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U NE GUERRE D ’ ESCARMOUCHES

Dans le document Naissance de la guerre de guérilla (Page 169-173)

Des pertes disproportionnées

U NE GUERRE D ’ ESCARMOUCHES

La guérilla apparaît donc bien contradictoire. Elle commence comme une troupe auxiliaire de l’armée régulière argentine, dont le rôle et les façons d’intervenir dans le combat sont bien connues, codifiées, sans surprise. Abandonnée à son sort par le Río de la Plata qui décide d’une stratégie orientée vers la maîtrise du sud des Andes et de la côte pacifique, elle mélange les ressources de troupes de bandits des grands chemins à celles des grandes guerres indiennes qui avaient occupé le Haut-Pérou quelques décen-nies auparavant. C’est dans ce creuset que naît la guérilla moderne, qui, à travers une transmutation que les prochains chapitres chercheront à éclairer, devient synonyme de la guerre populaire, guerre de libération par excellence, celle qui faisait écrire à Clausevitz, dans sa correspondance avec Fichte, en 1809 que « la plus belle de toutes les guerres

79 Malgré leur rigueur, aucune des mesures décrétées contre les déserteurs ne fut suivie d’eets. ALP/

EC, C 156 E 33, La Paz 14.IV.1817, ordonnance par laquelle la maison de tout déserteur devra être brûlée.

80 Dans les premiers jours de février 1825, José Miguel Lanza demande à la trésorerie du département de La Paz de rémunérer le bataillon des Aguerris : il ne s’y trouve qu’un chirurgien pour près de 500 hommes (ALP, CTP, 1825, libro 1, exp.2).

81 Gunnar Mendoza [1951], p. 205.

[était] celle qu’un peuple fait sur son propre terroir pour sa liberté et son indépendan-ce82

Connaissant les origines de ces troupes, sachant que leur engagement avait d’abord été commandé par la nécessité de se mettre à l’abri de la répression après le départ des Argentins, on peut s’interroger sur leur efficacité. A-t-on affaire à des bandes d’une endu-rance exceptionnelle, qui parviennent à se préserver jusqu’à la libération finale en n’agis-sant que pour préserver leur sécurité dans un espace restreint — une sorte de poche ré-unissant les hors-la-loi du vice-royaume, comme pouvaient l’être les quilombos des escla-ves évadés — ou faut-il accorder crédit à Vargas qui soutient que cette poignée d’hom-mes en ces débuts envisageait déjà de porter des coups décisifs à l’adversaire ? Autre-ment dit, la guérilla s’est-elle seuleAutre-ment défendue, ou bien a-t-elle harcelé ses adversaires, et l’a-t-elle fait de façon efficace ?

En ce domaine, la qualité de son commandement ainsi que la conjoncture générale à l’Amérique andine ont joué un rôle déterminant. Les opérations conduites par Eusebio Lira montrent un chef local entreprenant, à l’affût de toute occasion de nuire aux subdé-légués proches de son terrain d’action. Il prend l’initiative d’attaquer Mariano  Mendiza-bal, à Quillacollo — il mène l’opération peut-être contre le gré de son supérieur, José Buenaventura Zárate, qui est compère de Mendizabal. Après la difficile période de re-pli, de doutes et de traque qui va de novembre 1815 à mars 1816, c’est lui qui relance la lutte et repart à l’assaut. Même chose l’année suivante, où Lira est contraint de licencier tous ses hommes en janvier 1817, puis les rassemble à nouveau, avec plus d’enthousiasme que jamais.

La question de savoir si la guérilla des Vallées a exercé une action défensive ou off en-sive est sans doute mal posée. L’intelligence de Lira le fit agir dans le seul sens qui per-mettait le maintien de ses forces, tout en flattant son ambition. Une troupe isolée n’avait pas la moindre de chance de survivre durablement. Lira s’imposa donc à la tête de toutes ces forces que les officiers du roi auraient, sinon, facilement vaincues les unes après les autres. Peut-être quelque troupe de bandoleros aurait-elle pu tenir, mais en aucun cas deux provinces. Cette dynamique établit vers 1817 la guérilla à un niveau d’équilibre qui lui permettait de renaître à coup sûr.

Le commandement de Chinchilla semble avoir correspondu à une période où la gué-rilla fut davantage traquée, plus isolée, moins bien dirigée. Malgré son incontestable vaillance, Chinchilla ne parvint pas à prendre l’initiative et ses plus grosses entreprises se traduisirent par de coûteuses pertes.

