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Hcordoue au iVe/Xe siècle

Jean-Pierre MolénaT

cnRs-iRhT, Paris Évariste lévi-Provençal écrivait dans sa monumentale Histoire de l’Espagne

musulmane : « À la suite d’une consultation de juristes musulmans, au début du Xe siècle, il semble que l’avis avait prévalu à Cordoue de continuer à laisser

aux chrétiens la jouissance de leurs églises à l’intérieur de la ville, mais de ne les autoriser à en construire de nouvelles que dans les extensions suburbaines où ils peuplaient des quartiers suisamment compacts et isolés de ceux de l’agglomération musulmane », et il donnait la référence à Ibn Sahl, Aḥkām

kubrā (sic), f° 213 v° du manuscrit de Rabat.1

On dispose aujourd’hui de plusieurs éditions, complètes ou partielles, de l’ouvrage du cadi de cordoue du Vie/Xie siècle, Abū l-Aṣbaġ Ibn Sahl, intitulé

al-Aḥkām al-kubrā, qui vont être mentionnées dans l’ordre chronologique approximatif de leur date de publication:

- une édition partielle de Thami Azemmouri : « Les Nawāzil d’ibn sahl, sec- tion relative à l’iḥtisāb; 1ère partie : Introduction, texte arabe et bibliogra- phie », Hespéris Tamuda, 14 (1973), pp. 7-107, spéciiquement pour la fatwā en question pp. 40-41.

- une édition partielle de Muḥammad ‘Abd al-Wahhāb Ḫallāf, dans un fasci- cule intitulé Waṯā’iq fī aḥkām qaḍā’ ahl al-ḏimma fī l-Andalus mustaḫrağa min

maḫṭūṭ al-Aḥkām al-kubrā (Documentos sobre procesos referentes a las comunidades no musulmanas en la España musulmana), Le Caire, 1980, spéciiquement pp. 77-80.

- une édition complète avait été présentée par Rašīd al-Nu‘aymī comme une thèse (University of St. Andrews) en 1978 ; elle a été publiée seulement en 1997 à Ryad (Dīwān al-aḥkām al-kubrā « al-Nawāzil wa l-i‘lām li-ibn sahl », 2 vols.). Nous n’avons pu nous procurer ces volumes, mais l’obligeance de Delina Serrano nous a fourni récemment une photocopie des pages correspondantes (vol. 2, pp. 1173-1174).

- une autre édition complète en a été donnée en 2007 (1428 H) par Yaḥyā Murād au Caire (Dīwān al-aḥkām al-kubrā aw al-i‘lām bi-nawāzil al-aḥkām wa qiṭr

min siyar al-ḥukkām li-l-faqīh al-mālikī al-imām Abī l-Asbaġ ‘īsā b. sahl b. ‘Abd Allāh al-Asadī al-Ğayyānī, Dār al-Ḥadīṯ), le texte qui nous concerne aux pp. 628-629. Bien plus accessible que la précédente, puisqu’on peut la trouver à la fois sur

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internet et en librairie, au moins au Maroc et à Paris, elle est de qualité bien inférieure à celle d’al-Nu‘aymī, car acritique et dépourvue d’index.

- un fragment découvert à Kairouan a été publié par miklos muranyi, Beiträge

zur Geschichte der Ḥadīṯ- und Rechtsgelehrsamkeit der mālikiyya in Nordafrika bis zum 5. Jh. D. H., Wiesbaden, 1997, texte IX, p. 369. Le même professeur de Bonn a démontré dans un autre travail2 que le fragment en question était un extrait

de l’œuvre du cadi de Cordoue Abū l-Qāsim Aḥmad b. Muḥammad b. Ziyād b. ‘Abd al-Raḥmān al-Laḫmī, dit al-Ḥabīb, décédé en 312/925. Cet Ibn Ziyād ayant été cadi de Cordoue de 291 à 300/903 à 912 et de 309 à son décès, il est possible que ce soit pour lui qu’ait été donnée la réponse concernant la synagogue, qu’Ibn Sahl a ensuite utilisée, et légèrement retouchée, sans qu’il mentionne d’ailleurs cet Ibn Ziyād.

