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I/ La fortification au milieu du XVIème siècle : techniques et contraintes :

Les méthodes employées pour fortifier les places ont beaucoup changé au cours du siècle qui précède le début des travaux à Givet sous la direction de Van Rossem. Selon l’interprétation traditionnelle, ces transformations sont un des aspects de la révolution militaire de l’époque moderne. Celle-ci constitue un concept des plus complexes et des plus discutés. Nous allons sommairement rendre compte de ces débats. Puis, nous essaierons de dissiper une partie du flou qui encadre la notion de révolution militaire. Et enfin nous développerons longuement ce qu’est son impact concret en matière de fortification.

La révolution militaire a été définie pour la première fois en 1955 à Belfast dans une conférence donnée par Michaël Roberts, un spécialiste de l’histoire de la Suède au XVIIème.

Elle a depuis fait l’objet d’un intense débat parmi les historiens anglo-saxons. Ce n’est pas ici le lieu pour entrer dans le détail de ces discussions internes au monde des disciples anglophones de Clio. Il nous suffit de rappeler que les principales positions des spécialistes sont résumées dans The Military Revolution Debate. Readings on the Military Transformations of Early Modern Europ. Boulder, Colorado, 19951. Les historiens français, au demeurant peu favorables au concept, se sont à peu près tenus à l’écart des controverses le concernant jusqu’à la traduction en 1993 du livre de Geoffrey Parker sur la révolution militaire2. L’illustration la plus flagrante de leur changement de position est la tenue, le 4 avril 1997, d’un colloque sur «la révolution militaire en Europe» à Saint-Cyr Coëtquidan3. Le caractère amical du débat ne doit pas dissimuler la force des critiques formulées en particulier par Jean Chagniot. Celles-ci mettent en lumière les nombreuses dissensions entre les historiens partisans du concept. La détermination de la période au cours de laquelle a lieu la révolution militaire donne ainsi lieu à des appréciations tout à fait divergentes. Michaël Roberts, auteur d’un ouvrage estime qu’elle se produit entre 1560 et 16604. Jeremy Black indique de son côté que les changements décisifs interviennent lors du règne de Louis XIV5. D’autres affirment, à l’instar de Volker Schmidtchen, que les transformations importantes surviennent à la fin du Moyen-Age6. Jean Chagniot cite parmi ceux-là l’exemple de Clifford J. Rogers7. Pour Geoffrey Parker, les transformations s’étalent sur trois siècles, entre 1500 et 1800. Il est plus que légitime de se demander si, dans de telles conditions, il est encore

1 CHAGNIOT ( Jean ), «Critique du concept de révolution militaire» in BERENGER ( Jean ) (s.d. )La Révolution militaire en Europe ( XVème-XVIIIème siècle ), Paris, Economica, 1998, page 23.

2 CORVISIER ( André ), «Conclusion générale» in BERENGER ( Jean ) (s.d. )La Révolution militaire en Europe ( XVème-XVIIIème siècle ), Paris, Economica, 1998, page 150. Le passage suivant est particulièrement révélateur :«…la notion de «révolution militaire» ayant été systématiquement ignorée, mais après la traduction française du livre de Geoffrey Parker sur la révolution militaire, les historiens français ont bien été obligés de réagir à leur tour à ce qu’ils considéraient comme une véritable provocation.».

3 BERENGER ( Jean ) (s.d. ), La Révolution militaire en Europe ( XVème-XVIIIème siècles), Paris, Economica, 1998, page 3.

4 PARKER ( Geoffrey ), The Military Revolution. Military innovation and the Rise of the West, 1500-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, page 190. Michaël Roberts publie en 1956 à Belfast ses conclusions dans un ouvrage intitulé The Military Révolution, 1560-1660.

5 Idem, pages 9-10. Cet historien fait part de cette interprétation dans A Military revolution ? Military change and european society1550-1800, livre publié à londres en 1991.

