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N'A PLUS RIEN DE MÉCHANT !

III.1. Le Plus du Nouvel Obs, Causeur : ce que produit vraiment la culture de l'indignation

III.1.1. Le Plus : café du commerce 2.0.

! !

Les nouvelles modalités d'expression du numérique permettent une liberté jamais acquise jusque là : pouvoir dire absolument tout ce qui nous passe par la tête, à condition que ces déclarations ne tombent pas sous le coup de la loi. Grace notamment à Facebook et Twitter, la parole s'est déplacée : les profanes aussi ont droit à prendre leur part dans le débat public. Quiconque tient en haute estime l'esprit démocratique ne peut que se réjouir du fait que nous sommes aujourd'hui autorisés à fédérer des communautés autour de sujets non consensuels, que nous ne laissons plus les médias d'information traditionnels exercer pleinement leur fonction d'agenda-setting en décidant de quoi il faut parler, que nous lisons désormais à la fois la parole de journalistes certifiés et celles de blogueurs sans diplômes tout aussi habilités à prendre la parole. Pas vraiment la peine d'expliquer pourquoi une parole partagée entre un nombre toujours plus grand de participants est une avancée, un progrès pour le débat public : c'est avant tout ce qui définit une démocratie dans un état de droit. Le soulèvement citoyen est à cette occasion devenu une mode. L'appel lancé par Stéphane Hessel en 2010 a trouvé une résonance au-delà de toute espérance (le petit opuscule "Indignez-vous" a été traduit dans plus de 35 langues et a été vendu à plus de 45 millions d'exemplaires dans le monde)122 : au-delà du phénomène de librairie, une culture de l'indignation est née. Pas un jour ne passe sans !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

*""!GUINOCHET Fanny « Un « Indignez-vous ! » devenu planétaire »,

www.lopinion.fr, [En ligne], «http://www.lopinion.fr/edition/politique/indignez-

vous-devenu-planetaire-14786», mise en ligne le 25/07/14, consultée le 20/11/15.!

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *+$! qu'une une personnalité publique n'exprime son courroux sur tel ou tel projet de loi, sans qu'une tribune à charge et vociférante ne s'invite aux cases "Idées" du Monde et de Libération, sans qu'un site d'info généraliste ne "lance le débat" en prenant soin de choisir un sujet tranché qui stimulera justement les réponses et prises de position fortes. Les poussées de fièvre verbale sont aujourd'hui partout.

Le Plus, espace lancé par le site du Nouvel Observateur le 16 mai 2011, est

un témoin de la transformation du débat public ces dernières années. La plateforme invite des personnalités habituées des médias traditionnels aussi bien que des universitaires, étudiants, chercheurs, critiques culturels - pour la plupart inconnus du grand public - à venir s'exprimer sur des sujets d'actualité aussi divers que la politique, les médias, la société, les sciences, la santé ou la sexualité. Le point de vue d'experts et de spécialistes avisés sur un domaine en particulier croise celui du simple observateur "profane" du quotidien. Chaque internaute inscrit sur le site est par ailleurs libre de proposer une contribution, alors soumise à la rédaction web de l'Obs qui valide ou non une mise en ligne sur le service. Bien consciente que le débat du 21ème siècle concerne désormais tout le monde, la plateforme affiche son esprit d'ouverture sur sa page "Comment participer ?" : "Le Plus est

l'espace participatif de "L'Obs", dédié aux débats et aux rebonds d'actu. Le Plus est ouvert à tous, que vous soyez avocat, infirmier, caissier ou fan de Rihanna... Experts et citoyens, vous êtes les bienvenus pour partager une opinion, une analyse ou un témoignage, en publiant votre tribune."123 Tout le monde a donc droit à la parole sur Le Plus. Dans cet espace contributif où toutes les opinions se valent, le coup de gueule 2.0. est le bienvenu. "Pour

moi, de toute façon, le café du commerce, ça fait partie de la vie, comme les discussions à la machine a café"124: Aude Baron, la rédactrice en chef du site à succès (dès ses débuts, le seuil des 1,9 million de visiteurs uniques par mois a été franchi) revendique sciemment l'idée que les sujets sérieux y !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

*"#!http://leplus.nouvelobs.com/comment-participer.php!

*"$!SANTOLARIA Nicolas, « L'indignation est-elle has been ? », Technikart, numéro 171, avril 2013, p.60.!