- le texte d’ibn sahl concernant les églises et les synagogues est cité par Aḥmad al-Wanšarīsī (al-mi‘yār al-mu‘rib wa l-ğāmi‘ al-muġrib ‘an fatāwī ‘ulamā’

ifrīqiya wa l-Andalus wa l-maġrib), Muḥammad Ḥağğī (ed.), Rabat-Beyrouth, Dār al-Ġarb al-islāmī, 1401/1981, vol. 2, pp. 245-249 ; et l’on en trouve un résumé dans Vincent Lagardère, Histoire et société en Occident musulman au moyen Âge.

Analyse du mi‘yār d’al-Wanšarīsī, Madrid, Casa de Velázquez, 1995, n° 1-203, p. 55, sous le nom d’Ibn Lubāba.

- enin le passage du Kitāb al-ğihād d’Ibn Abī Zayd al-Qayrawānī correspon- dant se trouve dans l’édition de ce K. al-ğihād donnée en 1994 par Max Von Bredow [Der heilige Krieg (ğihād) aus der sicht der mālikitischen Rechtsschule, Beyrouth, Beiruter Texte und studien herausgegeben vom orient-institut der deutschen morgenl̈ndischen Gesellschaft, band 44], pp. 475-477 du texte arabe ; p. 123, n° 130 de l’index allemand.

en réalité, seule une petite partie du texte d’ibn sahl portant sur « L’interdiction faite aux ḏimmī-s de construire nouvellement des églises » (fī

man‘ ahl al-ḏimma iḥdāṯ al-kanā’is, Nu‘aymī (ed.), 1997, vol. 2, p. 1173) se réfère explicitement à la réponse donnée par les fuqahā’ de cordoue du début du iVe/

Xe siècle. Bien qu’aucune précision topographique ni chronologique n’y soit

apportée, sauf dans le fragment de Kairouan la mention de la synagogue située « au delà de la porte des juifs » (al-šunūġa al-muḥdaṯa ‘inda bāb al-yahūd min

ḫāriğ) qui laisse à penser qu’il s’agit bien de Cordoue, puisque les références sont nombreuses à cette porte de Cordoue, ensuite appelée Bāb al-Hudā, les noms mentionnés ne laissent aucune place au doute : ‘Ubayd Allāh b. Yaḥyā, Muḥammad b. Lubāba, Ibn Ġālib, Ibn Walīd, Sa‘d b. Mu‘āḏ, Yaḥyā b. ‘Abd al- ‘Azīz, Ayyūb b. Sulaymān et Sa‘īd b. Ḫumayr. Ils sont tous les huit parfaitement identiiés comme :

- ‘Ubayd Allāh b. Yaḥyā b. Yaḥyā al-Layṯī, décédé en 298/911. - Muḥammad b. ‘Umar b. Lubāba, décédé en 314/926.

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- Muḥammad b. Ġālib, Ibn al-Ṣafār, décédé en 295/908.

- Abū ‘Abd Allāh Muḥammad b. al-Walīd b. Muḥammad, décédé en 309/922.

- Abū ‘Amr Sa‘d b. Mu‘āḏ b. ‘Uṯmān, décédé en 308/920. - Yaḥyā b. ‘Abd al-‘Azīz, Ibn al-Ḫarrāz, décédé en 295/907.

