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5. Le rôle du genre (ou sexe social) dans les arbitrages au sein des couples

5.2. Genre et espace

Cette partie propose de montrer comment la notion de genre est définie dans son rapport avec l’espace et plus précisément avec celui de la ville, espace de notre travail. Puis, dans un second temps les liens entre le genre et la gentrification, contexte de notre étude, sont établis.

5.2.1. Genre et ville

Après la féminisation du marché du travail et les autres mutations sociétales (cf. chap. 2.) « […] les deux sexes se partagent (désormais) l’espace public […]. L’ouverture de la ville fonctionnelle aux femmes est patente. » (DI MEO 2012 : 110). Cependant, tous les auteurs n’envisagent pas la relation femme-ville de la même manière : pour certains, la ville comporte des avantages pour les femmes et pour d’autres, c’est un espace dans lequel elles ont des

désavantages, économiques principalement. Certaines idées sont cependant partagées par les chercheurs de ce domaine. Premièrement, le fait que les femmes et les hommes n’ont pas la même relation à la ville est le constat de base des chercheurs sur les relations entre genre et ville : « […] le genre s’avère un facteur explicatif important du rapport spatial à la ville. » (DI MEO 202 : 126). Deuxièmement que la différence principale est que les hommes sont associés avec l’espace extérieur, la politique, « […] the public real in production, work force, business and finance, while women have been associated with the private realm of domesticity, family and leisure. » (ALLENTUCK 2004 : 2). Mais le dualisme espace public/privé « […] même s’il reflète encore une distinction sexuée, ne produit pas automatiquement les figures antagoniques de l’homme libre, rémunéré, dominateur, et de la femme captive, exploitée, placée sous influence masculine. » (DI MEO 2012 : 110)

Concernant les avantages, ROSE (1984 in NICHOLAS et KENNY 2005) affirme que les femmes actives et seules, avec ou sans enfant/s et marginalisées dans le monde du travail trouvent dans la ville un panel large et utile de services, de supports et de réseaux. Cela est corroboré par MARKUSEN (1981 in NICHOLAS et KENNY 2005) qui montre que les femmes des couples bi-actifs peuvent trouver que les villes sont plus appropriées pour travailler et ainsi avoir une division équitable du travail domestique par la proximité de leur emploi. BONDI (1999) écrit que les femmes pauvres, comme les mères élevant seules leur/s enfant/s ou les femmes âgées sont surreprésentées dans les centres-villes et WILSON (1991) argumente que les villes donnent des opportunités d’émancipation pour les femmes. FAGNANI (1989 : 93) va dans ce sens en affirmant que le sous-équipement et la faible densité des périphéries, notamment par leur faible offre de transports publics freinent l’insertion professionnelle des femmes et que alors les « […] espaces centraux grâce à leur multifonctionnalité et à leur forte densité, seraient au contraire des contextes plus favorables à la ʺ″libérationʺ″ des femmes et à leur autonomisation. ».

Au contraire, ALLENTUCK (2004) explique que la ville a été construite pour et par les hommes et que malgré la mutation du rôle des femmes dans le marché du travail et dans la structure de la famille cela a très peu changé. Elle écrit que l’aménagement des villes reflète, renforce et perpétue les inégalités sociales. Par exemple, les femmes « […] ne se déplacent pas partout en totale liberté de corps et d’esprit. Il existe des lieux de mauvaise réputation où les femmes évitent d’aller seule […]. » (DI MEO 2012 : 109). Ou encore par le fait qu’il y a moins de femmes ayant une voiture et que la plupart des villes sont développées sur un modèle de déplacement en automobile et qu’il n’y a pas ou peu de connexions entre les lieux d’habitations suburbains et le lieux de travail potentiel pour les femmes. Les villes ont été conçues pour loger des vies de familles qui n’existent plus dans la même mesure que lors de la planification. « As women’s roles have changed their needs have not easily been met. The city then becomes an extension of the values present at the time of the city’s construction and persist in serving dates standards. » (ALLENTUCK 2004 : 10). Cela peut expliquer le fait que les villes se repeuplent.

