices n’étaient que purement consultatifs et les participants n’avaient aucune assurance que leur contribution allait être retenue. Il s’agit là d’un contraste important entre l’offre institutionnelle de participation et la demande provenant de la société civile.

Selon une représentante d’une association de résidents, il importe peu de connaître les motifs de l’offre institutionnelle de participation, car c’est le résultat final qui compterait vraiment :

«Je ne suis pas convaincue que ce soit pertinent pour un citoyen de savoir pour quelles

raisons la Ville désire le consulter, parce qu’une fois que les citoyens sont unis et actifs et font partie du processus, je pense que cela n’a pas d’importance les volontés initiales de la mise en place» (AR7).

L’extraordinaire soutien financier et professionnel de la Ville aux associations de résidents en matière d’animation et de développement de la vie de quartier a été bien démontré et établi depuis le début de ce mémoire. En effet, la Politique de développement social, le cadre de soutien à l’action communautaire, les agents de développement du Service des Loisirs, Sports et Développement des communautés sont de réels facilitants pour la mise en place et la pérennité de ces regroupements citoyens. La démonstration de l’absence de liens entre les associations de résidents et le SUDD a aussi été faite et questionne la volonté de la Ville d’encourager la participation des associations de résidents sur des questions d’ordre plus politiques comme l’aménagement du territoire.

Peut-être la Ville n’avait-elle pas prévu l’engouement des associations de résidents envers les questions d’aménagement du territoire et d’urbanisme? Peut-être que l’absence de ressources dédiées à l’accompagnement des associations de résidents dans les dossiers d’aménagement est une façon détournée pour la Ville de décourager la participation envers ces enjeux ? Ce serait des hypothèses à vérifier dans un travail de recherche subséquent. En effet, selon la Ville, la finalité des associations de résidents semble principalement l’animation de quartier.

Ces comités citoyens sont des partenaires importants afin d’aider les services municipaux à dynamiser les milieux, organiser des fêtes à caractère social, répondre aux différents besoins des résidents en terme de vie communautaire, etc. Or, plusieurs associations de résidents du territoire aspirent à plus. Elles ne se contentent pas d’être organisatrices de fêtes de quartiers.

Elles considèrent que pour améliorer la qualité de vie de leurs résidents, il faut aussi agir sur d’autres fronts : ceux de l’aménagement et de l’urbanisme et ceux de la représentation politique des intérêts. Et c’est à ces niveaux que les associations peuvent rencontrer des irritants. Alors qu’il existe des programmes et des ressources municipales à leur disposition pour les aider dans l’animation de quartier, les associations de résidents ont peu d’écoute quand il s’agit d’agir au point de vue politique ou au niveau urbanistique. Cette absence de canaux directs pour traiter des questions d’aménagement du territoire et d’urbanisme confirme le hiatus entre l’offre institutionnelle de participation et la demande sociale et

soulève de grands questionnements sur la volonté de l’administration municipale de faire des associations des résidents des partenaires à part entière qui peuvent l’alimenter sur les dossiers qu’elles auront elles-mêmes choisi de porter. Finalement, le fait que les associations de résidents soient financées par un fonds sous le Service des Loisirs, Sports et Développement des communautés et non par le Service d’Urbanisme et de Développement durable a certainement une signification concernant le rôle attendu des associations de résidents.

Les effets de cette inadéquation entre l’offre et la demande de participation sont multiples.

D’abord, un important sentiment de méfiance s’est installé chez les citoyens et les associations de résidents, qui qualifient les consultations de «bidons» (AR6; EM2) et qui sentent que ces activités ne sont qu’une façade, une image que se donnerait la Ville pour sauver les apparences. Cela concorde avec les propos de Blondiaux (2008), selon lesquels la démocratie participative servirait à «reproduire l’apparence d’un gouvernement proche du peuple» (p.20) et fait écho à la situation des associations françaises qui considèrent que la participation «ne serait qu’un « alibi », une « vitrine » grâce à laquelle les hommes politiques se refont une légitimité sans compromettre leur monopole décisionnel» (Rui et Villechaise-Dupont, 2005, p.25). Cette culture de participation-façade ne serait donc pas exclusive au contexte gatinois, mais serait existante dans plusieurs pays occidentaux, comme les États-Unis (Nabatchi et Leighninger, 2015) et la France (Blondiaux, 2008; Rui et Villechaise-Dupont, 2005).

