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L’oeuvre et la critique de Charles Darwin

VI. Génétique des populations

CAVALLI-SFORZA Luca, 2000, Entretien sur la génétique des populations, paru dans Sciences Humaines n° 109, octobre, pp. 38-41 ;

(propos recueillis par Nicolas Journet)

Luca Cavalli-Sforza est né en 1922 à Gênes. Formation de médecine, de biologie et de génétique. Actuellement professeur à l’université de Stanford, en Californie et dirige un programme international de recherche sur la diversité du génome humain.

1994 (avec Francesco Cavalli-Sforza), Qui sommes-nous ? Une histoire de la diversité humaine, Paris, Albin Michel ;

1996, Gènes, Peuples et Langues, Paris, O. Jacob ;

Hétérogénéité de distribution des groupes sanguins parmi la population humaine p.38

« (...) La répartition des groupes sanguins A, B et O (qui désignent des protéines différentes présentes sur les cellules sanguines) n’est pas absolument homogène dans le monde : les groupes A et B sont totalement absents d’une bonne partie des populations autochtones d’Amérique, à l’exception de certains groupes indiens du Canada et des Esquimaux.

Différences génétiques et échelle de temps p.39

(...) Grâce à des méthodes de calcul fondées sur le principe des horloges moléculaires, c’est-à-dire la vitesse connue des mutations spontanées, on peut même transformer cette différence génétique en échelle de temps : plus des groupes sont génétiquement différents, plus le temps qui les sépare de leur origine commune est long.

Les origines africaines d’Homo sapiens, puis d’Homo sapiens sapiens

(...) La paléoanthropologie nous a appris que le peuplement de la terre s’est fait en deux temps.

Il y a 1,8 millions d’années, une première vague de peuplement partit de l’Afrique. Ces hommes archaïques répandirent l’espèce Homo sapiens, la nôtre, en Europe et en Asie. Dans une seconde étape, un groupe relativement petit venu de l’Afrique de l’Est étendit cette expansion au monde entier. Cette histoire est beaucoup plus récente : l’homme moderne, Homo sapiens sapiens, est une sous-espèce d’Homo sapiens qui est sortie d’Afrique il y a environ cent mille ans.

Anatomiquement, on ne le distingue pas des hommes actuels, et il est assez différent des types archaïques, néandertalien compris. On en trouve il y a cent mille ans quelques exemplaires aussi hors d’Afrique, au Moyen-Orient.

L’homme de Qafzeh avait un langage semblable au nôtre

(...) Il semble presque certain que cet homme moderne, qui peupla le monde, avait déjà un langage semblable à celui que nous utilisons aujourd’hui, c’est-à-dire très riche en grammaire et vocabulaire, puisque cela est vrai de tous ses descendants actuels, bien qu’ils parlent des langues très différentes.

Colonisation de l’Europe par hss il y a 40.000 ans

(...) L’Europe a été conquise par Homo sapiens sapiens il y a environ quarante mille ans à partir du Moyen-Orient, mais aussi, probablement plus tard, par des populations venant de l’Asie du Nord et du Centre. Les néandertaliens semblent disparaître assez rapidement après l’apparition de

L’élevage et l’agriculture développés au néolithique sous la pression de saturations démographiques et de perturbations climatiques, au Moyen-Orient, en Chine et au Mexique

p.40

(...) Les hommes modernes qui se sont répandus dans le monde à partir de l’Afrique il y a à peu près cinquante mille ans étaient des chasseurs-cueilleurs très efficaces. C’est probablement sous l’effet d’une crise que, dans des milieux tropicaux et tempérés du Moyen-Orient, de la Chine et du plateau mexicain, ces hommes ont, il y a environ dix mille ans, commencé à développer de manière indépendante l’élevage des plantes et des animaux dont ils ne nourrissaient déjà. Cette crise fut probablement déterminée par une saturation démographique locale, aggravée par un changement de climat agissant sur la flore et la faune. À partir de ces trois régions, l’agriculture s’est répandue dans les régions voisines, celles du moins qui convenaient aux plantes domestiquées dans chacune des aires d’origine : le blé et l’orge au Moyen-Orient, le mil dans la Chine du Nord, le riz dans celle du Sud, et le maïs en Amérique. L’élevage s’appliqua de préférence aux espèces locales qui se prêtaient à la domestication, et le Moyen-Orient est le plus riche fournisseur d’espèces dans ce domaine.

L’anthropologie génétique montre que l’agriculture s’est répandue par migration des agriculteurs

Nous pensons que si la diffusion de l’agriculture hors de ses aires d’origine a été très lente, c’est parce qu’elle a suivi le rythme du déplacement des agriculteurs eux-mêmes. Si cette migration a eu lieu, elle a nécessairement causé un brassage génétique. Or, nous en avons retrouvé aujourd’hui la trace, sous la forme d’une variation génétique graduelle qui va clairement du Moyen-Orient vers l’Europe de l’Ouest et du Nord. Cela confirme ce que nous pensions sur l’origine moyen-orientale de l’agriculture, et sur le fait que ces techniques ne se sont pas déplacées toutes seules. »

LANGANEY André, 2001, « Histoire des populations : l’apport de la génétique », in Sciences Humaines n° 119, août-septembre, pp. 42-43 ;

André Langaney est généticien des populations, professeur à l’université de Genève et au Museum national d’histoire naturelle (musée de l’homme), où il dirige le laboratoire d’anthropologie biologique