- Abū Ṣāliḥ Ayyūb b. Sulaymān b. Hišām al-Ma‘āirī, décédé en 302/914. - Abū ‘Uṯmān Sa‘īd b. Ḫumayr b. Marwān b. Sālim al-Ru‘aynī, décédé à

Cordoue, 301/913. Seul le nom de ce dernier varie dans la version donnée par al-Wanšarīsī : Sa‘īd b. Ğabīr. On peut penser qu’il s’agit là d’une simple erreur de copie.

les noms de ces huit savants sont précédés de l’expression qāla biḏālika « c’est ce qu’ont soutenu… ». Il est donc vraisemblable que les lignes qui viennent avant ces mots soient l’expression de la consultation rendue par eux :

Nous avons examiné les témoignages attestant que la synagogue («située à l’extérieur de la porte des juifs», dans le fragment de Kairouan) est nouvelle- ment construite (fī anna al-šunūġa muḥdaṯa) et nous avons vu des témoignages qui exigent sa destruction après avoir donné à ses propriétaires la possibilité de faire opposition (al-i‘ḏār). Il n’est pas conforme aux lois de l’Islam que les

ḏimmī-s, juifs et chrétiens, construisent nouvellement des églises ni des syna-

gogues dans les villes des musulmans et au milieu de ceux-ci. C’est ce qu’ont airmé… .

Après les noms des huit savants de Cordoue, vient la phrase: qāla al-qāḍī « Le cadi (Abū l-Aṣbaġ) a dit… ». C’est Ibn Sahl qui parle maintenant, mais en citant ses prédécesseurs, antérieurs à lui, mais également antérieurs aux huit savants juristes du début du Xe siècle :

Ibn Ḥabīb a dit dans le troisième (livre consacré au) Ğihād de la Wāḍiḥa, rap- portant ce qu’avait dit Ibn al-Māğišūn, rapportant ce qu’avait dit Mālik, que l’Envoyé de Dieu (Muḥammad) avait dit : «Que ne soit pas élevée chez vous de chose juive ni chrétienne» (lā yurfa‘unna fīkum yahūdiyya wa lā naṣrāniyya). Ibn al-Māğišūn a dit : «On ne construit pas d’église dans la demeure de l’Islam (fī

dār al-islām), ni dans son sanctuaire (wa lā fī ḥarīmihi), ni dans sa juridiction (wa

lā fī ‘amalihi). Mais si les ḏimmī-s sont séparés de la demeure de l’islam et de son sanctuaire et qu’il n’y a pas parmi eux de musulmans, on ne leur interdit pas d’en édiier parmi eux, comme on ne leur interdit pas de faire venir du vin ni d’acquérir des porcs.

mais s’ils se trouvent au milieu des musulmans, tout cela leur est interdit, comme de réparer leurs vieilles églises qui leur ont été laissées, si elles sont décrépies, à moins que cela n’ait été spéciié dans leur acte de capitulation (fī

ṣulḥihim) qui leur sera observé, et on leur interdira tout accroissement, qu’il soit visible ou caché. S’il a été spéciié qu’on ne leur interdira pas de construire des églises (min iḥdāṯ al-kanā’is) et que cela leur a été accordé par l’imām par ignorance (‘an ğahl minhu), c’est l’interdiction par le Messager de Dieu qui l’emporte.

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on le leur interdit dans le sanctuaire de l’islam (fī ḥarīm al-islām) et dans les localités où les musulmans habitent à leurs côtés (wa fī qurāhum allatī sakanahā

l-muslimūn ma‘ahum), et il n’y a pas d’engagement qui oblige à désobéir à Dieu (wa lā ‘ahd fī ma‘ṣiyat Allāh), sauf en ce qui concerne la réparation de leurs églises, si cela a été stipulé, et rien d’autre et cela leur sera observé.

Ibn al-Māğišūn a dit : «Tout cela concerne les gens soumis à la ğizya par capi- tulation (fī ahl al-ṣulḥ min ahl al-ğizya), mais à ceux soumis par la violence (amma

ahl al-‘anwa) il n’est pas laissé d’église, lorsqu’on leur impose la ğizya, mais on les leur démolit, et on ne les laisse pas en construire de nouvelles, même s’ils se trouvent à l’écart de la communauté des musulmans, car ils sont comme les esclaves des musulmans, et ils ne possèdent pas un contrat qui leur soit ob- servé. Le seul contrat qu’il y ait envers eux est que leur sang soit épargné (wa

innamā ṣāra lahum bihi dimā’uhum) lorsque la ğizya est prélevée sur eux». Ibn al-Qāsim a dit dans le livre de la rétribution de la mudawwana que Mālik a dit : «Les chrétiens ne possèdent pas d’églises dans le pays d’Islam, à moins qu’ils n’aient un acte qui les leur ait accordées». Ibn al-Qāsim a dit : «On ne le leur interdit pas dans les villages qui leur ont été attribués, parce que ces vil- lages constituent leur pays dont ils vendent, s’ils le veulent, la terre et les maisons, à moins qu’ils n’aient été soumis par la force (illā an takūna bilād

