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Des grilles d’analyse internationales de l’équité des systèmes éducatifs

1. Une politique publique volontariste aux résultats incertains

1.2. L’évaluation de la politique d’éducation prioritaire

1.2.3. Des grilles d’analyse internationales de l’équité des systèmes éducatifs

Les politiques de discrimination positive dans le domaine de l’éducation sont nées dans les années soixante, dans une optique d’égalité d’accès et de chances, et avec des logiques de compensation, au fur et à mesure que l’égalité et l’équité en matière d’éducation devenaient un problème politique. Il s’agissait à l’époque des aires d’éducation prioritaire en Grande Bretagne (années 60), puis des zones d’éducation prioritaire en France (années 80), avant que ces modèles soient développés un peu partout.

Le Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, souligne que « chaque citoyen doit être doté des compétences nécessaires pour vivre et travailler dans cette nouvelle société de l’information ». Cet objectif a été réitéré lors du Conseil de Barcelone en mars 2002 dans le programme de travail « éducation et formation 2010 », et par l’adoption de critères européens de référence lors du Conseil de mai 2003 (compréhension de l’écrit, sortie prématurée du système scolaire, accomplissement de l’enseignement secondaire, participation des adultes à l’éducation et à la formation tout au long de la vie).

En outre, ces objectifs éducatifs sont pour partie intégrés dans un plan européen plus vaste d’inclusion sociale qui s'inscrit dans un contexte juridique et politique européen. L'articulation

32 Disponible sur le site internet http://www.minefi.gouv.fr

nationale et européenne est assurée par une méthode qui requiert la formulation d'objectifs et d'indicateurs communs, l'élaboration de plans d'actions concrétisant les objectifs, l'évaluation des politiques menées et l'identification de « bonnes pratiques ».

C'est dans ce contexte que la France a rendu en 2003 un plan national d’action pour l’inclusion sociale (PNAI)33. Le PNAI 2003-2005, dans l’objectif 4.1.2.4. Développer à l’attention des personnes concernées des prestations, des services ou des actions d’accompagnement permettant un accès effectif à l’éducation, à la justice et aux autres services publics et privés tels que la culture, le sport, les loisirs, reprend les indicateurs européens retenus pour l’éducation34 :

– en matière d’accès à l’éducation : l'indicateur de cohésion sociale européen retenu est le nombre de personnes à faible niveau d'études, il se décline dans le PNAI par 3 indicateurs :

– l’évolution du nombre de sortants de formation initiale par niveau de formation ; – le taux de scolarisation en maternelle à deux ans en ZEP et en population générale ; – l'évolution du nombre d'élèves ayant au moins un an de retard selon les CSP.

– en matière de prévention de l’exclusion scolaire : l'indicateur européen est le nombre de jeunes quittant prématurément l’école et ne poursuivant pas leurs études ou une formation quelconque, il se décline par 4 indicateurs :

– le nombre et la proportion de jeunes quittant le système éducatif sans qualification au sein de la population scolaire ;

– le nombre de contrats éducatifs locaux ;

– la proportion d'élèves ayant réintégré leur établissement d'origine après un passage par des classes relais ;

– le pourcentage des jeunes éprouvant des difficultés de lecture (mesurées à l'occasion des tests de lecture lors des journées d'appel de préparation à la défense (JAPD)35.

Dans le chapitre intitulé, Bonnes pratiques36, la politique de la ville est citée, mais non la politique de l'éducation prioritaire, qui, paradoxalement n'apparaît pratiquement pas dans ce document.

Les citoyens européens se montrent de plus en plus soucieux de bénéficier d’un système éducatif efficient offrant avec le plus de certitudes des perspectives égales de carrière et d’avenir. C’est dans ce cadre que six équipes universitaires européennes37 se sont attelées à la tâche de construire des indicateurs internationaux d’équité des systèmes éducatifs ayant pour but :

33 Dans un souci de cohérence, le document de politique transversale Inclusion sociale, précédemment cité, reprend le périmètre et l'architecture du PNAI.

34 PNAI 2003-2005, pages 62 et 66.

35 PNAI 2003-2005, pages 76, 82, 88, 109 et 111..

36 PNAI 2003-2005, pages 43-49.

37 Programme Socrates 6.1.2., déposé le 1er juillet 2003 auprès de la Commission européenne : rapport final du projet

"Construire des indicateurs internationaux d’équité des systèmes éducatifs".

– de mesurer et comparer l’équité des systèmes éducatifs des pays de l’Union ;

– d’être des outils à l’attention des décideurs dans la définition des politiques éducatives ;

– de permettre aux usagers et aux gouvernants de juger de l’équité de leurs systèmes.

Les indicateurs présentés avaient l’ambition d’alimenter le débat sur l’égalité des chances ou la justice éducative en offrant des éléments de réponse aux questions suivantes :

– « Dans quelle mesure les inégalités individuelles d’éducation ont-elles des conséquences sociales importantes pour les individus ?

– Quelle est l’ampleur des inégalités au sein des systèmes éducatifs de l’Union européenne ? Quels sont les avantages liés à l’éducation ?

