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4.4.1. Hypothèse 1 – L’évolution de la qualité de vie au travail

La première hypothèse posée avance que la plus récente réforme du réseau de la santé a engendré une détérioration des conditions de travail des gestionnaires intermédiaires.

De par les réponses obtenues grâce au questionnaire et aux entrevues, nous avons observé que, les gestionnaires intermédiaires du réseau de la santé et des services sociaux québécois, vivent une dégradation de leurs conditions de travail. Ceci n’est pas surprenant lorsqu’on regarde le contexte actuel des relations de travail dans le secteur public. Ce contexte, imprégné des principes du Nouveau Management Public, a profondément chamboulé les relations de travail de ce secteur (Rose, 2016; Budd, 2004). C’est dans ce contexte que la Loi 10 a été proposée par le ministre de la santé et des services sociaux de l’époque, Gaétan Barrette. Cette réforme implique des changements importants tant au niveau structurel qu’organisationnel (Barrette, 2014). En fait, la Loi 10 avait pour principal objectif la

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simplification des structures par la fusion de différents établissements, ce qui permettrait ainsi de diminuer les postes de gestion et de faire des économies considérables (Barrette, 2014). Néanmoins, il semble que cette réforme ait complexifié le travail des gestionnaires intermédiaires, et ce, à plusieurs égards.

En premier lieu, nous avons observé que la diminution du nombre d’établissements a engendré une augmentation de la bureaucratie. Celle-ci a entrainé une lourdeur dans les procédures administratives en plus de causer certaines difficultés au niveau de l’accès à l’information. Au final, les gestionnaires intermédiaires considèrent que la bureaucratie brime leur efficacité au travail.

En second lieu, la diminution du nombre de gestionnaires intermédiaires a certainement permis, au gouvernement, de réaliser d’importantes réductions budgétaires (Barrette, 2014). En revanche, ces réductions budgétaires ont fait en sorte que les gestionnaires encore en emploi ont dû accomplir plus de tâches et cumuler des fonctions. Cette augmentation de leur charge de travail a provoqué, pour plusieurs gestionnaires intermédiaires, une augmentation de leurs heures de travail et de l’épuisement professionnel. Ceci démontre parfaitement l’intérêt grandissant du gouvernement pour l’efficience et sa capacité à mettre de côté les notions d’équité et de participation, et ce, peu importe l’état de santé de ses employés (Rose, 2016; Budd, 2004; Le Capitaine, Grenier et Hanin, 2013).

En troisième lieu, la Loi 10 avait aussi pour objectif de spécialiser les secteurs. Cette spécialisation des secteurs a eu des impacts extrêmement variables sur les gestionnaires intermédiaires. En fait, certains d’entre eux ont vu leur nombre d’employés et de sites à superviser largement augmenter en plus, de devoir dorénavant gérer plusieurs catégories de professionnels. Le fait d’avoir plusieurs sites à gérer engendre inévitablement des défis en matière de communication pour les gestionnaires face aux employés sous leur supervision. En somme, cet éclatement des fonctions a obligé plusieurs gestionnaires intermédiaires du réseau de la santé à revoir leur manière de gérer.

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Au final, la Loi 10 a laissé un goût plutôt amer pour les gestionnaires intermédiaires du réseau de la santé et des services sociaux. Les propos tenus et les coupures de postes de gestion sont les principaux motifs qui ont laissé croire aux gestionnaires intermédiaires que la nouvelle philosophie gouvernementale allait être bien différente de la précédente. À ce sujet, ceux-ci ont ressenti être de moins en moins importants dans la mise en place de la réforme. Ce changement dans la participation des gestionnaires aux prises de décisions et le fait que la Loi 10 ait éliminé plusieurs postes de gestion viennent confirmer que ces derniers ne font plus partie de l’élite qui bénéficie d’emplois hautement qualifiés et sécurisés. Par conséquent, les gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux semblent désormais être associés aux travailleurs faisant partie du noyau (Hyman, 1997; Grenier, 2017). Ceci implique donc un faible niveau de participation dans la prise de décision, ce dernier étant réservé aux travailleurs associés à l’élite.

Il ne fait aucun doute que l’ensemble des conséquences engendrées par la Loi 10 a eu des implications non négligeables sur les gestionnaires intermédiaires. Évidemment, ceux-ci sont touchés à différents degrés, selon le poste qu’ils occupent et le secteur dans lequel ils œuvrent. Néanmoins, nous savons maintenant que la Loi 10 ne touche pas qu’une minorité de personnes.

4.4.2. Hypothèse 2 – Le type de représentation collective

La seconde hypothèse de recherche prévoit que l’évolution des conditions de travail des gestionnaires intermédiaires du système de santé et de services sociaux québécois a causé une remise en question de leur type de représentation collective.

Les gestionnaires intermédiaires ont longtemps eu un processus de détermination des conditions de travail qui leur permettait de s’exprimer face à leur employeur. Ce dernier considérait les gestionnaires intermédiaires comme des éléments essentiels dans la mise en œuvre des différentes réformes du réseau de la santé et des services sociaux (Couillard, 2005). Toutefois, la Loi 10 aborde l’utilité des gestionnaires intermédiaires différemment. Dès lors, nous avons observé que le modèle de consultation qu’ils possèdent ne répond plus tout à fait à leurs besoins, et ce, pour plusieurs raisons.

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La Loi 10 a révélé au grand jour le peu de pouvoir que possèdent les gestionnaires intermédiaires face à leur employeur. Ce processus de consultation exigeait du gouvernement qu’il prenne en compte les demandes formulées par l’AGESSS, mais en aucun cas, ce dernier n’était tenu d’accorder de telles demandes. Qui plus est, la Loi 10 a démontré la faible reconnaissance dont bénéficient les gestionnaires intermédiaires de la part de leur employeur. Ces derniers étant vus comme de la bureaucratie dans laquelle il faut couper le plus possible afin d’améliorer l’efficacité du système de santé québécois (Barrette, 2014).

Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant de voir des gestionnaires intermédiaires qui souhaitent une valorisation de leur profession. Selon les répondants, cette revalorisation devrait inévitablement passer par une plus grande présence de l’AGESSS dans les médias. Ils voient dans cette démarche un moyen de conscientiser la population sur leur travail et sur les enjeux de leur profession.

L’un des aspects qu’il est important de considérer en ce qui concerne cette deuxième hypothèse est certainement l’envie que certains gestionnaires ressentent face aux conditions de travail des employés qu’ils supervisent. Cette situation peu anodine est extrêmement révélatrice de l’état d’esprit des gestionnaires intermédiaires du réseau de la santé et des services sociaux. Certains d’entre eux sont dépourvus et aspirent à de plus grandes protections considérant les postes qu’ils occupent et les tâches qu’ils réalisent quotidiennement. C’est donc dire que les gestionnaires intermédiaires aspirent à l’équilibre que toutes relations de travail devraient engendrer, une balance entre l’efficience, l’équité et la participation des travailleurs, ces deux dernières notions étant largement bafouées par leur employeur depuis plusieurs années. En somme, les gestionnaires ne remettent pas en cause le bien-fondé d’une représentation collective dans le contexte de la Loi 10, mais déplorent une certaine incapacité, en raison de leur faible pouvoir réel, à répondre à leurs nouveaux besoins de représentation collective.

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