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N'A PLUS RIEN DE MÉCHANT !

III.2. La haine comme exutoire : recréer de l'altérité dans un monde sans autre ?

III.3.2. La hate : une fusion du rire contemporain et de la méchanceté bénigne

!

"Les humoristes sont devenus des gens très sérieux, parlant gravement d’eux-mêmes et de la corporation. S’ils n’existaient pas, il faudrait les inventer, sauf à vouloir précipiter la disparition de la sacro-sainte liberté

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*$(!L’YVONNET François, Homo Comicus ou l'intégrisme de la rigolade, Paris

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *"#!

d’expression dont ils seraient l’actuelle incarnation" : dans une époque où les

intellectuels ont cédé le pas aux journalistes et aux comiques, ces néo- humoristes aiment se blottir dans le costume de penseur critique éclairé, à mi-chemin entre le commentateur politique et le moraliste. "La posture d’un

Stéphane Guillon (et de sa paroisse) est à cet égard significative, lorsqu’il en appelle à la démocratie pour défendre l’usage du vitriol. Après avoir été mis à pied par la direction de France-Inter, en juin 2010, il déclara dans son ultime chronique que l’on procédait à la « liquidation totale des humoristes. Je dis bien totale »". Si le rire a longtemps été un espace de distanciation vis-à-vis

du système, il ne remplit visiblement plus du tout la même fonction aujourd'hui. Au rire millénaire qui se moque des institutions (la cour, l'Eglise, le sacré) a succédé un ricanement mou, universellement diffus, qui ne vaut à celui qui le professe ni inconfort, ni marginalité, ni risque d'exclusion : les nouveaux "rebellocrates" comme les appelaient Philippe Murray "n’invitent

pas à penser, comme Socrate, ils ne dénoncent pas les puissants, comme Swift. Ils se contentent de caresser dans le sens du poil les valeurs consensuelles, ils sont anti-racistes, anti-fascistes, anti-antisémites, anti- méchants. Ils célèbrent le Bien et lutte contre le Mal. Ils égratignent en surface pour mieux acquiescer à la doxa". L'humour, qui nécessite une

certaine capacité de distanciation pour mieux dédoubler le monde, ne fait aujourd'hui plus qu'un avec la pensée molle, tout en feignant l'impertinence :

"le toupet devient audace, l’aplomb, subversion critique". Un "flingueur"

d'aujourd'hui qui donnerait du grain à moudre au prêt-à-penser contemporain, sans aucune prise de risque. Autrement dit, un gloussement collectif qui ne met plus personne en danger, surtout pas celui qui en est l'instigateur. Car qui rit de nos jours ? L'humoriste, le public, mais aussi la victime qui consent indirectement à se faire trainer dans la boue. Montrer qu'on est capable d'acquiescer une vanne, c'est déjà prouver qu'on est intégré au sein de ce rire totalitaire (le constat vaut évidemment pour les politiciens : "Foin de programme – qui le lirait, d’ailleurs ? – il suffit de

montrer que l’on est capable de se déboutonner, de rire grassement avec le bon peuple, de se fendre d’une vanne graveleuse et démocratique"). Ne pas

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *"$! prendre place au sein de cette grande tablée de l'humour, ne pas s'abandonner à ce sourire bon teint, c'est prendre le risque de passer pour un rabat-joie, pour ne pas dire un peine-à-jouir. Les hommes politiques sont les premiers à rire très fort devant les humoristes qui les insultent (Martine Aubry se rendant au spectacle de Stéphane Guillon après leurs différends) et profitent de la visibilité inouïe que leur offre désormais une marionnette aux Guignols (une vacherie vaut bien cinq minutes d'exposition en avant prime- time). S'il est excessif de parler d'alliance objective entre les offenseurs et les offensés, notons qu'être victime d'une missive permet au moins de grappiller de l'espace au sein d'un monde où la visibilité est devenue, comme l'a montré la sociologue Nathalie Heinich149, un capital à faire fructifier. Les Situationnistes parlaient de "subversion intégrée", on peut aujourd'hui parler d'une "dérision intégrée" qui feint de s'en prendre au système tout en contribuant à son maintien : marteler que Jean-Louis Borloo est porté sur la bouteille ou que DSK est un obsédé sexuel, est-ce vraiment déstabiliser le pouvoir en place ? "Le rire est un doute à l’état d’ébauche, un doute non

encore formulé, mais qui ébranle les certitudes. Alors que la rigolade débridée dit « oui », consent, acquiesce, adhère (…) Les épisodes « comiques » que les télévisions et les radios distillent à longueur de journée ne sont pour l’essentiel qu’acquiescements à des stéréotypes, à un système qui frappe tout d’« indistinction »".

On notera que le rire contemporain, comme la méchanceté dont il est question dans ce mémoire, se déploient exactement selon les même modalités :

- ils ont une fonction éminemment cathartique.

- ce sont deux modes d'expression qui peuvent se prévaloir d'être nécessaires à la liberté d'expression : on ne rit pas, de même qu'on ne s'attaque pas à n'importe qui, au sein d'une dictature par exemple. Ce qui les rend d'emblée difficilement condamnables.

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*$)!HEINICH Nathalie, De la visibilité - Excellence et singularité en régime

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *"%! - ils écornent leurs victimes à peu de frais : ils sont en général "intégrés" à ce qu'ils visent ou pourfendent.

- plus ils prolifèrent dans l'espace médiatique, moins leur portée symbolique et critique est forte.

- ils s'instituent aujourd'hui tous les deux sur le mode de la dérision : à force de ne rien prendre au sérieux, ils prennent au sérieux le rien.

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *"&!

III.4. Le grand détournement : la violence