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Processus magmatiques en contexte d’accrétion océanique

2. Evolution des magmas au sein des réservoirs magmatiques crustaux sous les dorsales rapides et intermédiaires

2.2. Géométrie du réservoir magmatique sous les dorsales intermédiaires et rapides et processus d’accrétion

La notion de chambre magmatique sous les dorsales océaniques a été introduite afin d’expliquer certaines caractéristiques géochimiques et pétrologiques des MORB, nécessitant une zone d’accumulation et de différenciation des magmas au sein de la croûte :

- le déséquilibre chimique entre les MORB et le manteau supérieur : l’équilibre des magmas avec les olivines du manteau (Fo90) est atteint pour des valeurs de Mg# de 70 (Roeder et Emslie, 1970), qui ne sont que rarement observées au sein des MORB (moins de 2% des verres récoltés le long des dorsales ont un Mg#>65 ; Sinton et Detrick, 1992). Les magmas primaires issus de la fusion du manteau ont ainsi subi un fractionnement de cristaux à faible profondeur avant d’être émis en surface (Stolper, 1980 ; Grove et Bryan, 1983) ;

- les indices minéralogiques et géochimiques de mélange magmatique (faible variabilité chimique des MORB, zonations des cristaux, compositions des inclusions fluides ; e.g. Dungan et Rhodes, 1978 ; Sours-Page et al., 2002 ; Pan et Batiza, 2002 et 2003).

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Cependant, les données géophysiques acquises à l’axe des dorsales, en contraignant la répartition du liquide au sein de la croûte (Fig. A-4a), ont remis en cause les modèles de larges réservoirs liquides s’étendant de la base de la croûte jusqu’au complexe filonien (Cann, 1974 ; Nicolas et al., 1988). Un modèle de réservoir composite a ainsi été proposé afin de réconcilier cette répartition du liquide et la structure lithologique de la croûte océanique (Fig. A-4b ; Sinton et Detrick, 1992). Le réservoir essentiellement liquide (AMC : Axial Magma

Chamber), identifié par le réflecteur observé à la base de la couche 2B, correspond à une

mince lentille de magma, large de 1,5 km en moyenne mais dont l’épaisseur reste mal contrainte (environ une centaine de mètres ; e.g. Burnett et al., 1989 ; Toomey et al., 1990 ; Caress et al., 1992 ; Wilcock et al., 1992 ; Hussenoeder et al., 1996 ; Collier et Singh, 1997 ; Canales et al., 2005). Cette lentille, présente seulement sous certaines portions de dorsale, repose sur une large zone essentiellement solidifiée, dont l’extension spatiale correspond à celle de la LVZ (Figs A-3 et A-4b). Un seconde lentille de magma est parfois observée à la base de la croûte océanique (Fig. A-4a), suggérant que l’accumulation des magmas ne se limite pas seulement à l’AMC (Garmany, 1989 ; Dunn et Toomey, 1997 ; Crawford et al., 1999 ; Dunn et al., 2000 ; Chen, 2001 ; Nedimovic et al., 2005).

De nombreuses questions sont encore débattues quant à ce modèle de réservoir magmatique. D’une part, la signification géologique de la LVZ (Low Velocity Zone) reste mal comprise et associée selon les interprétations à (i) une bouillie cristalline, renfermant entre 2 et 20% de liquide (Mainprice, 1997), entourée d’une zone de transition au comportement sub-solide (Fig. A-4b) ; ou (ii) une unité gabbroïque solidifiée et recoupée de nombreux sills liquides. De plus, les rôles respectifs de l’AMC et de la lentille de magma parfois identifiée en base de croûte dans l’origine des gabbros et le stockage et la différenciation des magmas au sein de la croûte sont encore sujets à maints débats.

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Deux modèles d’accrétion s’opposent (Fig. A-5) : le modèle « gabbro glacier » considère que la nucléation et la croissance des cristaux se produisent au sein de l’AMC, la croûte inférieure étant formée par le fluage ductile des cristaux, verticalement et latéralement (Quick et Denlinger, 1993) ; tandis que le modèle « sheeted sill » envisage l’existence de nombreux sills magmatiques au sein de la croûte inférieure, la différenciation des magmas et l’accrétion de la croûte océanique inférieure s’étageant alors depuis le Moho jusqu’à la transition dyke/gabbro (Boudier et al., 1996 ; Kelemen et al., 1997 ; Kelemen et Aharanov, 1998 ; MacLeod et Yaouancq, 2000).

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Afin de trancher entre ces modèles, l’étude pétrographique et chimique des gabbros est essentielle. Ainsi, selon le modèle « gabbro glacier », le liquide alimentant l’AMC aurait subi peu de modification chimique dans la croûte inférieure et les gabbros correspondraient à des cumulats, chimiquement complémentaires des laves émises en surface. A l’inverse, le modèle de « sheeted sill » implique que l’AMC représente le sill le plus superficiel, au sein duquel

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s’injectent des liquides résiduels. Ce modèle suppose également que les gabbros sont les équivalents plutoniques des basaltes (compositions chimiques en équilibre). Ainsi, l’enjeu scientifique que représente l’échantillonnage in situ des gabbros océaniques a motivé les expéditions de forage ODP/IODP au niveau du puits 1256D (plaque Cocos, bassin du Guatemala), dont l’infrastructure a été conçue pour forer le socle océanique jusqu’à d’importantes profondeurs (~2000 m sous le plancher océanique ; Teagle et al., 2004). Trois missions ODP/IOPD (Leg ODP206 et Exp. IODP309 et 312) se sont succédées sur ce puits et ont permis d’atteindre, pour la première fois (Exp. IODP312), les gabbros d’une croûte océanique relativement jeune et formée en contexte d’accrétion ultra-rapide (15 Ma, 150 mm/an). J’ai participé à l’une de ces missions (Exp. IODP309) dont les objectifs scientifiques et le déroulement sont résumés en Annexe A-1 et dont les résultats préliminaires sont présentés par Wilson et al. (2006 ; ci-joint) et Teagle et al. (2005 ; présenté en Annexe A-2).

Dans la suite de ce travail, le choix de l’un ou l’autre des modèles d’accrétion n’est pas discriminant quant à l’évolution chimique enregistrée par les magmas au sein du réservoir magmatique. En effet, le modèle géomathématique utilisé (Rannou et al., 2006) définit le réservoir magmatique comme le système physico-chimique englobant l’ensemble des liquides pouvant interagir et se mélanger au sein de la croûte, que ce soit au seul niveau de l’AMC ou au sein de multiples lentilles. Cependant, afin de contraindre le volume du réservoir magmatique à l’axe des dorsales, les approches proposées considèreront que le liquide du réservoir axial est essentiellement contenu dans l’AMC (plus une faible fraction du liquide interstitiel de la bouillie cristalline), dont les dimensions et la charge cristalline sont les plus facilement appréhendables par les mesures géophysiques.

Drilling to Gabbro in Intact