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I.2. Les émulsions : un état métastable

I.2.1. Mécanismes d’évolution ou de destruction des émulsions

I.2.1.5. La coalescence partielle

Dans le cas des émulsions directes, huile dans eau, la phase dispersée peut être constituée d’huile cristallisable. Dans ce cas, un mécanisme de destruction supplémentaire a été observé : la coalescence partielle [24, 25].

Lorsque la phase dispersée contient des cristaux, les surfaces des gouttes peuvent présenter des irrégularités ou des pointes. En effet, lors de la croissance des cristaux, l’énergie du réseau cristallin (réticulaire) peut largement dépasser la tension interfaciale et conduire à la formation de gouttes non sphériques. Lorsqu’un cristal protubérant d’une goutte cristallisée approche la surface d’une autre goutte, il exerce une pression qui est souvent suffisante pour percer l’interface.

La coalescence est alors dite partielle car les cristaux présents dans la phase dispersée forment un réseau suffisamment consistant pour empêcher la relaxation de forme observée lors d’une coalescence totale, et ainsi préserver la forme initiale des gouttes (figure 1.16).

De nombreux auteurs [26-33] ont étudié ce phénomène et ses conséquences sur l’évolution des émulsions. Bien que certaines études aient été menées dans des domaines tels que la pharmaceutique [33], la majorité d’entre elles a été menée dans le domaine de l’industrie laitière. En effet, les émulsions laitières possèdent une phase dispersée partiellement cristallisée aux températures de conservation usuelles (T ! 4°C).

Le phénomène de coalescence partielle est souvent décrit comme un mécanisme à trois étapes [28, 32] (figure 1.17) :

i) le rapprochement entre deux gouttes : cette étape est favorisée par l’agitation thermique, le crémage ou par l’application d’un cisaillement.

ii) le perçage de l’interface : Les cristaux percent le film qui sépare deux gouttes. Il est nécessaire que la distance entre les gouttes soit assez petite pour permettre cette perforation.

iii) le mélange de l’huile : cette étape correspond à une fuite de l’huile liquide résiduelle qui mouille ainsi le cristal. Ce mouillage permet un élargissement du lien qui vient de se former entre les gouttes. Dès qu’un cristal atteint la phase huile d’une autre goutte, la coalescence partielle est inévitable car le cristal est préférentiellement mouillé par l’huile plutôt que par l’eau. Cependant, malgré ce flux d’huile, la résistance mécanique du réseau cristallin de la goutte limite le mélange de l’huile et garantit le maintien de la forme des gouttes.

Fig 1.16 – Gouttes de 23 µm d’un mélange d’alcanes 40% C12 – 60% C22 partiellement coalescées. Barre d’échelle : 30 µm. Photographie F. Springinsfeld.

Fig 1.17 – Etapes du processus de coalescence partielle.

La coalescence partielle est donc un phénomène irréversible. Cette déstabilisation conduit à la séparation totale des phases si la matière cristallisée est amenée à une température où elle est totalement fondue ; les gouttes partiellement coalescées relaxent alors leur forme pour constituer une goutte sphérique plus volumineuse [34, 35] (figure 1.17).

1 – Rapprochement des gouttes

2 – Perçage du film 3 – Elargissement du lien

T

Paramètres influençant la coalescence partielle

La coalescence partielle, et par extension la stabilité des émulsions partiellement cristallisées, est influencée par de nombreux facteurs [36]. Walstra [37] a observé que ce phénomène se produisait préférentiellement pour des taux de solide compris entre 10 et 50%.

La microstructure du réseau cristallin détermine la couverture en cristaux de la goutte et les angles de contact du cristal à l’interface huile/eau. Des cristaux rigides sont moins aptes à prendre la forme de la courbure imposée par la surface et sont donc plus saillants [38]. La tension de surface qui se crée entre les trois phases cristaux/huile/eau détermine la mouillabilité des cristaux à l’interface, c’est-à-dire leur localisation et leur orientation à la surface. Si les cristaux sont complètement mouillés par l’huile, ils sont alors totalement dispersés dans le volume de la goutte et n’ont aucun impact sur la coalescence partielle [32].

Comme dans le processus de coalescence, la nature des agents de surface a un rôle prépondérant. Dans le cas d’émulsions stabilisées par des protéines, deux facteurs peuvent influencer la coalescence partielle. D’une part, la concentration surfacique : d’une manière générale, moins la surface est couverte par les protéines, plus la coalescence partielle est rapide [39]. D’autre part, l’épaisseur de la couche protéique adsorbée à l’interface a une grande influence : les protéines formant des couches épaisses à la surface des gouttes sont plus efficaces pour prévenir la coalescence partielle [35, 40]. Certains auteurs [8, 41-43] ont montré que l’état de la protéine pouvait aussi avoir une influence sur la stabilité des émulsions. En effet, les protéines peuvent être dénaturées par un traitement thermique ou en faisant varier le pH, par exemple. Le degré de dénaturation de la protéine contrôle la stabilité de l’émulsion envers la coalescence partielle lorsqu’elle subit un cycle de température : s’il ne reste pas assez de protéines non dénaturées à la surface, la stabilité de l’émulsion diminue.

La présence de tensio-actifs de faible poids moléculaires contribue à fragiliser l’interface et donc à accentuer le phénomène de coalescence partielle [44-46]. En effet, les tensio-actifs sont capables de déplacer les protéines de la surface des gouttes ou de réduire l’interaction latérale des protéines, modifiant ainsi les propriétés viscoélastiques de l’interface. L’interface plus fluide résiste alors moins bien à la pression exercée par un cristal. Pour des émulsions d’huile cristallisable stabilisées seulement par un tensio-actif, la nature de ce tensio-actif a une influence sur la coalescence partielle ; les tensio-actifs hydrosolubles peuvent influencer les interactions colloïdales et, en conséquence, la distance d’approche des globules. Les

tensio-actifs liposolubles peuvent affecter la cristallisation, et ainsi diminuer la tendance des cristaux à floculer [28].

L’ajout d’additif a aussi une influence sur la stabilité des émulsions envers la coalescence partielle. Il a ainsi été montré que la présence de bulles d’air favorise la coalescence partielle [37, 47]. Benjamins et al. [48] se sont intéressés à la coalescence partielle pour contrôler la perception en bouche des émulsions alimentaires. Selon eux, la coalescence partielle serait responsable de la perception sensorielle des textures crémeuses et graisseuses. Les émulsions, une fois mélangées avec la salive, subissent des changements structuraux : dans la bouche, une émulsion stabilisée par des protéines subit, dans un premier temps, une augmentation de la coalescence partielle. Cette augmentation est encore plus marquée en présence d’air. Lorsque l’émulsion atteint la température de la bouche, la fusion des cristaux entraîne une diminution de la coalescence partielle.

Par ailleurs, dans une émulsion d’huile de palme dans l’eau, stabilisée par du Tween20®, la présence d’oligoesters de saccharose possédant de longues chaînes d’acide gras influe sur la cristallisation de l’huile, et donc sur la stabilité de l’émulsion vis à vis de la coalescence partielle [49, 50]. Un oligoester hydrophobe a effectivement tendance à diminuer la taille des cristaux et à augmenter la température de cristallisation en servant de nucleus, tandis qu’un oligoester hydrophile retarde la transformation de la forme ! des cristaux d’huile de palme (cristaux plus larges et moins pointus) vers sa forme plus stable "’ (en forme d’aiguille, capable de percer l’interface). La présence de tels oligoesters permet donc de modifier la stabilité des émulsions d’huile cristallisable [50].