‘anwa), auquel cas il ne leur est pas permis d’y élever quoi que ce soit, car ils ne peuvent ni vendre les terres et les maisons ni en disposer par testament, car elles constituent un butin des musulmans, et s’ils se convertissent ils en perdent la possession (wa in aslamū intaza‘at minhum)».

Un autre auteur a dit : «Qu’on ne les prive pas des églises qui se trouvent dans les villages où ils ont été établis après qu’ils ont été conquis par la violence et qu’on ne les empêche pas d’y posséder des églises, car ils y ont été établis conformément à leur statut de protection (‘alā ḏimmatihim), et selon ce qu’il leur est permis d’y faire, et ne pèse sur eux que l’impôt (al-ḫarāğ) sur la terre». ainsi se termine le texte d’ibn sahl concernant la construction des églises.

comme il a été dit plus haut, tous les auteurs nommément mentionnés sont antérieurs au début du iVe/Xe siècle (à l’exception éventuellement de

l’anonyme cité en dernier lieu). Ce sont, par ordre chronologique : - Le Prophète Muhammad, avec le ḥadīṯ « lā yurfa‘unna … ». - Mālik : Mālik b. Anas, « l’imām de Médine », mort en 179/796.

- Ibn al-Mağišūn : plutôt que de Abū ‘Abd Allāh ‘Abd al-‘Azīz b. ‘Abd Allāh b. Abī Salama al-Māğišūn, décédé en 164/780, il doit s’agir de son ils ‘Abd al-Malik b. ‘Abd al-‘Azīz, mort en 213/821, dont on sait qu’il a été le maître d’Ibn Ḥabīb.

- Ibn al-Qāsim : ‘Abd al-Raḥmān Ibn al-Qāsim, Égyptien, né vers 132/749, disciple de Mālik pendant près de vingt ans, contribua à la difusion du malikisme en Égypte et en occident musulman.

- Ibn Ḥabīb : ‘Abd al-Malik b. Ḥabīb, décédé en 238/853, Andalousien, au- teur d’une œuvre abondante et variée, dont seulement une partie a été retrouvée et publiée. On ne possède pas le livre concernant le ğihād de son ouvrage intitulé al-Wāḍiḥa dont parle le texte d’ibn sahl, mais son

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contenu se trouve sur ce point reproduit dans le Kitāb al-ğihād d’Ibn Abī Zayd (min kitāb ibn Ḥabīb ruwiya anna al-nabiyy qāla lā turfa‘ fīkum yahūdiyya

wa lā naṣrāniyya ya‘nī al-biya‘ wa l-kanā’is. Qāla ibn al-māğišūn… ).

Il est donc vraisemblable, et même hautement probable, que ce sont les opinions et dires de ces auteurs (à l’exception de l’anonyme non daté) qui ont inspiré la réponse des huit savants juristes de Cordoue des premières années du iVe/Xe siècle.

Or, on n’y trouve nulle part rien qui puisse appuyer le fait de laisser aux chrétiens leurs églises à l’intérieur de la vieille ville de cordoue (la madīna ou

qaṣaba, entourée de murailles). Certes, l’interdiction n’est pas expressément formulée que les chrétiens gardent leurs églises à l’intérieur « des villes des musulmans », mais seulement celle qu’ils puissent y efectuer des réparations ou des agrandissements, à moins que cela n’ait été spéciié dans leur capitu- lation. interdire de réparer, c’est évidemment condamner à la ruine à plus ou moins long terme.

