• Aucun résultat trouvé

LE GLOBE - TOME 158 - 2018 permettre à Judith de rencontrer les enseignants et les élèves… et moi de

Dans le document Récits de voyage : une géographie humaniste (Page 106-110)

l'accompagner. Nous logeons, excusez du peu, au Plazza Hôtel, établissement très simple comme son nom ne l'indique pas mais très sympathique. Je vis alors ma première rencontre avec le monde scolaire népalais par l'entremise d'un jeune homme qui devrait poursuivre une formation soutenue par l'association plus bas dans la vallée et de deux enseignants de l'école de Jharkot en charge de son dossier. Commence une discussion ou plutôt une forme de négociation à laquelle participe Damodar dans un mélange d'anglais plutôt correct, d'anglais de cuisine et de népali. J'écris tout en écoutant ou plutôt tente d'écrire tout en écoutant.

Cela n'a pas l'air facile, mais Judith est remarquable à la fois d'écoute attentive et de fermeté. Et lorsque ces Messieurs s'en vont, arrivent une jeune femme et ses deux petites filles accrochées à elle. Vêtues toutes les trois très pauvrement et insuffisamment en fonction du froid qui règne encore ici, elles nous regardent avec une tristesse plus que palpable. Nous prenons alors vite connaissance de leur situation. Le mari et père, en montagne avec trois autres hommes du village pour commencer les travaux de fin d'hiver, a été surpris par la vague de neige et de froid soudaine et inhabituelle du début du mois de mars. Près de deux mètres de neige en peu de temps et un froid glacial les a empêchés de redescendre et ils sont morts de froid là-haut, à deux ou trois heures du village par temps normal. On a retrouvé leurs cadavres lorsque la température a remonté et la neige a fondu. La maman et ses deux petites filles sont donc seules, sans aucun soutien financier, sans famille pour les aider et Bimala, la fille aînée de sept ans a très envie de poursuivre l'école. Impossible sans un minimum de moyens. Leur situation est dramatique et de les voir les trois devant nous à attendre une sorte de miracle me tord le fond du ventre et me fait monter les larmes des yeux. Pendant que Judith sort de la salle pour aller s'habiller dans l'idée d'aller visiter l'endroit où elles habitent et me laisse seul avec elles, j'en profite pour m'éclipser quelques minutes dans ma chambre et laisser couler mes larmes tout en sortant de mon portefeuille trois billets de 1000 roupies : 30 francs suisses pour moi, un mois de survie pour elles. La maman me remercie d'un sourire si triste lorsque je lui remets les trois billets que je dois me battre pour refouler de nouvelles larmes qui montent. Et lorsque Judith revient de sa visite de la "maison", la description qu'elle en fait est tellement apocalyptique que j'en suis complètement retourné. Elle me dit n'avoir jamais vu pareille misère. Une

LE GLOBE - TOME 158 - 2018

minuscule pièce où elles dorment toutes les trois sur un seul matelas à même le sol et qui sert également de cuisine. Juste un petit foyer pour cuisiner et se chauffer. Judith a profité de les accompagner dans un petit magasin local pour leur acheter quelques vivres de base et compléter la garde-robe des filles par des bonnets et des gants. Et elle ajoute que les trois autres familles dont les maris et pères ont subi le même sort sont également demandeuses de soutien. Nous rencontrerons les quatre mères concernées le lendemain à l'école et Judith m'assure qu'elles obtiendront sans peine le soutien de son association. Je revois donc, outre les trois autres femmes, la maman de Bimala le lendemain à l'école. Belle rencontre avec toujours cette tristesse terrible mais aussi des esquisses de sourire dont le plus magnifique est celui du remerciement.

J'en profite pour lui demander la possibilité de la prendre en photo, ce qu'elle accepte volontiers… mais le sourire malheureusement disparaît devant l'appareil. Par contre, il est gravé dans ma tête et dans mon cœur pour longtemps, c'est certain.

