II.1 Le modèle traditionnel des médias de masse : quand la proximité passe par la convivialité
II.1.3. Droit de réponse : quand l'altercation s'invite au sein du modèle convivial
!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ")!Voir Annexe 2!
ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 $"!
La spontanéité naturelle de l'ère des speakerines n'a pas disparu non plus. L’imprévu dicte toujours son tempo à l’esprit du tube cathodique : le succès du clash repose sur une certaine idée de la spontanéité (bien qu’aujourd’hui mise en scène), et les images du zapping sont avant tout nourries par des dérapages, lapsus, et autres langues qui se mettent inévitablement à fourcher. Les bêtisiers, qui foisonnent depuis la naissance de la TNT, ne sont d'ailleurs que des compilations d'imprévus, de ratés, de choses accidentelles qu'on remarque d'autant plus qu'elles surgissent dans un espace normé. L'idée que tout peut arriver, que "tout est permis", pour reprendre le titre de l'émission à succès présentée par Arthur, persiste tel l'argument de vente sanctifié du divertissement. C'est aussi ce qui a fait le sel des émissions de débat, dont Michel Polac - et dans une moindre mesure Christophe Dechavanne - vont incarner d'irrévérencieuses figures. De 1981 à 1987, Droit
de réponse, "émission pionnière en matière de polémique-spectacle ou de clash, en langage moderne"30, invente une télévision où l'impertinence est sincèrement encouragée, et où la parole est équitablement répartie entre vedettes du petit écran et illustres inconnus présents sur le plateau. L'émission donne un coup de balai à la "la télévision académique et
ronronnante (au sens propre comme au figuré) qui régnait alors". Un goût de
l'altercation et du sang savamment mis en scène par l'animateur, avant même le début de l'émission : "Il y aura certainement de la controverse, des
sujets polémiques"31 annonce Michel Polac au journal de 20 heures la veille de la première. La retransmission en direct promet à ce petit café-théâtre où tout le monde fume, boit, et discute d'inévitables dérapages, diffusés sur une chaine encore publique à l'époque : les insultes entre extrémistes de tout bord fusent, les cendriers volent, et les verres de whisky valsent (l'animateur
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
#+!« Mort de Michel Polac, celui par qui le scandale arrive », www.humanite.fr, [En ligne], «http://www.humanite.fr/medias/mort-de-michel-polac-celui-par- qui-le-scandale-arrive-502089», mise en ligne le 08/08/12, consultée le 16/02/16.
31 DE SAINT VINCENT Bertrand « Droit de réponse : la fièvre du samedi soir », www.lefigaro.fr, [En ligne], «http://www.lefigaro.fr/programmes-
tele/2009/07/17/03012-20090717ARTFIG00494-droit-de-reponse-la-fievre- du-samedi-soir-.php», mise en ligne le 31/07/09, consultée le 16/02/16.!
ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 $#! est parfois obligé d'intimer l'ordre au réalisateur d'envoyer "le générique de fin et de couper le son"). Les confrontations virulentes entre personnes que rien ne saurait réconcilier - surtout pas un débat télévisé aussi englué dans un dispositif de spectacle - servent de matériel éditorial fécond aux émissions qui suivront : citons Ciel mon mardi ! à la fin des années 1980 et, dans un registre bien plus sérieux, Ce soir ou Jamais depuis 2006 (sur France 3 puis France 2). Le clash porte donc derrière lui une assez longue tradition : nous ne tomberons pas dans l'écueil qui supposerait qu'il n'est arrivé que récemment à la télévision, ni que le marketing de la méchanceté est un marché émergent (souvenons-nous de Paul Amar et de cette fameuse paire de gants de boxe sortie à l'occasion du duel télévisé qui opposa Bernard Tapie à Jean-Marie Le Pen en 1994). Ce qui semble en revanche faire irruption dans ce monde du clash généralisé, c'est l'idée que ces nouvelles confrontations semblent se passer des idées, justement. Tous les affrontements cités dans les exemples ci-dessus s'établissent dans le but de nourrir un échange, de servir le débat : s'ils relèvent eux aussi du spectacle, ils trouvent précisément un alibi dans la défense de l'affrontement idéologique, noble cause s'il en est. Malgré un penchant évident pour le sensationnalisme (Ciel mon mardi ! invitait à s'exprimer autant sur la peine de mort que sur une possible invasion extraterrestre), l'horizon commun reste l'avancée du débat public. S'il est souvent reproché à Frédéric Taddeï de mettre en face à face des personnalités explosives sujettes au pugilat de plateau ("A plusieurs reprises, j’avais proposé à Taddeï d’inviter Luc Boltanski
mais il tenait absolument à m’opposer Raouf Dafri. Quel intérêt, sinon pour créer une polémique ? Quelquefois, j’ai l’impression qu’il privilégie le spectacle au débat approfondi"32 déplore même Alain Finkielkraut après son
"Taisez-vous !" qui a fit la joie des réseaux sociaux en 2014), Ce soir ou jamais reste l'un des rares espaces qui valorise la culture à la télévision.
Inversement, la forme de haine dont il est question dans ce mémoire se
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
#"!DOUCET David « Frédéric Taddeï : Ce soir ou plus jamais ? »,
www.lesinrocks.com, [En ligne],
«http://www.lesinrocks.com/2014/02/27/actualite/taddei-le-spectacle-des- idees-11476179/», mise en ligne le 27/02/14, consultée le 16/02/16.!
ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 $$! nourrit peu des idées, parfois un peu des opinions, mais très souvent des "embrouilles", "règlements de comptes" et autres "prises de tête", pour reprendre un vocabulaire puisé sur la plateforme www.grosclash.com (site créé en 2015 qui s'est assigné pour mission de relayer toute sorte de clash, qu'il vienne du monde du rap, du sport, de la musique, de la politique ou de la télé-réalité). Il s'agira donc dans les chapitres qui suivent de révéler ce qui fait la spécificité de ces nouvelles formes discursives, et de voir comment elles ont contaminé une large gamme de productions médiatiques d'aujourd'hui.
ROOS Gautier | M2 | C3M ǀ Mémoire de fin d’études | 2014-2015 $%!