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1.3.1. Définition et caractéristiques de ce groupe

Les règles qui encadrent les rapports collectifs de travail au Québec sont principalement édictées par le Code du travail7. Or, si ces règles ont permis d’équilibrer le rapport de force

entre l’employé et l’employeur, elles ont aussi permis l’exclusion de certains travailleurs de la représentation collective (Coiquaud, 2011). À ce propos, les cadres sont exclus de la notion de salarié défini par le Code du travail, puisque celui-ci précise, à son article 1, que la notion de salarié « ne comprend pas: 1° une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».

Le Code du travail exclut de la notion de salarié tous les types de gestionnaires (D’Amours et Arsenault, 2015; Blouin, 1975). En raison de cette restriction, le Code du travail propose une vision duale des acteurs du système de relations industrielles. Il met d’un côté l’employeur et ses représentants et de l’autre, les salariés (Chartier, 1965). Ce sont alors seulement ces derniers qui peuvent bénéficier de la représentation collective et ainsi de la négociation collective.

Les conséquences d’une telle exclusion ne sont pas banales. En reconnaissant les gestionnaires comme étant des représentants de l’employeur, le Code du travail leur a enlevé

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la possibilité de bénéficier de la négociation collective. Certes, l’objectif était probablement de protéger la liberté syndicale et donc « d’éviter que des représentants de l’employeur et leurs subordonnés ne se retrouvent dans une même association de salariés » (Bolduc, Grenier et Parent-Sirois, 2016, p.9). À ce sujet, Coutu et al. (2014) écrivent : « le souci du législateur paraît essentiellement celui de prévenir les situations d’ingérence, d’entrave et de domination en prohibant la présence simultanée de gestionnaires et de salariés au sens du Code au sein d’associations communes » (Coutu et al., 2014, par.999). Or, cette exclusion fait en sorte que les gestionnaires ne disposent que de peu de moyens afin de défendre leurs conditions de travail. À cet égard, Coutu et al. (2014) soulignent que ceux-ci « font souvent les frais des licenciements accompagnant la restructuration des entreprises » (Coutu et al., 2014, par.999).

Le mode d’organisation tayloriste semble avoir contribué à l’exclusion des gestionnaires de la notion de salarié au sens du Code du travail. En fait, l’organisation du travail de l’époque établissait une division franche entre le personnel de conception et le personnel d’exécution. Qui plus est, les premiers avaient comme principale responsabilité de contrôler le travail des seconds. À ce sujet, Perron (1990) reprend la définition du cadre de Jean-Réal Cardin qui dit :

« Essentiellement les cadres d’une entreprise constituent le groupe de personnes qui ne sont pas membres du conseil d’administration, et qui ne prennent pas de décision quant aux politiques générales de l’entreprise, mais qui, à un niveau ou un autre, participent à l’administration, au contrôle et au conseil de cette entreprise. Ils englobent, sous ce chef, tous ceux qui ne sont pas de purs exécutants, mais qui, au contraire, détiennent une part d’initiative et de responsabilité, soit humaine (direction d’un personnel), soit scientifique, technique ou administrative » (Perron, 1990, p.205).

Certes, avant de qualifier un employé de « gestionnaire », il faut regarder le contrôle que celui-ci exerce sur le travail de ses subordonnées. En ce sens, le simple fait qu’un employeur considère un employé comme étant un gestionnaire, ne signifie en aucun cas, que celui-ci en soit bel et bien un au sens du Code du travail (Blouin, 1975). Ainsi, pour être considéré comme un cadre au sens de la loi, l’employé doit être « habilité à exercer l’autorité patronale avec liberté de manœuvre » (Blouin, 1975, p.479). Dit autrement, l’employé doit exercer une autorité hiérarchique « au nom et pour le compte de l’employeur » (Blouin, 1975, p.479),

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d’une part et exercer cette autorité librement, donc avec « un certain degré d’initiative, de jugement et de responsabilité se rapprochant de celui qui caractérise la décision patronale » (Blouin, 1975, p.479), d’autre part. En ce sens, un professionnel travaillant au sein d’une entreprise ne sera qualifié de cadre que s’il participe « d’une certaine façon à la direction et à l’autorité » (Chartier, 1965, p.280).