6 Ibidem, page 10. Schmidtchen est l’auteur d’un ouvrage publié à Weinheim en 1991 sous le titre Kriegwesen in später Mittelalter Teknik, Taktik, Theorie.

7 CHAGNIOT ( Jean ), «Critique du concept de révolution militaire» » in BERENGER ( Jean ) (s.d. ), La Révolution…, pages 26-27. Jean Chagniot cite encore l’exemple de Clifford J. Rogers, médiéviste qui dans un article de 1993, montre l’importance des changements intervenus au cours de la première moitié du XVème siècle. Mais leur reconnaissance (naissance d’une armée véritablement permanente en France par exemple) ne diminue en rien l’intérêt de ceux survenus dans la période suivante.

réellement possible de parler de révolution1. Le terme n’est, sans doute, pas des mieux choisis. Mais, il ne faut peut-être y voir, à l’instar d’André Corvisier, qu’une provocation2. En tous cas, force nous est de constater que le concept, bien qu’il ait été clairement nuancé sur certains aspects, est loin d’être abandonné. L’ouvrage de Geoffrey Parker sur «la révolution militaire» demeure une référence incontournable même pour ceux qui émettent le plus de réserves quant à sa thèse. Même Jean Chagniot ne conteste pas la partie qui nous intéresse le plus : c’est-à-dire ce qui concerne les fortifications3. C’est donc pour l’essentiel sur les conceptions de Geoffrey Parker que nous allons nous baser pour tenter de définir à notre tour cette révolution.

La révolution militaire est indéniablement plurielle. C’est d’ailleurs pourquoi l’emploi des termes «révolutions militaires» aurait sans doute été plus approprié, au moins pour rendre compte de la pluralité des chronologies. Geoffrey Parker regroupe sous cette expression un ensemble d’innovations qui ont changé le visage de la guerre au cours de l’époque moderne.

La première est un développement de l’artillerie qui rend obsolètes les fortifications existantes et oblige à repenser complètement la défense des places. La solution surgit sous la forme d’un système qui est qualifié de «trace italienne»4, vraisemblablement en raison du rôle attribué aux habitants de la péninsule dans sa théorisation. Sur le champ de bataille, l’utilisation de l’infanterie de ligne fait que l’importance de la cavalerie lourde diminue fortement mais pas de manière linéaire. La cavalerie employée notamment aux ailes retrouve un rôle plus conséquent lors la guerre de Trente ans5. Ainsi, c’est essentiellement elle qui décide de l’issue de la bataille de Rocroi. Le développement de la logistique militaire aboutit à la constitution d’armées mieux équipées, moins dommageables pour les populations lors de leur passage mais bien plus coûteuses. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect. Sur mer, c’est l’apparition du vaisseau de ligne qui aboutit à la constitution de marines de guerre spécialisées mais seulement après 16506. Il nous faut remarquer pour terminer cette définition que

1 Ibidem, page 26.

2 CORVISIER ( André ), «Conclusion générale» in BERENGER ( Jean ) (s.d. ), La Révolution…, page 151.

3 CHAGNIOT ( Jean ), «Critique du concept de révolution militaire» » in BERENGER ( Jean ) (s.d. ), La Révolution…, pages 24-25. Cette reconnaissance n’intervient tout de même que du bout des lèvres: «…en faisant grand cas d’une «trace italienne», qui serait parvenue à révolutionner la défense des places. Ne le chicanons pas sur la paternité d’une invention que les Italiens ont admirablement théorisée sans en être peut-être les seuls auteurs…».

4 PARKER ( Geoffrey ), The Military Revolution..., Cambridge, Cambridge University Press, 1988, page 39.

5 CORVISIER ( André ), «Conclusion générale» in BERENGER ( Jean ) (s.d. ), La Révolution…, page 156. Il faut tout de même resté prudent : «Il faut voir aussi quelle faut la part respective du feu et du choc et l’on a beaucoup exagéré les innovations de Gustave-Adolphe…».