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *+%! côtoient les discussions portant sur des objets bien plus dérisoires. C'est l'un des facteurs qui explique la réussite immédiate du site : contrairement aux sites d'infos traditionnels, souvent accusés de céder au buzz facile pour générer des clics, Le Plus, par une polyphonie inscrite dans son code génétique, est aussi légitime pour commenter le programme politique du gouvernement de Manuel Valls, que les prochaines vacances du Premier Ministre sur des plages ensoleillées de la Côte d'Azur…Sur le site, aucun thème n'échappe à la vindicte citoyenne : on donne de la voix contre la main mise de la finance sur la politique, les représentations misogynes de telle ou telle série américaine, la dernière sortie maladroite de Nabilla, les pesticides sciemment cachés dans nos assiettes, le retour du froid…

La rubrique Médias du site avère l'idée que les articles à charge sont légion. En se rendant sur les articles "les + populaires", on se rend compte que de nombreux papiers commentant les programmes de la veille (émissions de télévision, dans la très grande majorité des cas) abusent à volonté du lexique de la foire d'empoigne : les mots "obscène", "aberrant", "piètre", "manipulés", "vulgaire", "propagande", "inacceptable", "stupéfiant" trustent facilement la première place des qualificatifs les plus employés sur le site125. Et quand les mots "jouissif" ou "adorable" s'invitent eux aussi sur la page, c'est pour servir le discrédit ou le commentaire délibérément moqueur ("Gérard Lanvin tacle Dati, encense Lucet et sa "super carrière" : adorable",

"Vincent Bolloré encore atomisé par Vanhoenacker sur France Inter : jouissif"), bien plus que pour s'adonner à un élan élogieux. Certains porte-

voix du site pratiquent d'ailleurs un savant mélange du commentaire distancié et de la salve incendiaire. Bruno-Roger Petit, connu pour sa réputation de tire-au-flanc depuis ses JT tardifs sur France 2, accuse, envers et contre tous, dans un style qui nous ferait presque regretter Emile Zola ("Pour Filippetti, les religions ne sont pas des écoles d'émancipation: un

propos inopportun" ; "Aymeric Caron s'attaque à Natacha Polony : comment il a raté son coup" ; "Plagiats de la directrice de l'école de journalisme de

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ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *+&!

Sciences-Po : la démission s'impose"). Quitte à commenter aussi

l'indignation elle-même ("Taubira et ses propos sur Ferguson : une

indignation inutile et contre-productive"). Quant à Mathieu Géniole,

chroniqueur "médias/people/société" du site qui n'épargne rien ni personne, son cas est encore plus parlant. Suite au passage de Nabilla au Grand Journal en avril 2013, l'artificier 2.0. concluait en fin d'article : "Voilà

comment "Le Grand Journal" a glorifié le vide, le rien. La culture du néant célébrée sur cette chaîne censée être tellement meilleure que les autres et qui se vautre dans la vulgarité crasse de la télé-réalité". Une sortie étonnante

pour un chroniqueur qui publiera huit mois plus tard, un paragraphe ironique consacré aux seins de la starlette (Article : "Nabilla, le début de la fin : des

rumeurs sur ses seins au bide de son émission sur NRJ12")126 et qui comptent parmi ses contributions les plus lues, de nombreux sujets en rapport avec la télé-réalité. Peut-on vraiment dénoncer les agissements de Nabilla et la vanité d'une société qui encourage la starification écervelée tout en commentant régulièrement les derniers coups d'éclat de la bimbo ? En fait, les contributeurs du site Le Plus s'évertuent à taper assidûment sur le néant contemporain - les papiers sur D8 et sur NRJ12 abondent - mais à force de rabâcher les mêmes attaques consensuelles depuis quatre ans, cette petite tape ne se transforme-t-elle pas en une caresse docile et complaisante ? Que vaut vraiment l'indignation de celui dont l'existence médiatique ne tient qu'à des jérémiades cathodiques sur des sujets anodins, et qui ose dénoncer les dérives d'une société du spectacle tout en se vautrant allègrement dedans ? Jaser avec acharnement sur le néant, n'est-ce pas lui faire l'honneur d'une consécration inespérée ? Critiquer une fois de temps en temps un programme comme Touche pas à mon poste !, on peut facilement le concevoir ; mais revenir à la charge chaque semaine pour rebondir sur la dernière provocation d'Enora Malagré ou la dernière vacherie de Gilles Verdez tout en feignant une once d'esprit critique, c'est tomber dans le cirque médiatique qu'on souhaite dénoncer. Cela en rendrait presque

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*"&!http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1117910-nabilla-le-debut-de-la-fin- des-rumeurs-sur-ses-seins-au-bide-de-son-emission-sur-nrj-12.html!

ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 *+'! attachant les Paris Hilton, Nabilla, Cyril Hanouna, Matthieu Delormeau, Jean- Marc Morandini et autres personnalités dont le succès s'est toujours accompagné d'un procès en crétinisation générale : leur talent est d'abord d'avoir su exercer une fascination sur leurs "haters" respectifs, les crétins en question n'étant pas toujours ceux sur qui on pointe, avec un ostensible mépris, le doigt…

III.1.2. L'indignation sur un pin's : une protestation