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Examen de l’offre institutionnelle de participation

CHAPITRE VI- EXAMEN DE L’OFFRE INSTITUTIONNELLE ET DE LA DEMANDE

6.3 Examen de l’offre institutionnelle de participation

Une ouverture plus grande de l’administration municipale gatinoise envers la participation publique a été observée de façon quasi unanime chez les participants à la collecte de données.

Cette ouverture semblée liée à un contexte politique bien précis, soit l’arrivée de nouveaux conseillers et conseillères municipaux sensibilisés à l’importance de la participation publique lors de l’élection de 2013. Ces conseillers ratissent plus large que les 6 élus du seul parti politique gatinois, Action Gatineau. En effet, quelques élus indépendants sont aussi très ouverts à collaborer avec les citoyens et les groupes organisés et certains ont déjà siégé sur des conseils d’administration d’organismes communautaires ou d’associations de résidents avant d’être élus. Pour le conseil municipal 2013-2017, il était important d’«implanter des mesures pour amener les citoyens à contribuer au développement de leur ville en les mettant à contribution, notamment, dès la conception des projets afin de profiter de leur expertise et de [s’]assurer que la ville que nous construisons reflète leur volonté et leurs aspirations»

(Ville de Gatineau, 2014c). Ainsi, pour le conseil municipal, la participation des citoyens en amont est recherchée dans une optique de coconstruction de projets.

Selon les participants à l’enquête de terrain, cette nouvelle approche envers la participation publique a le potentiel de diminuer la méfiance que les citoyens ont envers les processus consultatifs, encore faut-il que cette approche se traduise par des changements concrets dans les façons de consulter la population (EM1). Or, l’enquête de terrain semble démontrer que l’offre institutionnelle de participation de la Ville de Gatineau vise davantage à répondre aux besoins de l’administration qu’à encourager une certaine démocratisation de l’action publique. Deux principaux indicateurs tendent à appuyer ce constat.

6.3.1 Légitimation des décisions des élus et de l’administration

La majorité des représentants d’associations de résidents rencontrés lors des entrevues semi-dirigées a été éloquente à ce sujet : les séances de consultation publique proposées par la Ville s’apparentent bien plus à un exercice de validation ou de bonification de projets déjà élaborés qu’à des propositions de coconstruction en amont d’un projet. Selon Blondiaux (2007), «la discussion contribue à polariser plutôt qu’à rapprocher les points de vue. Elle conflictualise plutôt qu’elle n’apaise» (p.125). Dans cette optique, selon ce même chercheur, les dispositifs participatifs seraient «orientés vers la recherche d’un assentiment et [auraient]

souvent pour finalité principale l’acceptation de solutions élaborées préalablement»

(Blondiaux, 2007, p.124).

L’étude documentaire et les observations directes ont permis de déterminer qu’une grande partie des assemblées de consultation publique organisées par la Ville de Gatineau s’inscrivent dans ce que Nabatchi et Leighninger (2015) appellent les modes conventionnels de participation, c’est-à-dire des assemblées très encadrées où l’accent est mis sur les élus ou les experts et non sur les citoyens et où les périodes pour exprimer un point de vue sur la thématique discutée se font rares. Or, ces exercices participatifs augmenteraient le sentiment d’inefficacité chez le citoyen, qui prendrait conscience de sa faible influence sur la décision finale (Nabatchi et Leighninger, 2015).

Dans le cas de la Ville de Gatineau, la planification serait donc davantage un outil au service des élus et des fonctionnaires et non pas un outil d’appropriation du pouvoir par les citoyens (Fischer, 2012). Dans la même optique, la planification urbaine en contexte gatinois aurait

pour objectif de proposer un plan d’aménagement à la communauté et non d’inciter une délibération sur le sujet (Fischler, 2012).

