• Aucun résultat trouvé

Résumé

En 2011, l’Etat burundais a doublé le budget alloué au secteur agricole pour lla lutte contre la faim et la pauvreté. Etat donné la nécessité d’un usage efficient de ces ressources additionnelles, nous avons jugé utile de mener une étude socio-économique visant à identifier les domaines prioritaires. Ainsi, un échantillon de 90 ménages agricoles a été sélectionné dans deux communes du Burundi: Kabarore et Rutegama. Les analyses ont montré que l’accès à la nourriture dépend presque exclusivement de l’agriculture qui ne répond qu’à 65 % et 84 % aux besoins énergétiques respectivement à Kabarore et Rutegama. La surexploitation de la terre serait la racine du problème d’insécurité alimentaire et de la pauvreté rurale. La gestion de la terre devrait constituer la première priorité d’une politique de développement rural et cette politique devrait s’appuyer sur le capital socioculturel disponible dans le milieu rural.

Introduction

Le Burundi est un pays dont le niveau des indicateurs de développement est parmi les plus bas de la planète (PNUD, 2009). Le développement de l‟agriculture, un secteur qui occupe plus de 90 % de la population burundaise, est perçu comme indispensable pour garantir la sécurité alimentaire et le développement durable. Ainsi, le gouvernement burundais a doublé le budget accordé au secteur agricole entre 2010 et 2011.

Pour produire des résultats, les efforts déployés par les pouvoirs publics devraient être accompagnés d‟une répartition efficiente du budget à l‟intérieur du secteur agricole. Mais, où faut-il placer la priorité au vu des nombreux défis auxquels fait face l‟agriculture burundaise?

En effet, les agriculteurs ont un accès limité aux moyens de production ; les capacités des services de recherche et de vulgarisation sont insuffisantes ; le rythme élevé de la croissance de la population a de fâcheuses conséquences sur l‟agriculture (ALEXANDRATOS, 2005) ; le développement économique est encore contrecarré par les conséquences de la guerre qui a duré plus d‟une décennie (CAZENAVE -PIARROT, 2004 ; BUNDERVOET, 2010). Plus de 75 % des terres agricoles seraient dégradées (UNEP, 2007).

D‟aucun ne peut ignorer l‟existence d‟interconnexions entre ces différentes contraintes. Il se pose alors la question de savoir où elles prennent racine afin de ne pas agir sur les conséquences mais de bien cibler les véritables causes des problèmes.

Nous avons voulu apporter une lumière à cette question par une étude socioéconomique des déterminants fondamentaux de l‟insécurité alimentaire. L‟étude concerne spécifiquement les deux sites d‟intervention du projet « Bonne gouvernance environnementale38 au Burundi, dans les communes Kabarore et Rutegama.

Nous poursuivons les objectifs spécifiques suivants :

 Identifier l‟origine de l‟insécurité alimentaire à travers l‟analyse du patrimoine économique et socioculturel des ménages.

 Répertorier les atouts pour assurer la sécurité alimentaire Cadre méthodologique

La méthode qui a été utilisée pour collecter les données est l‟enquête réalisée auprès des exploitants agricoles. L‟échantillon utilisé comporte deux strates. La première strate concerne les sites de travail et la deuxième strate comprend les exploitations agricoles.

Le premier site est situé dans la commune de Kabarore en province Kayanza et le deuxième dans la commune Rutegama en province Muramvya. Les deux communes sont parmi les plus densément peuplées du pays. Dans chacun des deux sites, un échantillon de 45 exploitations agricoles a été tiré de façon aléatoire. Compte tenu du niveau élevé d‟homogénéité quant au degré de dégradation de chacun des

38 Projet de recherche action participative financé par le Centre Canadien de Recherche pour le Développement International (CRDI) et établi sur des sites burundais et congolais.

deux sites, cet échantillon peut être considéré comme représentatif de toute la population de ce site.

L‟outil principal de collecte des données a été le questionnaire d‟enquête. Ce questionnaire est articulé sur trois axes : le capital économique, le capital social, le capital culturel. Le capital économique rassemble les moyens de production possédés durablement par les ménages ; il inclut aussi les ressources naturelles.

Le capital social est essentiellement constitué par les réseaux sociaux établis par les exploitants. Le capital culturel concerne les habitudes et les règles hérités des aïeux, du niveau de formation des membres des ménages et des moyens de communication en leur possession.

L‟outil informatique qui a été utilisé pour la saisie, le dépouillement et l‟analyse des données de l‟enquête est le logiciel Microsoft Excel. La statistique descriptive a constitué la principale méthode d‟analyse des variables quantitatives.

Résultats

Les évidences et les racines du problème d’insécurité alimentaire

Une propriété terrienne morcelée

Dans les deux sites étudiés, les exploitations agricoles sont de petite taille. La superficie moyenne des exploitations est respectivement d‟environ 89 ares et 86 ares à Kabarore et à Rutegama. Au seuil de 0,05, les deux moyennes ne sont pas

différentes. De plus, elles se rapprochent de la moyenne nationale qui est de 80 ares.