– Les systèmes éducatifs ont-ils un rôle amplificateur ou réducteur des inégalités contextuelles ? Dit autrement les inégalités sont-elles dues plutôt au contexte (économique, social ou culturel) ou plutôt au fonctionnement du système éducatif ? – Dans quelle mesure les inégalités éducatives profitent-elles aux défavorisés et

favorisent-elles la mobilité sociale ? »

Dès lors, les chercheurs ont élaboré et modélisé un canevas théorique d’indicateurs d’équité des systèmes éducatifs, qui paraît intéressant pour l’étude de l’éducation prioritaire. Ce canevas distingue38 :

Le contexte des inégalités d’éducation

A.1. Conséquences individuelles de l’éducation A.2. Inégalités économiques et sociales A.3. Ressources culturelles

A.4. Aspirations et sentiments

Les inégalités du processus d’éducation B.1 Quantité d’éducation reçue

B.2. Qualité d’éducation reçue

Les résultats internes - inégalités d’éducation C.1 Compétences cognitives

C.2. Développement personnel C.3. Carrières scolaires

Les résultats externes - effets sociaux et politiques des inégalités d’éducation D.1 Éducation et mobilité sociale

D.2 Bénéfices de l’éducation pour les défavorisés D.3. Effets collectifs des inégalités

Pour tous ces items, le canevas distingue les inégalités entre individus, les inégalités entre catégories, et les individus qui sont sous le seuil d’équité. Ce canevas s'appuie fortement sur une vision synthétique de cinq grands principes d'égalité en matière d'éducation, inspirée de Grisay (1984)39.

38 L’équité des systèmes éducatifs européens, un ensemble d’indicateurs, rapport de recherche 2003, page 29.

39 Cf annexe 7, le tableau inspiré de Grisay.

Les résultats sont les suivants. À partir de PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’OCDE), des chercheurs ont étudié la mesure de l’équité comparée des résultats scolaires des élèves. La France se situe en position moyenne basse (10 ou 11ème sur 17). Puis ils ont étudié les avantages liés à l’éducation (avantages économiques, sociaux, avantages dans les relations avec ses enfants) : « Plus un pays connaît une distribution inégale des biens parmi les adultes, et plus leur possession est associée à l’éducation acquise, plus il importera que l’école distribue ses bienfaits de manière juste, de manière à ne pas aggraver encore la situation. Cette distribution équitable sera d’autant plus difficile à établir que le contexte social et économique est inégalitaire puisque les groupes favorisés risquent bien d’exercer sur l’institution scolaire de fortes pressions de manière à maintenir leurs avantages.

(…) Plus les effets d’une carrière réussie sont importants, plus il importe que les enfants défavorisés aient les mêmes chances de réussite que les autres ».

Puis ils se sont demandé si les systèmes éducatifs avaient un rôle amplificateur ou réducteur des inégalités contextuelles : « on tiendra pour efficace le système d’enseignement qui, tout en élevant le niveau moyen de connaissances, réduit la variance générale des résultats internes et externes au système éducatif, … selon trois effets conjoints à l’issue de chaque phase d’apprentissage :

– une élévation de la moyenne des résultats, – une réduction de la variance des résultats,

– une diminution de la corrélation entre l’origine sociale des élèves (et plus généralement ses caractéristiques initiales) et le rendement. »

En moyenne dans la zone OCDE, à titre d’exemple, 20 % de la variation de la performance des élèves en lecture est liée au statut économique, social et culturel, cette part varie entre 9 % en Finlande et 24 % au Luxembourg, la France est à 22 %. Mais en France, les disparités entre individus, selon leur origine sociale et nationale, sont plus marquées.

Les chercheurs ont, dès lors, étudié les mécanismes mis en œuvre par certains systèmes, et dont le résultat est de répartir la population scolaire en unités d’enseignement (classes ou écoles) plus ou moins homogènes. Les mécanismes de ségrégation pour homogénéiser les unités d’apprentissage ont été répertoriés : écoles et classes non mixtes, organisés sur des bases philosophiques ou religieuses, redoublement, filières et options distinctes, scolarisation et carte scolaire, enseignement spécialisé …Trois groupes de pays ont été distingués :

– les pays nordiques qui organisent des classes et écoles très hétérogènes,

– les pays du sud dont la France qui recourent à certains mécanismes de ségrégation, – et un groupe qui y recourt massivement (Belgique, Pays Bas et Allemagne).

Enfin, dans quelle mesure les inégalités du processus d’éducation profitent-elles aux défavorisés et favorisent-elles la mobilité sociale ?

Le rendement d’un diplôme peut varier avec le groupe d’appartenance de la personne qui en est titulaire. S’il est inférieur pour les défavorisés, cela veut dire que les conditions sociales

les empêchent d’en bénéficier, et que, de surcroît, ils sont moins incités à les obtenir car leur rendement est plus faible.

L’équité des systèmes éducatifs européens, un ensemble d’indicateurs, rapport de recherche 2003 pages 123 à 128 :

En France, en 2001, pour toutes les catégories de diplômes, les sortants du système éducatif dont les parents sont enseignants ou cadres accèdent plus souvent que les autres à une profession supérieure ou intermédiaire (MEN-DPD, 2002)40. Dans le même sens, Goux et Maurin (1997) montrent qu’en France, le "coefficient de reproduction" est positif : à diplôme égal, les enfants de deux catégories sociales distinctes ont plus de chances de reproduire la situation de leurs pères que de l’inverser, une situation évidemment défavorable pour les défavorisés. »

L’intérêt de cette approche réside dans le fait qu’elle dépasse le débat très français des causalités des inégalités scolaires, « déni de la question sociale, solidaire d’une tentation d’attribution de toute puissance de l’institution scolaire »41, ou déni de la question scolaire, qui voudrait que toutes les inégalités scolaires ne soient que sociales, et qu’en fin de compte, l’éducation nationale soit impuissante à les résoudre. Elle réside également dans le fait que l’approche européenne est souvent moins cloisonnée que l’approche française qui a tendance à séparer le monde de l’éducation des autres mondes.

1.3. Quelles questions, quelles approches, quelles méthodes pour une