Plusieurs associations de résidents dénoncent le manque de consultation des citoyens dans certains projets d’envergure et demandent à la Ville de réviser ses méthodes et de respecter ses engagements. Par exemple, dans une lettre ouverte écrite au Droit en 2013, une association de résidents déclare que les élus, «en ignorant la forte opposition citoyenne exprimée lors des trois consultations, ont démontré leur mépris pour leurs engagements et pour tout le processus démocratique de consultation à Gatineau» (Le Droit, 2013).

L’ensemble des observations participantes et des entretiens semi-dirigés convergent vers le même constat, c’est-à-dire qu’il n’existerait pas, à Gatineau, de réel mécanisme de coconstruction de projets en amont avec la population et les groupes de la société civile, en ce qui a trait aux questions d’aménagement du territoire et d’urbanisme.

6.3.2 Contrôle et institutionnalisation de la société civile

Tel qu’il a été démontré au point 6.1.1, les dispositifs de participation initiés par l’administration gatinoise laissent peu de place à l’expression des citoyens et des groupes.

Cela ne leur permet pas de se prononcer sur les enjeux qui les touchent et de proposer des solutions qui sont adaptées à leurs réalités. Tel que l’explique un représentant d’une association de résidents,

C’est trop encadré, c’est trop limité, le cadrage des questions en consultation souvent vont nous faire passer à côté des souffrances, des injustices ou de ce que les gens auraient vraiment voulu dire sur un projet. C’est comme dire voulez-vous que les murs soient jaunes ou rouges? Mais c’est pas là que ça se passe la vraie question est voulez-vous des murs? Tout ça est évacué (AR3)

En décidant des questions sujettes à discussion d’avance, les élus et l’administration municipale contrôlent les interventions qui peuvent être faites lors de la consultation. Dans certains cas, les questions litigieuses étaient évacuées pour ne porter que sur des questions techniques. L’exemple de la consultation sur l’élargissement du Chemin Pink dans le district du Plateau permet de bien saisir le phénomène du contrôle des exercices de consultation.

Alors que l’Association des résidents du Plateau avait rendue publique sa position sur la

nécessité de créer des voies réservées aux autobus sur le chemin Pink, elle n’a pu défendre cette position lors de la consultation. En effet, la consultation ne traitait que de trois enjeux préalablement identifiés et nommés obligatoires par le gouvernement du Québec. Un représentant de l’Association a tout de même tenté d’aborder cet enjeu dans la thématique

«mobilier urbain», en mentionnant l’importance d’avoir des installations qui permettent les transports actifs et collectifs, mais il s’est vite fait rabroué par une ressource de la Ville, qui lui a indiqué qu’il s’éloignait du sujet de la consultation et que les plans approuvés par la Ville ne contenaient pas de voie réservée aux autobus. Ainsi, craignant de perdre le contrôle de la consultation en laissant les gens présents s’affirmer sur les enjeux qui les préoccupaient à propos de l’élargissement, la Ville de Gatineau a préféré garder le plein contrôle sur le débat. L’activité de consultation est donc demeurée figée et contrôlée par l’élu et les fonctionnaires municipaux.

L’enquête de terrain a démontré que, méfiants face à l’institutionnalisation, nombreux sont les acteurs associatifs, mais aussi les élus, qui réclament la création d’un office de consultation publique indépendant. Selon Blondiaux (2007), «l’émergence et la reconnaissance d’un acteur intermédiaire, d’une institution tierce, d’un pouvoir «neutre»

garant du bon déroulement de la concertation, capable d’imposer des obligations aux différents acteurs en présence» (p.129) est une condition fondamentale de l’institutionnalisation de la participation. Ce désir d’un tiers neutre pour encadrer les consultations publiques et assurer une neutralité de l’appareil se fait ressentir explicitement dans les entretiens semi-dirigés, mais aussi via différentes observations et procès-verbaux de quelques activités citoyennes (Association des résidents de la Terrasse Lakeview et Association des résidents de Deschênes, 2015).