La mort par accident absurde

Nous sommes à Tukuche, petite ville du Bas Mustang et prenons logis au Tukuche Guesthouse, chez Mona et Samar dont la gentillesse et l'hospitalité sont extraordinaires. Nous sommes accueillis comme à la maison et pouvons profiter de leur toit en terrasse pour y lire et y faire un peu de lessive. Nous passons la soirée avec eux profitant d'écouter Samar nous expliquant qui sont les Thakali, ce peuple d'origine tibétaine auquel il appartient et qui sont majoritaires dans cette vallée.

Nous passons une partie du 14 avril, le Nouvel-An népalais, avec les enseignants de l'école qui nous invitent à leur traditionnelle fête en nous proposant non seulement un très bon dal baht mais aussi de la bière, de la musique et même des danses traditionnelles auxquelles nous participons activement.

Lorsque nous rentrons au guesthouse, nous sommes immédiatement intrigués par la présence d'un hélicoptère qui survole le quartier et qui finalement atterrit à proximité de la maison. Nous apprenons alors la nouvelle de la mort accidentelle d'un des fils de la maison voisine, asphyxié semble-t-il dans sa douche.

LE GLOBE - TOME 158 - 2018 Fig. 6 : La maman de Bimala, le 4 avril 2015 (Photo : R. Villemin)

Fig. 7 : A Jharkot, Bimala, sept ans, le 4 avril 2015 (Photo : R. Villemin)

LE GLOBE - TOME 158 - 2018

C'est alors le branle-bas dans tout le quartier et dans notre guesthouse qui est attenant à la maison du jeune homme en question. Toutes les personnes du quartier et plus particulièrement Mona et Samar, nos deux hôtes, se mobilisent d'une part pour préparer les funérailles qui traditionnellement doivent avoir lieu le lendemain du décès et d'autre part pour recevoir les amis et voisins qui arrivent pour présenter leurs condoléances. Mona en particulier se dévoue sans compter pour apprêter nourriture et boisson qui traditionnellement doivent être offerts aux visiteurs lors des journées de deuil. Les hommes quant à eux, se rassemblent sur la terrasse autour du défunt en récitant des prières. Nous pouvons les observer de notre terrasse mais avec beaucoup de discrétion pour ne pas les déranger dans ces moments qui apparaissent comme importants dans la cérémonie du deuil. Nous les voyons également préparer le brancard sur lequel reposera le corps pour être amené à l'endroit de la crémation. Et le lendemain, par la fenêtre d'un petit restaurant tenu par le "Hollandais" et son épouse népalaise et sous une pluie battante nous voyons passer le cortège funéraire composé exclusivement d'hommes portant le brancard décoré de fleurs et de rubans sur lequel repose la dépouille jusqu'à l'endroit de l'incinération situé en dehors du village.

Le feu et la terre qui s'allient pour nous rappeler notre fragilité et notre appartenance au cosmos

Et j'arrive à cette incroyable journée du 25 avril 2015, en principe dernier jour de mon séjour népalais. De retour le samedi 21 avril du parc national de Chitwang, Je passe la semaine précédant la date de mon départ à Katmandou, souvent seul car Judith doit subir une petite intervention chirurgicale en début de semaine : rien de grave mais avec la nécessité de se reposer. J'en profite donc pour visiter les plus intéressants sites historiques de la ville et de ses environs : Patang, la cité royale, Swayanburnath et ses temples bouddhistes et hindous, Bodnath, son énorme stupa et le monastère de Kopan, Durbar Square, son palais royal et ses temples, la Tour Bhimsen et ses soixante mètres de hauteur sans oublier les balades dans les rues agitées du quartier de Thamel.

Une grande partie de ces lieux seront partiellement ou totalement détruits en l'espace de deux minutes le samedi 25 avril à 11:56 par un

LE GLOBE - TOME 158 - 2018

Dans le document Récits de voyage : une géographie humaniste (Page 106-110)