Peut-on parler de « capitulation » (ṣulḥ) à propos de l’occupation initiale de Cordoue par les forces islamiques, arabes et berbères ? Le point est évidem- ment très douteux, puisque si la question de savoir si la plus grande partie d’al-Andalus avait été conquise paciiquement, par capitulation (ṣulḥan) ou par

force (‘anwatan), avec les implications qu’elle comportait sur le statut des

terres, préoccupait les savants andalousiens, pour le cas de cordoue, les récits dont on dispose, évidemment très postérieurs aux faits, parlent sans conteste, dans la plupart des cas, d’une conquête par la force. Cependant, on trouve,

dans l’anonyme Fatḥ al-Andalus, la mention d’une tradition selon laquelle

Cordoue aurait été conquise par pacte, et que l’on aurait laissé aux chrétiens (al-rūm) une église située dans la partie occidentale de la ville, qui subsistait au moment où ce texte a été écrit3. « Mais cela Dieu seul le sait ». L’allusion à

une église de la Ġarbiyya n’inirme cependant pas la destruction des églises de la vieille ville.

Car, ce que les textes rapportent c’est que toutes les églises de la ville furent alors détruites, à une exception près, car selon ces textes on ne laissa aux chrétiens que la moitié de l’ancienne église San Vicente, pour établir la mosquée sur l’autre moitié4. Efectivement, on a retrouvé les traces de l’an-

3 Il serait trop long de discuter ici l’article de Clarke, « Medieval Arabic accounts of the

conquest of Cordoba », pour qui tous les récits de la conquête d’al-Andalus, y compris celle de cordoue, ont été inventés au Xe siècle.

4 L’histoire a été mise en doute par divers auteurs, les uns sérieux tels que Dozy, qui pourtant,

l’acceptait dans l’Histoire des musulmans d’Espagne, t. I, p. 281-282, ou Ocaña Jiménez, « La basílica de San Vicente » et « Precisiones sobre la historia de la mezquita de Córdoba », et d’autres fantaisistes (olagüe, La Revolución islámica, p. 387 et suivantes). Par contre, Arce Sáinz admet l’authenticité du récit lorqu’il évoque : « el trato al que llegó Abd al-Rahman I cuando compró a los cristianos su parte de la iglesia de San Vicente para levantar la mezquita » [nous soulignons]: Arce Sáinz, « Viejas y nuevas perspectivas sobre la cultura material mozárabe »,

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cienne église San Vicente sous la Grande Mosquée, l’actuelle cathédrale. Plus tard, en 169/785-786, ‘Abd al-Raḥmān Ial-Dāḫil échangea cette moitié initia-

lement laissée aux chrétiens contre la possibilité de construire des églises en dehors de la ville. La traduction française d’Ibn ‘Iḏāri, donnée par Edmond Fagnan, dit : « leur permettant de relever les églises qui, en dehors de Cordoue, avaient été abattues lors de la conquête », mais il paraît que l’on peut com- prendre la phrase fa-abāhā lahum binā’ kanā’isihim allatī kānat hudimat ‘alayhim

fī waqt al-fatḥ bi-ḫāriğ Qurṭuba comme signiiant : « il leur permit de recons- truire en dehors de Cordoue les églises qui leur avaient été détruites au mo- ment de la conquête », puisque le même Ibn ‘Iḏārī a dit, quelques lignes auparavant, après avoir mentionné que lors de la conquête la moitié de l’église San Vicente avait été laissée aux chrétiens et que les autres églises leur avaient été abattues, wa hudimat ‘alayhim sā’ir al-kanā’is. Quant à al-Maqqarī, il airme que lors de la conquête, hors de la moitié de l’église San Vicente « all other churches in and out of the city were immediately pulled down », selon l’adap- tation de gayangos, traduisant assez librement wa hudimat ‘alayhim sā’ir al-

kanā’is bi-ḥaḍrat Qurṭuba.

L’examen minutieux auquel nous avons soumis les textes concernant les églises de cordoue (J.P. molénat »la place des chrétiens dans la cordoue des Omeyyades, d’après leurs églises (VIIIe-Xe siècles)». Al-Qanṭara 33/1 (2012), pp.

