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Lors de l’analyse des métabolomes fongiques de P. verrucosum et de P. nordicum, une famille de métabolites appelés fungisporines a été détectée et a fait l’objet d’une attention particulière (voir Travail expérimental). Cette section est dédiée à la présentation de ces métabolites secondaires. 5.1. Une découverte ancienne, une caractérisation récente

La caractérisation du métabolome secondaire de P. verrucosum et son analyse par les réseaux moléculaires a permis de mettre en évidence la production de fungisporines par ce champignon filamenteux. Les fungisporines sont des tétrapeptides cycliques observés pour la première fois en 1952 chez neuf espèces de Penicillium (P. notatum, P. chrysogenum, P. citrinum, P. claviforme, P. purpurogenum, P. herquei, P. frequentans, P. roseo-purpureum et P. brevicaule) ainsi que deux espèces d’Aspergillus (A. niger et A. versicolor). La fungisporine A, détectée alors, est considérée comme un octopeptide constitué de résidus de L-phénylalanine et L-valine en quantités équimolaires37,38. En 1969, Studer et al. pointent du doigt la dimérisation de ce composé et caractérisent précisément la fungisporine A comme le tétrapeptide cyclique cyclo(D-Val-L-Val-D-Phe- L-Phe)39. L’analyse de la littérature témoigne de l’absence d’étude de ces composés au cours des 40 années qui suivent.

En 2014, lors de l’analyse génomique et transcriptomique de P. chrysogenum, Ali et al. mettent en évidence la présence d’un gène de NRPS (nommé hcpA) fortement exprimé et spécialisé dans la synthèse de tétrapeptides40 (Tableau 2).

Tableau 2. Tétrapeptides cycliques, tétrapeptides linéaires non modifiés et autres composés associés référencés dans la littérature.

La comparaison des profils métaboliques du champignon sauvage et du mutant ΔhcpA met en relation ce gène avec la production de 10 tétrapeptides cycliques. Ces composés présentent des structures similaires composées de deux acides aminés aromatiques (phénylalanine, tyrosine et/ou tryptophane) et de deux acides aminés aliphatiques (valine et/ou isoleucine). Dans cette étude, les auteurs soulignent également la présence du gène hcpA et de la production de ces 10 métabolites chez A. niger. L’année suivante, alors qu’ils étudient chez A. nidulans la synthèse de la nidulanine A, Klitgaard et al. observent à leur tour la production de fungisporines41. En plus de certains métabolites mis en évidence par Ali et al., la structure de la fungisporine C a été caractérisée. L’utilisation des réseaux moléculaires a également permis aux auteurs de souligner la présence de composés inconnus appartenant potentiellement à cette famille de molécules naturelles (Tableau 2). Enfin, lors de l’étude du potentiel métabolique de 24 espèces de Penicillium, Nielsen et al. ont souligné que le cluster codant pour des NRPS le plus abondant était à l’origine de la synthèse des fungisporines5. En effet, la fungisporine A a été détectée chez les 24 espèces étudiées. De par leurs compositions chimiques, sept autres métabolites ont également été annotés en tant que fungisporines chez P. italicum, P. griseofulvum, P. expansum, P. digitatum, P. rubens, P. vulpinum et P. flavigenum (Tableau 2).

Nom du métabolite Séquence peptidique Formule Moléculaire m/z de [M+H]+ Ali et al. 201440 Klitgaard et al. 201541 Nielsen et al. 20175 TETRAPEPTIDES CYCLIQUES Fungisporine A cyclo(FFVV) C28H36N4O4 493.2806 X X X Fungisporine B cyclo(YFVV) C28H36N4O5 509.2757 X X Fungisporine C cyclo(YYVV) C28H36N4O6 525.2708 X Fungisporine D cyclo(FWVV) C30H37N5O4 532.2916 X X cyclo(YWVV) C30H37N5O5 548.2868 X cyclo(FFVI) C29H38N4O4 507.2962 X X cyclo(FFIV) C29H38N4O4 507.2962 X cyclo(YWVI) C31H39N5O5 562.3017 X cyclo(YWIV) C31H39N5O5 562.3017 X cyclo(YFVI) C29H38N4O5 523.2914 X X cyclo(YFIV) C29H38N4O5 523.2914 X TETRPEPTIDES LINEAIRES FVVF C28H38N4O5 511.2912 X X VFFV C28H38N4O5 511.2912 X FFVV C28H38N4O5 511.2912 X YFVV C28H38N4O6 527.2864 X X VYFV C28H38N4O6 527.2864 X FVVY C28H38N4O6 527.2864 X YWVV C30H39N5O6 566.2972 X X VYWV C30H39N5O6 566.2972 X WVVY C30H39N5O6 566.2972 X VFWV C30H39N5O5 550.3023 X X FWVV C30H39N5O5 550.3023 X WVVF C30H39N5O5 550.3023 X FVIF C29H40N4O5 525.3077 X FIVF C29H40N4O5 525.3077 X FVIY C29H40N4O6 541.3023 X IYFV C29H40N4O6 541.3023 X FIVY C29H40N4O6 541.3023 X VYFI C29H40N4O6 541.3023 X