6 BERENGER ( Jean ), «Existe-t-il une révolution militaire à l’époque moderne ?» in BERENGER ( Jean ) (s.d.), La révolution…, page 7.

Geoffrey Parker lui-même ne prétend pas avoir rassemblé les règles d’une guerre nouvelle qui se seraient répandues de manière foudroyante partout en Europe. Il consacre de longs développements à différents cas européens comme l’Irlande qui sont restés longtemps réfractaires au nouveau modèle1.

Geoffrey Parker fait de la révolution dans l’art de la fortification l’élément principal de son système2. Celle-ci s’opère, nous l’avons vu, en réaction aux progrès opérés par l’artillerie à partir du milieu du XVème siècle. Ceux-ci sont extrêmement importants et laissent une forte impression aux contemporains. Les quelques canons géants de cette époque dont nous avons gardé la mémoire n’ont, malgré leur impact psychologique, joué en définitive qu’un rôle des plus limités. En effet, trop lourds, ils ne sont transportables que par voie d’eau. De plus, ils sont dangereux. Geoffrey Parker donne l’exemple de Mons Meg une bombarde qui «était longue de trois mètres, pesait 8 tonnes et demie, et crachait des boulets de 50 centimètres de diamètre»3. En réalité, la plus grande efficacité de l’artillerie est due au fait que les souverains réunissent désormais des concentrations de plus en plus grandes de canons plus légers. C’est son artillerie mobile qui permet au roi de France de reconquérir relativement rapidement les provinces de Normandie et de Guyenne sur les Anglais (1450-1453), puis de soumettre les forteresses de Bretagne (1487-1488). C’est un matériel militaire semblable qui donne enfin aux Rois Catholiques la possibilité d’en finir avec le royaume de Grenade4. Malgré tout, il semble que les contemporains n’aient véritablement pris conscience des bouleversements dans l’art de la guerre qu’avec la campagne de Charles VIII en Italie en 1494. En 1498, le Sénat de Venise reconnaît que les guerres sont désormais «affectées plus par les bombardes et autres forces d’artillerie que par les effectifs d’hommes en armes»5. L’invasion française paraît avoir semé un profond désarroi dont Machiavel et Francesco Guicciardini se font encore l’écho aux environs de 1520. Le premier déclare au chapitre XVII du livre II de ses

«Discours de la première décade de Tite-Live» que, depuis 1494, «il n’est aucune muraille, si épaisse qu’elle soit, que ne puisse détruire l’artillerie en quelques jours»6. Le second met

1 PARKER ( Geoffrey ), The Military Revolution…, pages 54-56. La «Trace italienne» n’apparaît en Irlande et en Écosse qu’au XVIIIème siècle.

2 Idem, page 51. «La variable principale semble être la présence ou l’absence dans tel ou tel secteur de la «trace italienne»…».

3 Ibidem, page 35. Cette bombarde a été fondue pour le duc de Bourgogne en 1449.

4 Ibidem, pages 35-36.

5 Ibidem, page 36.

6 Ibidem, page 37.

l’accent sur l’accélération des opérations causé par l’usage des canons1. Pourtant, paradoxalement, au moment où ces deux auteurs écrivent ces lignes, les réflexions des architectes militaires ont porté leurs fruits et ont abouti à la naissance du nouveau principe de base de la fortification : le bastion.

La construction des premiers bastions aurait été effectuée à Civitavecchia entre 1515 et 1520 par Antonio da San Gallo. C’est en tous cas ce qu’affirment Geoffrey Parker2, Jean Bérenger3 et Nicolas Faucherre4. Aussi, malgré les interrogations de Jean-François Pernot nous en tiendrons-nous là à ce propos5. Le principe du bastion se révèle à la fois assez simple et adaptable. Le mur est beaucoup plus bas et plus épais que dans le cas d’une forteresse médiévale. Au niveau des matériaux, Antonio da San Gallo utilise au départ uniquement de la terre pour réaliser ses bastions6. Cela ne doit pas surprendre. A épaisseur égale, un terrassement est plus résistant aux coups de canons qu’un mur de pierres. La pierre revient cependant dès les années 1530 dans les bastions réalisés à Vérone par Michel San Micheli.

