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Gélification par coalescence partielle induite par tempérage

I.3. Elaboration de systèmes gélifiés

I.3.3. La gélification par coalescence partielle

I.3.3.1. Gélification par coalescence partielle induite par tempérage

Le tempérage consiste, dans un premier temps, à amener une émulsion d’une température à laquelle l’huile est totalement liquide à une température plus faible à laquelle toute ou partie de l’huile est cristallisée. Une fois la cristallisation achevée, l’émulsion est réchauffée à une température, dite de tempérage, inférieure à celle de la fusion totale, pendant un temps donné, puis refroidie de nouveau (figure 1.25). Ce traitement thermique est souvent employé pour permettre la gélification au repos

d’émulsions d’huile cristallisable [42, 82] comme la matière grasse laitière anhydre (MGLA) [8, 81].

Selon Boode et al. [27], l’application d’un tempérage sur une émulsion de matière grasse laitière anhydre influe sur la nature et la répartition des cristaux à l’intérieur des gouttes : lors de la première cristallisation, les cristaux sont piégés dans un réseau à l’intérieur de la goutte. Le fait de passer par une température de tempérage confère une mobilité aux cristaux qui migrent alors vers l’interface. Lors

du deuxième refroidissement, les nouveaux cristaux seraient nucléés

préférentiellement à partir de l’interface, entraînant le processus de coalescence partielle. Thivilliers [8] nuance ce propos, car, selon elle, l’augmentation de la connectivité est aussi observée lors du plateau de tempérage. Elle explique que la coalescence partielle est influencée par le type de contact entre les gouttes (cristal/cristal, liquide/liquide ou cristal/liquide), ce qui entraîne un maximum de coalescence partielle en fonction de la température de tempérage.

Le tempérage permet donc de consolider les gels en renforçant la connectivité du réseau de matière grasse. Ainsi, il est possible de conserver une crème Chantilly pendant 3 semaines à 4°C alors que la même crème no n tempérée s’effondre au bout de seulement quelques heures [83]. L’histoire thermique a donc une forte influence sur les gels induits par coalescence partielle.

Fig 1.25 – Principe du cycle de température ou « tempérage »

I.3.3.2. Gélification d’émulsions foisonnées

Le foisonnement est un processus qui consiste à incorporer de l’air dans un système fluide, par agitation mécanique. La mousse ainsi formée doit alors être stabilisée. Dans le cas des produits laitiers foisonnés (crème Chantilly ou crèmes

T(°C)

Huile liquide T de tempérage

Cristallisation Recristallisation

glacées par exemple [40, 84], le fluide initial est la crème laitière, c’est-à-dire une émulsion directe de MGLA stabilisée par des protéines.

Lors de l’élaboration de la crème Chantilly, ce sont tout d’abord les protéines du lait qui stabilisent les bulles d’air incorporées. Par agitation thermique, la membrane des globules gras va être partiellement détruite, permettant leur adsorption à l’interface air/eau. Les bulles d’air ainsi stabilisées ne peuvent toutefois pas constituer à elles seules une structure mécaniquement rigide capable de donner au matériau final ses propriétés visco-élastiques. La formation d’un réseau de gouttes de MGLA connectées par coalescence partielle [40] confère à la mousse sa fermeté (figure 1.26 c)). Le réseau de matière grasse offre une résistance mécanique efficace contre les principaux mécanismes de destruction des mousses (migration, coalescence ou mûrissement d’Ostwald des bulles d’air). Ce réseau nécessite une certaine teneur en matière grasse (30 à 35% en masse) ; en dessous de cette teneur, le foisonnement devient difficile et les mousses se déstabilisent. Pour des teneurs supérieures à 45% en masse, l’incorporation d’air est aussi limitée et le foisonnement conduit rapidement à une inversion de phase, appelée barattage, à l’origine de la fabrication du beurre [85].

Dans les crèmes glacées (figure 1.26 c)), le réseau de matière grasse ne représente que 10% en masse du produit fini. Comme dans le cas de la crème Chantilly, il participe à la stabilisation des bulles d’air. La stabilité du système est toutefois améliorée par la présence des cristaux d’eau dans la phase continue [86].