Les gènes étant plurivalents, certains caractères ont été sélectionnés par hasard ; exemple des cinq doigts

p. 42

(...) Les gènes du développement ont des actions considérables sur les organismes et modifient presque tout à la fois. Par exemple, Denis Duboule s’est aperçu, en cherchant quels étaient les gènes qui font que l’on a une main à cinq doigts, que ces gènes contribuent à la structure de notre cerveau et à la structure du pénis chez les hommes. (...) Évidemment, ce qui est bon pour la main n’est pas forcément bon pour le cerveau ou pour le pénis. (...) Il est évident que l’effet de sélection sur les capacités du cerveau sera beaucoup plus importante que celui sur la main. Contrairement à ce que les gens qui faisaient de l’anatomie comparée ont longtemps pensé, c’est peut-être ainsi par hasard qu’on a cinq doigts et pas quatre ou six. Il est donc clair que l’action de la sélection naturelle ne peut être simple. Elle fait plutôt le moins mauvais [choix], sur un ensemble de caractères liés, que le meilleur de tous. Les théories qui ont conduit au darwinisme social, suivant l’idée selon laquelle tout serait optimisé dans la nature, ne tiennent pas debout.

Théories de la sélection naturelle : notion de « fécondité différentielle »

Il y a toujours eu deux versions de la sélection naturelle. L’une vient de Malthus et passe par Darwin. Elle est issue de la théorie de la fécondité différentielle (Malthus) : si les caractères d’un

individu sont transmis à ses descendants, ceux qui se reproduisent le plus vont avoir plus de descendants semblables dans la société future que ceux qui se reproduisent moins. Malthus tenait ce raisonnement par rapport aux riches et aux pauvres, estimant que, les riches faisant moins d’enfants que les pauvres, la proportion des pauvres allait augmenter. Darwin a récupéré ce raisonnement pour le monde animal et végétal, et il a rajouté un complément, la mortalité différentielle : ceux qui meurent plus vont évidemment moins se reproduire et laisseront moins de descendants. La survie est une condition minimale : il faut survivre jusqu’à la procréation et ce qui compte ensuite est d’avoir le plus de descendants possible pour la transmission.

La théorie spencerienne du « plus apte », erronée

Au même moment, sous l’influence d’Adam Smith et de Herbert Spencer, et même de Darwin lui-même dans d’autres chapitres, se développent les théories de la survie des plus aptes, de la loi du plus fort, de la compétition généralisée. Ces théories sont très idéologisées, à la fois en biologie et en sciences sociales, par Spencer. (...) La première version [la fécondité différentielle] est presque une tautologie, qui s’applique aux sciences sociales, la seconde [la théorie du « plus apte »]

n’est pas plus scientifique en sciences humaines qu’en biologie.

L’humanité initiale, formée de 50.000 personnes

(...) Nous sommes originaires d’une seule et même petite population du passé. Jusqu’à l’invention de l’agriculture et pendant toute la préhistoire, l’homme a été un primate rare. A un moment donné, pas très ancien, ce primate rare est passé par un effectif limité de population dont on a pu estimer l’ordre de grandeur : certainement moins de 50.000 personnes. Jusqu’à nouvel ordre, ce sont les ancêtres de tous les humains actuels. (...) Certains (...) estiment que çà a été un minimum, à un moment donné, dû à une sorte de goulet d’étranglement, qui se serait produit entre 50.000 et 150.000 ans avant nous.

La rapide diversification de l’aspect physique p. 43

(...) Les différences physiques, qui viennent de la sélection naturelle au cours des 10.000 à 30.000 dernières années, nous laissent parfois penser qu’on a l’air plus différents qu’on ne l’est réellement. (...) Les populations sont devenues très différentes physiquement en si peu de temps, car le changement des caractères physiques peut être très rapide. Pour preuve, dans les populations actuelles urbanisées et industrialisée, on grandit en moyenne de 2 cm par génération. (...) Dans les conditions de la préhistoire, la sélection naturelle sur les caractères de l’enveloppe du corps (formes, pigmentations, dimensions) fut intense et rapide. (...) On change certainement de couleur de peau en 40 ou 50 générations seulement. La ressemblance est alors le fruit du milieu, tandis que la parenté génétique est le fruit de l’histoire du peuplement et de la géographie des migrations.

La négation des « races » est stupide, contreproductrice

Je ne suis pas d’accord avec les gens qui disent qu’il n’y a pas de races parce que ce discours n’est pas compris. Il y a deux définitions complètement différentes des races. Le concept scientifique de race est quelque chose de bien défini. Pour des tas d’espèces de plantes et d’animaux, on parle de races naturelles, de sous-espèces biologiques. Il y a donc à côté des races artificielles chez les espèces domestiquées, ce qui n’est pas le cas de l’homme, des races naturelles qui se sont formées lorsque des populations d’une même espèce ont été isolées pendant très longtemps. Cela existe et il est absurde de le nier.

Les « races » humaines ne sont pas cloisonnées mais graduelles

(...) Il n’y a pas de discontinuité génétique notoire, pas de frontière biologique entre les populations ou les « races » humaines. Les caractères vont varier progressivement d’une population à l’autre. Pourtant, la notion perçue de race est une évidence et la génétique ne le nie pas. (...) Les

différentes et qu’il y a des propriétés biologiques, médicales, physiques ou autres qui sont liées systématiquement aux races en question. »

LANGANEY André, 1999, La philosophie... biologique, Belin ;

LANGANEY A., CLOTTES J., GUILAINE J. & SIMONET D., 1998, La Plus Belle Histoire de l’homme, Seuil ;

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