Le retour de Lanza marquera l’inscription de la guérilla des Vallées dans une partie qui se joue désormais à l’échelle du sous-continent. Elle y pert en autonomie — il n’est plus question de satisfaire les ambitions et les vengeances de chefs de village —, elle y gagne d’apparaître comme l’une des composantes des armées de libération.

En dépit de ces variations, entre 1813 et 1821, la guérilla est parvenue, quelle que soit la conjoncture et le nombre de ses membres, à maintenir un abcès de fixation dans une zone telle qu’elle obligea les garnisons de La Paz, Sicasica, Oruro et Cochabamba à in-tervenir sans cesse. On devrait pouvoir calculer le coût de cette présence pour les caisses royales ; il fut sans doute très élevé. À partir de 1821, les objectifs de la Division des

LE TERRAIN ET LES ARMES

82 Carl Schmitt, Théorie du partisan, p. 257.

Aguerris durent se plier à ceux d’un plan conduit à l’échelle du grand Pérou. Lanza, dont les qualités militaires n’étaient pas à la hauteur du sens politique, détermina ses objectifs en fonction d’une stratégie qui dépassait l’horizon des Vallées. La division inopinée des forces royalistes entre constitutionnalistes et absolutistes plaça la guérilla au point de rencontre de ces deux forces hostiles, et elle dut alors se charger d’une tâche supplémen-taire, inattendue et périlleuse, celle de gêner deux armées royalistes, et non plus une seule. Au plan militaire, c’était une tâche impossible. Lanza eut recours à la ruse et la né-gociation, ce qui fut mal compris des anciens de la troupe qui s’étaient engagés pour se battre, non pour parlementer.

Si la guérilla des Vallées parvint à se maintenir pendant toute la durée de la guerre et à contrôler durablement une partie des deux provinces, ces succès ne doivent pas exagé-rer son imporance stratégique. Jusqu’à sa réunion à l’armée de libération venue du Pérou sous les ordres d’Andrés Santa Cruz, la troupe de Vargas a surtout livré des escarmou-ches dont elle sortait, même victorieuse, avec des pertes presque toujours plus lourdes que celles de l’adversaire, et jamais elle ne fut capable d’assurer le contrôle durable des grandes voies de communication du Haut-Pérou.

L’efficacité de la guérilla provenait de la multitude de ces forces locales, de leur dis-persion à travers l’espace américain, de la faiblesse des troupes royalistes, trop peu nom-breuses, sujettes aux désertions, mal équipées, et dont le commandement était divisé par des querelles personnelles et, de plus en plus, par des adhésions partisanes opposées.

Les troupes de guérillas pratiquaient l’attaque-surprise avec, souvent, de la mal-adresse. Mais le terrain de la guerre était si vaste que les royalistes ne parvinrent jamais à consolider durablement leurs positions. Le brigadier Juan Ramirez, vainqueur en Char-cas en juillet 1814, apprend en août le soulèvement du Cuzco et doit partir se battre con-tre les forces révolutionnaires à La Paz, puis à Arequipa, avant de parvenir au Cuzco.

Les forces de ces caudillos, dont la fin est annoncée chaque trimestre, ne cessent de re-naître. Les meilleurs capitaines de l’armée royale, et les plus connus des « Ayacuchos83 », ont participé aux expéditions des Vallées : Ricafort, Valdés, Canterac, Espartero, Maro-to, Ameller, Seoane… Aucun ne parviendra à éradiquer la résistance de ces montoneros.

Ils n’y ont pas acquis plus de sagesse ni de modération. Mais Canterac tire parti de la traque menée contre la bande de Gandarillas pour les opérations de contre-guérilla qu’il conduit au Pérou84. Et revenus en Espagne pour prendre une part active à la vie politi-que calamiteuse de leur patrie, ces hommes continuent de mener la guerre impitoyable-ment. Le bombardement de Barcelone par Espartero en 1842 en porte témoignage.

83 Surnom péjoratif donné en Espagne à ces ociers lors de leur retour en métropole. Beaucoup d’en-tre eux y poursuivirent une belle carrière, grâce à leur engagement politique pendant les guerres civiles entre libéraux et ultras.

84 CDIP, Dumbar Temple, p. 16 & sq.

Dans le document Naissance de la guerre de guérilla (Page 169-173)