En plus de la taille réduite des exploitations agricoles, celles-ci sont aussi caractérisées par un degré élevé de morcellement comme on peut le voir dans le tableau 1.

Tableau 1 : Degré de morcellement de la propriété agricole Kabarore Rutegama Superficie moyenne par membre du

ménage (ares) 19 16

Nombre de champs par exploitation

(#) 3 3

Superficie moyenne d‟un champ (ares) 30 28 Nombre de parcelles sous cultures

vivrières par exploitation (#) 8 10

Superficie moyenne d‟une parcelle

sous cultures vivrières (ares) 7 7

Nous pouvons constater qu‟au sein d‟une exploitation agricole, la terre est subdivisée en plusieurs champs qui comportent à leur tour plusieurs parcelles. Signalons que ces champs sont éloignés les uns les autres d‟une distance pouvant atteindre plusieurs kilomètres et sont morcelés suite à un usage varié tel que nous le montre le tableau 2.

Tableau 2 : Proportion de la superficie impartie à cet usage

Kabarore (%)

Rutegama (%)

Location 1 2

Jachère 2 4

Boisement 32 10

Cultures pérennes 37 30

Cultures saisonnières 28 53

Le tableau 2 montre que la location et la jachère constituent des usages mineurs. La quasi-absence de la jachère est un indicateur de la surexploitation des terres. La proportion de la terre occupée par les boisements est significativement plus importante à Kabarore qu‟à Rutegama.

Signalons que l‟objectif premier de ces boisements n‟est pas la protection du sol mais plutôt la vente et l‟usage dans le ménage. Les cultures pérennes sont représentées par le café et la banane. Le café est cultivé pour l‟exportation. La banane, constituée pour plus de 2/3 par la banane à bière, est destinée au marché local et constitue une source substantielle de revenus des ménages. Les cultures saisonnières sont la base de l‟alimentation des ménages. La part de la terre attribuée aux cultures saisonnières est significativement plus importante à Rutegama qu‟à Kabarore.

La superficie allouée aux cultures saisonnières présente un ut degré de morcellement au regard du nombre

d‟espèces cultivées et du mode de culture en association comme nous pouvons le constater au tableau 3.

Les quatre groupes de cultures présentées au tableau 3 sont observés dans tous les ménages. Les tubercules (le manioc et la patate douce) et les légumineuses (le haricot et l‟arachide) sont les plus cultivées et sont pratiquement rencontrées dans tous les ménages.

Une terre aussi morcelée est en soi déjà un indicateur du degré de surexploitation et constitue un obstacle à l‟application des systèmes de cultures intensives.

Tableau 3 : Superficies occupées par les cultures saisonnières les plus rencontrées (en ares)

Un usage extensif de la terre et les problèmes d’insécurité alimentaire

Les résultats de nos analyses laissent clairement voir l‟insuffisance du capital d‟exploitation et l‟absence d‟intensification. L‟équipement utilisé par les agriculteurs est rudimentaire. La situation est sensiblement identique dans les deux sites avec à peu près 3 houes, 3 sacs, 2 paniers, 1 machette, 1 pot par ménage en moyenne.

En ce qui concerne le cheptel vif, l‟élevage des caprins est le plus courant dans les deux lieux d‟étude mais nous avons enregistré, en moyenne, moins de deux chèvres par ménage à Kabarore et moins de trois chèvres par ménage à Rutegama. L‟élevage des bovins, qui normalement constitue une source importante de fumure organique, est une activité accessoire dans les deux communes : une vache pour cinq et trois ménages respectivement à Kabarore et à Rutegama. L‟utilisation des fertilisants est jugée insuffisante par tous les agriculteurs enquêtés et ceci reflète la situation générale du pays. En effet, d‟après nos estimations sur base des statistiques de la FAO, la quantité moyenne d‟engrais chimiques utilisée en 2008 au Burundi est de 2 kg par hectare alors qu‟elle est de 19 kg par pour l‟Afrique et 106 kg par pour le Globe. Cet état de fait a des répercussions sur la sécurité alimentaire. Nos estimations ont montré que la production agricole ne couvre que 65 et 84 des besoins

énergétiques respectifs des ménages des sites de Kabarore et Rutegama.

Les indicateurs indirects de pauvreté que nous avons analysés confirment l‟accès insuffisant des agriculteurs à l‟alimentation et montrent un niveau de vie très bas. Aucun ménage du site de Kabarore ne parvient à avoir 3 repas par jour, et à Rutegama seulement 20 des ménages enquêtés prennent trois repas par jour.

La viande n‟est consommée que dans des occasions spéciales telles que les fêtes, en moyenne une fois tous les deux mois à Kabarore et deux fois le mois à Rutegama. Les bitations sont de petite taille (en moyenne 0,5 ares) et sont construites à partir de matériaux peu durs : toutes les maisons sont en briques adobes. Les besoins d‟habillement ne sont pas satisfaits : en moyenne, un adulte achète un bit une seule fois par an à Kabarore et deux fois tous les trois ans à Rutegama.