METABOLITES ASSOCIES NON IDENTIFIES

Indéterminé C33H44N4O5 577.3384 X

Indéterminé

(prénylé) C35H39N7O6 654.3035 X

Indéterminé C30H31N7O6 586.2401 X

D’après les auteurs, ces résultats suggèrent que les fungisporines sont des métabolites secondaires produits par la majorité des espèces de Penicillium. Dix-huit tétrapeptides linéaires ont également été caractérisés par Ali et al. et détectés à travers ces différentes études (Tableau 2)40. Comme leurs analogues cycliques, ces métabolites issus du gène hcpA sont composés de deux acides aminés aromatiques consécutifs et de deux acides aminés aliphatiques consécutifs.

Lors d’une analyse cinétique de la production des tétrapeptides, il a été observé que les courbes de concentration en peptides cycliques et en peptides linéaires étaient inverses. Ces données suggèrent que les peptides linéaires sont issus de la dégradation des tétrapeptides cycliques par hydrolyse de leurs liaisons peptidiques. La caractérisation des séquences des différents isomères linéaires a démontré que cette hydrolyse n’était possible qu’entre deux acides aminés aromatiques, entre deux acides aminés aliphatiques, ou entre un acide aminé aliphatique et un acide aminé aromatique de son côté N terminal. En effet, aucun peptide comportant un résidu aromatique à son extrémité C terminale et un résidu aliphatique à son extrémité N terminale n’a été observé dans ces études (Figure 10). De plus, considérant la stabilité des tétrapeptides cycliques face aux agents chimiques ou à un stress thermique, Ali et al. ont suggéré que ces métabolites linéaires soient issus d’une dégradation enzymatique de leur analogues cycliques40. Le fait que ces peptides linéaires peuvent être produits dans le milieu de culture du champignon met en lumière l’intérêt de ces métabolites dans le cadre de l’étude des métabolomes secondaires fongiques. En effet, si ceux-ci avaient été générés lors de leur analyse, ils ne pourraient pas être présentés comme des métabolites secondaires fongiques et seuls leurs peptides cycliques d’origine auraient un intérêt du point de vue fonctionnel. Dans le cadre de cette thèse, les peptides linéaires détectés ont donc été considérés comme des métabolites secondaires à part entière.

Figure 10. Lien hypothétique entre les tétrapeptides linéaires et les tétrapeptides fongiques observés chez Ali et al.40 Les flèches représentent des dégradations enzymatiques à l’origine de la génération de peptides linéaires.

R = groupement aliphatique, Ar = groupement aromatique.

5.2. Origines génétiques des fungisporines

L’étude du gène de la NRPS responsable chez P. chrysogenum de la synthèse des fungisporines (hcpA) par Ali et al. a mis en évidence quatre domaines responsables du recrutement des différents substrats, appelés domaines d’adénylation (notés A) (Figure 11)40. L’analyse bioinformatique de la structure de ces domaines a supposé l’implication de A1 et A2 dans la prise en charge de phénylalanines et de A3 et A4 dans le recrutement de valines. Néanmoins, les peptides caractérisés comportent également d’autres types d’acides aminés. Est alors suggéré la présence de

microhétérogénicités distinctes entre les modules. Ainsi, le module A1 présente une relative liberté de prise en charge du substrat permettant l’incorporation de phénylalanine mais également de tyrosine, tandis que le domaine A2 permet l’incorporation de phénylalanine et à moindre mesure de tryptophane. Les domaines A3 et A4 sont quant à eux responsables de la prise en charge de valine ainsi que d’autres acides aminés aliphatiques à courte chaîne latérale. Les domaines E présents dans les modules 1 et 3 sont responsables de l’épimérisation des acides aminés activés, expliquant la conformation D des acides aminés incorporés à ces positions. Les domaines PCP et C garantissent quant à eux l’élongation de la séquence (fixation de la chaîne et catalyse de la formation de la liaison peptidique) ainsi que la cyclisation de la molécule. Comme l’organisation linéaire des domaines ne reflète pas l’assemblage linéaire des acides aminés dans le produit final (avec notamment un module 4 entrecoupé de séquences des modules 2 et 3), les auteurs ont déduit que des processus non-linéaires de trans-aminoacylation se réalisent probablement grâce à la structure tertiaire de l’enzyme qui permettrait des interactions entre des domaines non consécutifs. Lors de l’étude du métabolome d’A. nidulans par Klitgaard et al., il a été démontré que les nidulanines et les fungisporines étaient produites par une même NRPS dont le gène (nlsA) présente près de 50% d’homologie avec le gène hcpA d’A. niger41.