Cette méfiance peut mener à une démobilisation des citoyens qui siègent sur des associations de résidents et mettre leur pérennité à dure épreuve. Quand les activités de participation ne sont pas structurées dans le but de répondre aux besoins des citoyens, mais bien pour répondre à l’obligation d’en tenir, les mécanismes participatifs ne permettent pas aux associations de résidents de mobiliser leurs connaissances et leurs compétences. Le fait de ne pas pouvoir partager ces savoirs d’usage dans le but de modeler des projets qui répondent aux besoins et aux aspirations des citoyens limite considérablement la contribution des associations de résidents aux questions d’aménagement du territoire et d’urbanisme.

Malgré les nombreuses critiques émises par les associations de résidents à l’endroit des dispositifs participatifs mis en place par la Ville de Gatineau ou les élus, elles participent tout

de même, car elles considèrent qu’il s’agit de leur mission de représenter les intérêts des résidents de leur quartier. Selon les observations menées lors de l’enquête de terrain, les associations de résidents se plient aux règles de l’art, respectant les contraintes des dispositifs et se conformant aux attentes de l’administration municipale envers eux. Selon Rui et Villechaise-Dupont (2005), ces dispositifs institutionnels de participation permettent aux associations de résidents de se faire voir par les citoyens, les services municipaux et les élus tout en offrant une plateforme à ces groupes organisés afin de faire passer leurs messages.

6.6 Résumé des principaux constats sur l’offre institutionnelle et la demande sociale de participation

Ce chapitre a décliné en quoi les mécanismes de consultation développés par l’administration municipale et les élus sont des freins majeurs à une contribution significative des associations de résidents aux questions d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Les participants à l’enquête de terrain étaient unanimes : les savoirs et les compétences des associations de résidents ne sont pas sollicités à leur plein potentiel par l’administration municipale et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, les élus et les fonctionnaires exercent un grand contrôle sur les activités de participation publique. Celles-ci sont très dirigées et ne laissent que très peu de place à l’innovation et à la créativité. Les participants n’ont pas l’occasion de se prononcer sur les enjeux qui les touchent, mais bien sur les thématiques qui ont été choisies et prédéfinies par l’administration. La formule de plus en plus privilégiée semble être l’assemblée publique, où l’exercice s’apparente davantage à de la validation qu’à de la consultation. Ensuite, il y a un important phénomène de méfiance envers les citoyens et les groupes de la société civile. En effet, l’administration et les élus doutent de la capacité des associations de résidents à se positionner en faveur de l’intérêt général. On leur associe souvent le syndrome du pas dans ma cour. Finalement, la faible volonté d’intégrer les associations de résidents dans un dialogue continu se manifeste de plusieurs façons. D’abord, les activités de participation qui ne sont pas prévues par la loi sont peu nombreuses. Dans celles qui sont prévues par la loi, la Ville ne va pas plus loin que les exigences minimales requises. Ensuite, le manque de ressources affectées à l’organisation d’activités de consultation et de participation est flagrant. Le Service de la Planification stratégique de la Ville de Gatineau, 4e ville en importance au Québec en matière de population, ne compte

qu’un seul chargé de projet. Cet employé n’a aucun lien direct avec les associations de résidents, tout comme les fonctionnaires du Service d’Urbanisme et de Développement durable.

Les agents de développement des communautés ainsi que les cadres de soutien de la Ville de Gatineau ressortent comme des éléments qui facilitent grandement le fonctionnement des associations de résidents. En effet, par le soutien continu des agents et les subventions municipales, les associations de résidents sont en mesure d’organiser des activités qui répondent à leurs objectifs. Par contre, les agents de développement des communautés n’ont pas de formation en urbanisme et leurs connaissances sur le sujet sont plutôt limitées, selon leurs propres aveux.

Ainsi, l’offre institutionnelle de participation semble essentiellement pour valider des décisions prises derrière des portes closes et n’aurait pas comme objectif premier de créer des projets à l’image de la population gatinoise en profitant de l’expertise citoyenne. Du côté de la demande sociale de participation, les associations de résidents insistent pour être incluses dans le processus décisionnel sous prétexte qu’elles représentent les citoyens et qu’elles détiennent l’expertise du territoire réel. Il y a donc un hiatus important entre les objectifs visés par l’administration municipale et les aspirations des associations de résidents en termes de participation, ce qui fait écho aux travaux de Nabatchi et Leighninger (2015), selon lesquels les infrastructures de participation citoyenne auxquelles sont conviées les comités de citoyens ne sont ni adaptées ni adéquates pour répondre à leurs besoins et à leurs aspirations et qu’elles répondraient en fait aux aspirations des administrations publiques.

CHAPITRE VII- LES DYNAMIQUES INHÉRENTES AU MOUVEMENT