Son seul rôle est alors, selon Nicolas Faucherre, «de soutenir la terre qui (désormais) remplit l’intégralité du volume de l’ouvrage»7. Ces assertions méritent quelques précisions. D’abord, quoique nous ne puissions pas être plus affirmatifs pour ce cas que pour le précédent, il faut remarquer que, par la suite, lorsque le cœur du bastion est rempli par un massif de terre, celui-ci est, au moins dans la très grande majorité des cas, renforcée par des troncs d’arbres ou des fascines8. Celles-ci sont tout simplement des fagots de branchages9. La face externe du rempart de pierre, que l’on peut appeler dès à présent appelé «escarpe»10, est légèrement inclinée afin d’éviter que de la terre ne glisse en avant du bastion. Cela lui permet aussi de

1 Ibidem, page 37. «…il suffisait en Italie de quelques heures pour des opérations qui, antérieurement, auraient exigé le même nombre de jours.».

2 Ibidem, page 37. Dans une note de la page 192, il ajoute que cette affirmation a été avancée par Pepper et Adams.

3 BERENGER ( Jean ), «Existe-t-il une révolution militaire à l’époque moderne ?» in BERENGER ( Jean ) (s.d.), La révolution…, pages 8-9.

4 FAUCHERRE ( Nicolas ), Places fortes bastions du pouvoir, Paris, Rempart, Desclée de Brouwer, 2000, page 19. 5

PERNOT ( Jean-François ), « «La trace italienne», éléments d’approche», in BERENGER ( Jean ) (s.d.), La révolution…, pages 40-42.

6 FAUCHERRE ( Nicolas ), Places fortes…, page 19. «A Civita Vecchia, vers 1515, le neveu de San Gallo de Rome réalisa une enceinte provisoire en terre au principe révolutionnaire :…». Ce caractère provisoire du début doit être noté.

7 Idem, page 19.

8 CONTAMINE ( Philippe ) ( s.d. ) , Histoire militaire de la France, tome 1, Des origines à 1715 , Paris , P.U.F.

, 1992, page 263. Anne Blanchard rappelle qu’une technique similaire est employée pour «les primitives levées de la Loire ou les digues des polders».

9 FAUCHERRE ( Nicolas ), Places fortes…, page 106.

10 Idem, page 106. La définition donnée à cette page est plus complète. Les précisions supplémentaires (sur l’escarpe détachée) sont toutefois, pour le moment du moins, hors de propos.

donner moins de prises au tir de l’ennemi1. Ce nouvel emploi des matériaux constitue une première rupture technique par rapport à la fortification traditionnelle.

La forme adoptée pour les bastions est la deuxième. Contrairement à l’enceinte médiévale qui est à peu près linéaire, l’enceinte bastionnée permet une défense en profondeur.

Le bastion est en effet un ouvrage qui fait saillie par rapport au corps de place. C’est un ouvrage pentagonal2. Cette forme adoptée pour la première fois à Civitavecchia peut surprendre. Pourtant, c’est elle qui a paru aux ingénieurs la plus apte à éliminer les angles morts dans la défense. Les défenseurs situés sur les deux côtés les plus en avant du corps de place- c’est-à-dire les faces- sont mieux protégés des tirs adverses que dans une enceinte classique. Par contre, il leur est beaucoup plus difficile de surveiller le terrain au pied de l’ouvrage. Cette fonction est assurée par d’autres défenseurs qui ont pris position sur les flancs du bastion avec de l’artillerie. Naturellement, une telle disposition n’offre un maximum d’efficacité que lorsqu’elle est adoptée pour couvrir la totalité de l’enceinte. Les bastions sont alors construits à intervalles réguliers. Le but pour le fortificateur est qu’aucun morceau de la muraille qui court entre les bastions ne puisse être frappé par un ennemi sans être aussitôt couvert par le feu des flancs des bastions voisins3.