Les résultats de l’étude de DI MEO (2012 : 124-125) montrent que finalement les deux manières de comprendre la relation entre les femmes et la ville peuvent être observées sur un même terrain:

«[…] cette situation des femmes reflète bien leur contrôle, dans la ville, par un ordre politique, économique et géographique implicite qui, d’une certaine façon, les contraint, mais aussi qu’elles cautionnent et consolident souvent, quand elles ne volent pas à son secours. ».

5.2.2. Genre et gentrification

Comme nous l’avons vu dans un chapitre précédent (5.2.1.), plusieurs chercheurs ont exploré les façons dont les femmes sont désavantagées dans les villes, d’autres ont montré que la ville donne des possibilités d’émancipation aux femmes. Il faut maintenant ajouter, dans le contexte de gentrification actuel, que les « […] evidences of connections between gentrification and changes in gender practices amongst strands of the urban middle class is beginning to accumulate. » (BONDI 1999 : 253).

Les préférences résidentielles sont aussi à considérer par rapport au périurbain où les habitants seraient contraints à une mobilité qui prendrait une part considérable de leur temps. La proximité entre emploi et lieu de résidence permet aux deux membres du couple vivant dans un centre urbain de mener à égalité leurs carrières professionnelles (DONZELOT 2004). Cela peut motiver des couples bi-actifs à habiter au centre-ville : « Gentrification is associated with a professional strand of the middle class, within witch a substantial proportion of women have become strongly career-oriented.» (BONDI 1999 : 258). Ces propos sont partagés par BUTLER et HAMNETT (1994 : 483) :

« We suggest that dual-career families, especially those where both partners are involved in professional employment, are particularly likely to be found in gentrified inner-city areas partly because of the practical employment reasons suggested by Warde, but also because the are more likely to share a middle-class background, an appreciation of the cultural infrastructure of life in the inner city, and possibly a shared antipathy towards life in suburbia. ».

RERAT et LEES (2010 : 135) ont constaté, lors de leur étude sur le développement des villes suisses, qu’il y avait un niveau relativement élevé de couples à double carrière dans les centres-villes. Ils interprètent cela de deux manières : la première est qu’il faut deux salaires pour accéder à ces nouveaux logements et la deuxième que le fait de vivre dans un centre-ville permet aux couples de mener conjointement leur propre carrière professionnelle, tout en négociant de manière plus aisée la vie de tous les jours qu’en habitant en périphérie.

Certains auteurs, comme WARDE (1991), affirment même que la gentrification est une conséquence des mutations sociales conséquentes des années 60 (cf. chap. 2.). En effet, cet auteur écrit que la gentrification est tout d’abord une question de genre (par l’arrivée des femmes sur le marché du travail). BUTLER et HAMNETT (1994 : 477) nuancent cette argumentation de la manière suivante :

« We do not dispute that gender, and in particular, the changing employment pattern of women, is of major importance in the explanation of gentrification (Bondi, 1991) but we would argue that female gentrifiers are part of a particular fraction of the middle class, with specific cultural practices and, in some case, distinctive political orientations. ».

BONDI (1999 :258) élargit les propos de ces deux chercheurs :

« In Edinburgh, study women did not form a larger proportion of those in professional employment than elsewhere in the neighbourhoods subject to gentrification, although they did constitute a very substantial proportion of those purchasing residential property. This point to the significance of financially independent middle-class women whose occupations are not classified as ‘professions’ as frequently as their male counterparts but whose lifestyles and outlooks are broadly similar to those of professional middle-class men […].».

Cette auteure présente trois résultats principaux de sa recherche concernant le lien entre le genre et la gentrification. Le premier est le fait que, dans les deux quartiers de gentrification qu’elle étudie, de nombreuses femmes seules ont acheté des propriétés, le deuxième est que malgré le fait que le prix des maisons soit le même, les deux quartiers ont attiré des groupes socio-économiques différents, « […] with men and women in professional careers much more strongly represented in the neibourhood of ʺ″matureʺ″ gentrification. » (BONDI 1999 : 258). Et le troisième est que la disparité de genre selon les statuts socio-économiques persiste de manière égale dans tous les quartiers, du centre-ville à la banlieue. Cela suggère que la « […] career-orientation among women within the professional middle class may play a part in gentrification in some areas but that other processes are also at work. » (ibid. : 258).