L’introduction d’air modifie donc les propriétés de l’émulsion de départ. L’impact est différent suivant la formulation de l’émulsion initiale mais provient toujours d’une réorganisation des ingrédients et de l’adsorption des matériaux, qui se fait à l’interface des bulles [87]. Ainsi, pour une émulsion ayant un comportement de gel polymérique (la sauce blanche par exemple – figure 1.26 a)), à cause des stabilisants présents dans le système, l’ajout de bulles d’air n’a pas une grande influence contrairement à la crème Chantilly ou à la glace. Le fromage, possédant une structure de type gel de particule, possède un comportement thixotropique (i.e. une diminution de la viscosité au cours du temps sous contrainte constante) partiellement irréversible. Ceci entraîne une faible affinité vis-à-vis de l’incorporation de bulles d’air.

Fig 1.26 Schéma représentant les arrangements des ingrédients dans la microstructure de a) la sauce blanche b) le fromage frais c) la glace et dans la microstructure des mêmes émulsions contenant des bulles d’air. D’après [87].

I.3.3.3. Le barattage : fabrication du beurre

La transformation de la « crème » (émulsion de matière grasse laitière) en beurre est un phénomène complexe d’inversion de phase. Dans le beurre, la matière grasse forme une phase continue emprisonnant à la fois les globules gras restés plus ou moins intacts et des gouttelettes aqueuses.

Sa fabrication consiste en la destruction de la suspension de globules de MGLA par un intense brassage, en présence d’air, à 10-15°C. L’agitation provoque d’abord la formation de mousse où s’accumulent les globules ; elle permet ensuite la libération de la graisse liquide. Une fois les globules connectés et la graisse libérée, la mousse tombe brusquement, en même temps qu’une inversion de phase se

Goutte d’huile Protéine Xanthane / Agar Goutte d’huile Protéine Goutte d’huile Protéine Sucre Agent épaississant Bulle Bulle Bulle

produit : c’est la formation de « grains de beurre » qui grossissent sous l’action de l’agitation, accompagnée d’une séparation de la plus grande partie de la phase aqueuse (babeurre). Ces grains sont ensuite lavés à l’eau fraîche pour limiter la teneur en lactose et protéines des gouttes de babeurre incluses dans les grains ; sans cette dernière étape, des microorganismes se développeraient, nuisant à la qualité du beurre. Les grains lavés sont ensuite pétris en une masse solide de texture contrôlée [88].

Les grains de beurre se sont formés à partir d’amas de gouttes partiellement cristallisées et connectées par coalescence partielle. Ces amas, initialement bicontinus en eau et en huile, sont compactés sous l’effet de l’agitation. Ainsi, l’apport d’énergie mécanique provoque une inversion de phase qui mène à l’obtention de grains macroscopiques constitués d’une phase huileuse renfermant des poches de phase aqueuse (figure 1.27 a)). Les gouttes initiales ne sont plus discernables individuellement dans les grains barattés (figure 1.27 b)) (91,100).

Fig 1.27 – a) Représentation schématique du processus de barattage : une émulsion directe évolue vers une émulsion inverse sous cisaillement ; b) photographie d’amas issus du barattage d’une émulsion à base de matière grasse laitière anhydre obtenue en microscopie optique (barre d’échelle 100 µm). D’après [8].

Plusieurs facteurs sont susceptibles d’influer sur le barattage [89] :

- l’air : l’air présent lors de l’agitation accélère l’agrégation en créant des vitesses de déformation localement plus élevées. De plus, ayant une bonne affinité pour l’air, les gouttes d’huile s’étalent à l’interface eau/air. Cette disposition favorise leur agrégation [88].

- la taille des gouttes : les gouttes s’agrègent d’autant plus rapidement que leur rayon moyen est élevé. La vitesse d’agrégation en mode orthocinétique évolue en effet comme R3. [90].

- la température : elle est habituellement entre 8 et 13°C, dans l’ industrie. Cependant, l’existence d’une température optimale de barattage a été identifiée ; la température joue à la fois sur le taux de solide à l’intérieur des gouttes d’huile et sur la visco-élasticité des interfaces. Thivilliers [8] a ainsi trouvé que le barattage se produisait à une déformation seuil minimale (donc plus facilement) autour de 25°C, pour une émulsion de matière grasse laitière anhydre (!d = 45% massique), et n’observe pas de barattage en dessous de 15°C. Ces résultats sont obtenus dans un rhéomètre avec une géométrie plan-plan, ce qui diffère des conditions industrielles. De plus, dans l’industrie, d’autres contraintes s’imposent : de façon empirique, il a été constaté que si la température est inférieure à [8 - 13°C], le beurre aura une teneur en eau insuffisante (le beurre doit normalement contenir entre 14 et 16% d’eau en masse), et, si elle est au-dessus, le babeurre contiendra beaucoup de matière grasse et le beurre aura tendance à être mou et contiendra trop d’eau [89].