147-168) a montré que l’on ne peut mettre en évidence aucune attestation d’église située avec certitude à l’intérieur de l’enceinte de la madīna islamique. Par contre, conformément à ce que disent les récits tirés d’al-Rāzī concernant la possibilité donnée par ‘Abd al-Raḥmān I de reconstruire hors de la ville les églises qui avaient été détruites lors de la conquête, on trouve dans toutes les extensions de la périphérie urbaine (Šarqiyya, Šimāliyya, Ġarbiyya et Qibliyya), des églises situées, semble-t-il, dans des quartiers (rabāḍ, pl. arbāḍ) qui portent le nom, non pas d’une mosquée comme c’est le plus souvent le cas, mais celui d’une profession (Rabaḍ al-Raqqāqīn : Quartier/faubourg des Parcheminiers ;

Rabaḍ al-Tarrāzīn : Quartier/faubourg des Tisserands), ou d’un édiice autre- ment remarquable (Rabaḍ al-Burğ : Quartier/faubourg de la Tour), évidemment pas celui de l’église qui pouvait s’y localiser, sans que cela signiie nécessaire- ment ni que tous les habitants de ces quartiers fussent parcheminiers ou tis- serands, ni qu’ils fussent en totalité, ni majoritairement chrétiens. Cela sans

p. 82ª, lignes 5-7. Maril Ruiz a décrit les traces de l’ancienne église San Vicente sous la grande mosquée, l’actuelle cathédrale, en évoquant la possibilité de ce que la mosquée primitive (pour lui celle de ʽAbd al-Raḥmān I) ait correspondu à « la ocupación de una insula del complejo episcopal cordobés » (« La sede episcopal de San Vicente », p. 48). On trouvera un résumé des fouilles efectuées et des positions soutenues sur la question depuis M. Ocaña dans Fernández- Puertas, mezquita de Córdoba/ The mosque of Cordoba, pp. 34-39 du texte espagnol, pp. 285-290 du texte anglais.

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parler des églises situées dans les campagnes de cordoue (la campiña ou al-

sahla), ou des monastères isolés dans les solitudes de la sierra.

Voila qui paraît s’accorder, dirions-nous, presque trop bien avec le texte d’ibn sahl, les réponses données par les huit ulémas du début du iVe/Xe siècle

et leurs prédécesseurs, les fondateurs du mālikisme. Pas de construction, ou plutôt de reconstruction, d’églises à l’intérieur de la « ville des musulmans », la madīna emmuraillée, à proximité de la grande mosquée (le sanctuaire : al-

ḥarīm) et du siège du pouvoir, le palais (al-qaṣr).

Par contre ‘Abd al-Raḥmān I a laissé construire, ou reconstruire, des églises dans l’espace périurbain, qui se trouvait, au moment de son règne, extérieur à la madīna, qui n’était encore à cette époque que l’ancienne cité provinciale wisigothique, plus restreinte même spatialement que ne l’avait été la ville hispano-romaine. Ainsi, aux dernières années du IIe/Viiie siècle, pouvait-on

édiier des églises dans la banlieue de Cordoue, « hors de la vue des musul- mans », qui devaient vraisemblablement alors se concentrer à l’intérieur de l’antique enceinte fortiiée.

Mais la croissance de l’agglomération urbaine, avec l’alux de populations venues d’ailleurs, en même temps que l’accélération du mouvement de conversion à l’islam des populations d’origine indigène, devait rendre vains ces eforts de ségrégation religieuse, submergeant des îlots de population chrétienne, groupée autour de leurs églises suburbaines, dans l’océan des musulmans, convertis de plus ou moins longue ou fraîche date, même si cette croissance urbaine était l’objet d’une planiication de la part du pouvoir isla- mique des Omeyyades. Ainsi peut s’expliquer la coexistence entre musulmans et chrétiens dans les mêmes quartiers de Cordoue, notamment aux IVe/Xe et