Figure 11. Schématisation des gènes hcpA d’A. niger (haut) et de P. chrysogenum (bas) responsables notamment de la synthèse de fungisporines chez ces champignons. Extrait de Ali et al. 201440

5.3. Des métabolites d’intérêt

Les fungisporines sont des métabolites secondaires suspectés d’intervenir dans les processus de développement des champignons filamenteux qui les produisent par stimulation de la croissance aérienne du mycélium. En effet, Ali et al. ont démontré que la mutation du gène hcpA chez P. chrysogenum entraîne une modification de l’aspect des cultures et une absence de mycélium aérien (Figure 12)40. Ces premiers résultats suggèrent que les fungisporines puissent contaminer les substrats et être liées aux problèmes de destruction des denrées alimentaires par des champignons pathogènes. Suite à ces observations, Ali et al. ont suggéré que les fungisporines puissent avoir des fonctions

similaires à celles des hydrophobines40. Ces dernières sont impliquées dans les différentes étapes de développement du champignon en permettant l’adhérence du mycélium au substrat, la croissance aérienne et la dissémination des spores. En particulier, il a été démontré que les hydrophobines sont impliquées dans des interactions plante-champignon et que certaines d’entre elles sont responsables du pouvoir pathogène de certains champignons phytopathogènes42.

L’intérêt pour les fungisporines étant récent, l’implication de ces métabolites secondaires dans le développement du champignon ainsi que leurs potentiels effets toxiques n’ont pas été d’avantage investigués. Néanmoins, de nombreux tétrapeptides cycliques ou linéaires, composés d’acides aminés standards ou faiblement modifiés, ont démontré des activités toxiques ou des activités à potentielles applications industrielles dans la littérature.

Figure 12. Culture de P. chrysogenum. A. Souche sauvage à surface ridée. B. Phénotype lisse du mutant ΔhcpA. Source: Ali et al. 2014

En terme de toxicité, des tétrapeptides cycliques fongiques, tels que la dihydrotentoxine (cyclo(Leu-NMePhe-Gly-NMeAla)), ont été associés à une phytotoxicité. Bien que de nature biosynthétique différente, les ustiloxines sont des tétrapeptides cycliques modifiés (méthylation, hydroxylation et ajout de norvaline sur la tyrosine) impliqués dans la maladie du faux charbon infectant plus d’un tiers des champs de riz mondiaux43,44. Parmi ces métabolites, les ustiloxines A, B et G ont démontré des activités inhibitrices de l'allongement de la radicelle et du germe des graines de riz comparables à celle du glyphosate, utilisé comme désherbant45. D’autres types de toxicités sont associés à des tétrapeptides cycliques fongiques, comme notamment des activités inhibitrices de tyrosinase par le cyclo(PYPV)46.

Les tétrapeptides linéaires ou cycliques sont des composés auxquels sont également associés des propriétés pouvant être utilisées à des fins médicinales ou industrielles. En effet, le tétrapeptide linéaire D-Phe-L-Val-D-Val-L-Tyr (potentiellement issu de l’hydrolyse de la fungisporine B) caractérisé chez P. canescens a démontré une activité antifongique comparable à celle du produit phytosanitaire Benomyl47. De plus, les tetrapeptides cycliques cyclo(N-MePhe-Ile)

2, cyclo(N-MePhe-Val)2, et cyclo(N- MePhe-Val-N-MePhe-Ile) découverts chez Onychocola sclerotica ont été associés à des propriétés bloquantes vis-à-vis des canaux cardiaques, faisant de ces molécules un point de départ pour la recherche de nouveaux traitements contre l’arythmie, l’angor ou l’hypertension. Inhibant spécifiquement les canaux sodiques, ces métabolites présenteraient une toxicité inférieure aux bloqueurs de canaux potassiques disponibles sur le marché48. La forte similarité entre les fungisporines et ces composés cycliques suggère que les fungisporines puissent présenter des propriétés similaires40.

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