Les bénéfices et les atouts d’une gestion efficiente de la terre

La propriété terrienne est le principal capital économique des agriculteurs, mais elle a une faible productivité. Les trois cultures majeures relevées dans notre zone d‟étude, le manioc, la patate douce et le haricot sont actuellement produites avec des rendements moyens respectifs de 10 000 kg, 6 000 kg et 700 kg de loin en dessous des rendements potentiels présentés par

l‟Institut de Recherche Agronomique du Burundi qui sont respectivement de 30 000 kg, 25 000 kg et 3 000 kg.

Une gestion de la terre garantissant seulement le doublement du rendement de ces trois cultures suffirait pour atteindre un taux de couverture énergétique proche de 120 à Kabarore et 150 à Rutegama.

Nos analyses ont révélé que le capital socioculturel présente beaucoup d‟avantages qui peuvent être mobilisés pour augmenter la productivité de la terre. Ces avantages sont perçus à travers les caractéristiques démographiques, les liens sociaux, l‟homogénéité culturelle. Au niveau des données démographiques, le premier atout est constitué par l‟abondance de la main -d‟œuvre au niveau du ménage (plus de la moitié des membres des ménages sont actifs) et aux alentours face au manque de machines.

Les activités secondaires non agricoles, déjà pratiquées par 50 et 27 des chefs des ménages enquêtés respectivement à Kabarore et à Rutegama, peuvent contribuer à acquérir les moyens de production agricole : le commerce, l‟exploitation minière, l‟activité artisanale telle que la menuiserie, la maçonnerie, la menuiserie, la corderie et la couture et la tuilerie.

Les résultats de nos analyses en rapports avec les liens sociaux et l‟homogénéité culturelle sont synthétisés dans le tableau 4.

Tableau 4 : Etat des rapports sociaux et cultures (fréquence des ménage)

Rapports Kabarore

(%) Rutegama(%)

Equité des genres dans le

ménage 96 93

Relation favorable avec les

membres de la famille élargie 76 78

Relation favorable avec les

voisins 91 96

Participation active dans les

organisations associatives 60 78

Liens avec les institutions de

crédit-épargne 56 44

Participation dans les travaux

communautaires 100 100

Conscience de la nécessité de

protéger la terre 100 100

Homogénéité culturelle

-Eglise chrétienne 100 100

Homogénéité culturelle

-Langue Kirundi 100 100

On remarque l‟existence des rapports sociaux assez saine et un degré élevé d‟homogénéité culturelle.

Ces éléments constituent des atouts pour l‟encadrement de la collectivité, la vulgarisation des semences et des méthodes culturales, l‟acquisition en groupe des facteurs de production, la réalisation collective des travaux d‟aménagement du territoire destinés à protéger la terre.

Conclusion

Les résultats de l‟analyse du capital économique et socioculturel nous poussent à conclure qu‟au Burundi, l‟allocation budgétaire au sein du secteur agricole devrait cibler prioritairement la gestion de la terre basée sur la mobilisation des différents réseaux sociaux et institutionnels du milieu rural. Plus que sa petite taille, le morcellement de la propriété agricole constitue actuellement l‟obstacle majeur à sa mise en valeur. Une intervention politique à ce niveau est indispensable. La voie à explorer est celle de l‟exploitation des avantages comparatifs au niveau communal. Ainsi la commune pourrait garder le degré voulu de diversification mais procéder, en ce qui concerne les cultures vivrières, à la spécialisation au niveau des zones par un système d‟assolement à quatre cultures au maximum plus la jachère.

Remerciements

Nos remerciements vont au CRDI pour avoir financé tout le projet dans lequel s‟intègre notre recherche. Nous remmercions aussi l‟ADISCO pour la coordination du processus qui a mené à la réalisation de cet article, ainsi que messieurs Félix Nibizi et Angelos Niyomuvunyi pour leur aide dans la collecte des données sur terrain et le dépouillement des questionnaires d‟enquête.

Bibliographie

Alexandratos N., Countries with Rapid Population Growth and Resource Constraints: Issues of Food, Agriculture, and Development, Population and Development Review, June 2005, Volume 31, Issue 2, pages 237–258.

Bundervoet T., Assets, Activity Choices, and Civil War:

Evidence from Burundi, World Development, Volume 38, Issue 7, July 2010, P. 955-965.

CAZENAVE-PIARROT A., Burundi, une agriculture à l’épreuve de la guerre civile, Les Cahiers d’Outre -mer, avril-septembre 2004, n° 226-227, p. 313-338.

Cochet H., Agrarian Dynamics, Population Growth and Resource Management: The Case of Burundi, Geojournal, Volume 60, Number 2, P. 111-122.

PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement): Bonne gouvernance et développement durable, Rapport national sur le développement humain du Burundi 2009.

Bujumbura, 2009, 44 p., Rapport Sommaire.

République du Burundi et FAO (Food and Agriculture Organisation) : Programme national de sécurité alimentaire (2009-2015), Bujumbura, décembre 2008.

UNEP, Eastern Africa land resources, The Encyclopedia of Earth, April 2000

Chapitre 6

Défis de la gouvernance des ressources