En somme, les conditions d’exercice du travail et le rôle réellement exercé par l’employé dans le cadre de ses fonctions sont les principaux déterminants afin de juger son statut juridique (Bolduc, Grenier et Parent-Sirois, 2016). À ce propos, Gagnon et al. (2013) écrivent : « il n’est pas nécessaire de posséder les pouvoirs discrétionnaires d’engagement et de congédiement pour être considéré comme un représentant de l’employeur ; la présence dans les fonctions de l’employé de différents éléments constitutifs du pouvoir de gérance comme la faculté d’assigner le travail, d’en contrôler l’exécution, de le surveiller et de l’évaluer pourra suffire […] » (Gagnon et al., 2013, p.349).

Après avoir défini la notion de gestionnaire, il est important de s’intéresser à leurs caractéristiques. L’une des caractéristiques de ce groupe est certainement leur hétérogénéité. En fait, sous le terme « gestionnaire » une panoplie de types y sont insérés, d’où l’expression « conglomérat de professions » largement utilisée lorsqu’on parle des gestionnaires (Divay et Gadéa, 2008, p.680). À ce sujet, Perron (1990) souligne que : « le terme [cadre] englobe les trois paliers de gestion généralement reconnus, soit : direction, coordination et gérance intermédiaire, supervision » (Perron, 1990, p. 206). Dans cette optique, Divay et Gadéa (2008) présente les trois principaux types de cadres du réseau de la santé et des services sociaux, soit, les cadres soignants, les cadres administratifs et les cadres de la filière logistique et technique.

On retrouve d’abord les cadres soignants qui sont généralement issus d’une profession liée à la santé et aux services sociaux et qui accèdent à un poste d’encadrement après quelques années en tant que professionnel soignant (Divay et Gadéa, 2008). En outre, les cadres administratifs sont les « plus proche de la figure classique des cadres » (Divay et Gadéa, 2008, p.680). En ce sens, ils travaillent dans un milieu extrêmement bureaucratisé et exerce

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divers métiers, tels que comptables, responsables des ressources humaines ou encore responsables des services administratifs (Divay et Gadéa, 2008). Quant à eux, les cadres techniques, tentent de faire fonctionner l’ensemble des hôpitaux et regroupent des ingénieurs, des informaticiens, des spécialistes de la logistique et de la sécurité (Divay et Gadéa, 2008). Qui plus est, plusieurs facteurs interviennent dans les tâches que chaque type de gestionnaire a à exécuter, d’où leur hétérogénéité même en termes d’activités de travail (Divay et Gadéa, 2008).

La position qu’occupe les gestionnaires du réseau de la santé et des services sociaux est paradoxale, puisqu’ils doivent porter les demandes de leurs subordonnés et tenter de mettre en place les conditions permettant leur réalisation et, à la fois, mettre en œuvre des décisions provenant de la haute direction (Bolduc, Grenier et Parent-Sirois, 2016). De ce fait, leurs conditions d’exercice du travail ont quelques caractéristiques qu’il convient de souligner. À cet égard, Bolduc et Baril-Gingras (2010) ont identifié trois conditions d’exercice qui influence fortement le travail des cadres. Ils abordent leur surcharge quantitative de travail, les limites de leur autonomie décisionnelle et le peu d’implication des cadres concernant les décisions stratégiques de l’organisation (Bolduc, Baril-Gingras, 2010). Tout compte fait, les gestionnaires du réseau de la santé et des services sociaux ont de longues journées très occupées, détiennent peu de moyens pour opérationnaliser leurs décisions en plus d’être soumis à un ensemble de mesures de contrôle et ont l’impression d’agir dans l’urgence en réaction aux demandes provenant du haut de la hiérarchie (Bolduc, Grenier et Parent-Sirois, 2016). Dans cette optique, il n’est pas surprenant, selon les auteurs, de voir une augmentation du stress au travail et de l’épuisement professionnel, conséquences incontournables de cette intensification du travail (Le Capitaine, Grenier et Hanin, 2013).

1.3.2. Le modèle de représentation des gestionnaires

L’impossibilité pour les gestionnaires du réseau de la santé de négocier collectivement leurs conditions de travail ne signifie pas qu’ils n’aient pas le désir de se regrouper au sein d’une association représentative. Tremblay et Toulouse (1991) soulignent que la satisfaction qu’éprouvent les cadres est le facteur prédictif le plus utilisé afin de comprendre leur désir de se regrouper en syndicat (Tremblay et Toulouse 1991). Autrement dit, « le désir de se

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regrouper sous la forme d’un syndicat varie suivant le degré de satisfaction des employés » (Tremblay et Toulouse 1991, p.3). Ils ajoutent que la perte de prestige tend à augmenter le désir de syndicalisation des gestionnaires. À ce sujet, ils écrivent :

« [les cols bleus] se joignent à un syndicat pour améliorer leurs conditions de travail alors que les cadres veulent adhérer à une association, à un syndicat parce qu’ils sont insatisfaits face à l’entreprise, à leur statut et à leur rôle dans la gestion. La perception que ce qui « leur arrive » apparaît beaucoup plus importante que les préoccupations traditionnelles de « pain et de beurre » pour expliquer le désir d’adhérer à un regroupement de cadres » (Tremblay et Toulouse 1991, p.16).

Selon Coutu et al. (2014), les premières associations de cadres apparaissent avec la Révolution tranquille (Coutu et al., 2014). Ces derniers donnent l’exemple de l’Association des administrateurs d’hôpitaux de la province de Québec (aujourd’hui l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux) fondé en 1959 et de l’Association du personnel des cadres hospitaliers de la Mauricie inc. (aujourd’hui l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux) fondé en 1969 (AGESSS, 2015). Toutefois, Perron (1990) souligne que la première véritable prise de conscience chez les gestionnaires du secteur de la santé a eu lieu en 1972. Ainsi, il écrit :

« une diminution du statut du cadre, les compressions au niveau des conditions d’emploi et l’absence de participation aux décisions sont les principaux motifs qui ont donné naissance aux associations professionnelles représentatives de cadres des fonctions publiques et parapubliques québécoises » (Perron, 1990, p.206-207) Le simple fait que certaines associations soit reconnues par la Loi sur les syndicats professionnels8, n’entraîne pas une obligation pour l’employeur de la reconnaître et de

négocier avec elle (Perron, 1990; Coutu et al., 2014). Certes, cette reconnaissance permet « de se constituer en personne morale, de se doter de statuts et règlements, de détenir et d’aliéner des biens et d’ester en justice » (Coutu et al., 2014, par.1010). En ce sens, le Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux9 prévoit que les gestionnaires doivent être

8 L.Q., 1924, c. S-40. 9 L.Q., 1996, c. S-4.2, r. 5.1.

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consultés lors de la prise de décision concernant l’établissement de leurs conditions de travail par la mise en place de deux comités qui doivent siéger afin de discuter des problèmes d’interprétation et d’application des conditions de travail. Ainsi, les associations de cadres peuvent avoir le « droit à une consultation préalable avant la détermination unilatérale des conditions de travail par l’employeur » (Coutu et al., 2014, par.1013). Ils ajoutent :

« en pratique, les échanges entre les associations de cadres et employeurs peuvent parfois prendre l’allure de quasi négociations, mais juridiquement, la situation est très claire : l’employeur ne veut pas être lié par un processus formel de négociation et se réserve le droit de trancher tout différend de manière unilatérale » (Coutu et al., 2014, par.1013).

En somme, bien que les associations de gestionnaires telle que l’AGESSS soit reconnues par voie règlementaire, elles ont très peu de moyens légaux pour défendre les conditions de travail de leurs membres.

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