Le système de la trace italienne que nous avons tenté de présenter le plus clairement et le plus brièvement possible évolue entre la réalisation des premiers bastions et le début des travaux à Givet. Assez vite, il apparaît souhaitable de créer une plus grande distance entre les bastions et la potentielle artillerie ennemie par le creusement de fossés larges et profonds. Ces fossés peuvent être en eau ou à sec. Lorsqu’il est impossible de les noyer, ils doivent être protégés par des casemates. Celles-ci sont des chambres voûtées bâties à l’épreuve de l’artillerie4. Elles n’en contiennent par contre pas forcément. Elles sont en tous cas situées en saillie sur les bastions5. Ce caractère évolutif de la trace italienne est encore renforcé par le fait que l’ingénieur, loin de puiser des solutions toutes faites dans un corpus détaillé de règles, doit s’adapter au site qui lui est proposé. Vauban encore, à l’orée du XVIIIème siècle

1 CONTAMINE ( Philippe ) ( s.d. ) , Histoire militaire…, page 264.

2 FAUCHERRE ( Nicolas ), Places fortes…, page 105.

3 PARKER ( Geoffrey ), The Military Revolution…, pages 37-38.

4 FAUCHERRE ( Nicolas ), Places fortes…, page 105.

5 PARKER ( Geoffrey ), The Military Revolution…, page 37.

n’affirme pas autre chose1. Nous reverrons amplement les inconvénients, mais aussi les avantages du site de Givet.

L’ingénieur doit tenir compte d’une contrainte peut-être encore plus cruciale que celle du site. Le coût des ouvrages bâtis selon le nouveau système est très élevé. Le projet de doter Rome d’une enceinte moderne est abandonné lorsqu’en 1542 les autorités compétentes s’aperçoivent que la construction du premier bastion revient déjà à 44000 ducats. Une inadéquation entre les disponibilités financières et le programme d’équipements peut avoir des conséquences très graves. En 1553, confrontée à une agression imminente, la république de Sienne décide de ceinturer dix-sept de ses villes de bastions. Ce programme, trop lourd, est inachevé lorsque celle-ci intervient. Les Siennois, en plus, sont à bout de ressources. Ils sont impuissants à empêcher l’annexion de leur république par Florence2. Ces coûts élevés sont une des raisons pour lesquelles le système dit de la trace italienne est d’abord employé pour des souverains puissants et réservés à des régions stratégiquement chaudes comme la frontière nord-est du royaume de France et, bien-sûr, les Pays-Bas espagnols. Il y a dans ce domaine une curieuse course entre les rivaux valois et habsbourgs. Vers 1544, François I a fait équiper quinze places à la frontière entre son royaume et les Pays-Bas espagnols «d’ouvrages modernes armés de 1012 pièces d’artillerie»3. Entre 1529 et 1572, les différents maîtres d’ouvrages des Pays-Bas font construire quelque quarante trois kilomètres de défenses modernes. Quatre citadelles et douze enceintes sont bâties, et dix-huit autres enceintes transformées ; le tout pour la somme colossale de dix millions de florins4. Cette course, ainsi que les autres dépenses paternelles, fait partir Philippe II avec un passif financier important au début de son règne. 9600000 ducats ont dû être empruntés pour mener la guerre contre la France et l’empire ottoman, entre 1552 et 1556. Une telle charge est d’autant plus dure à supporter que les taux d’intérêt ont fortement augmenté. Ils sont de 49 pour-cent dans les années 1550. En fait, l’état financier des Habsbourg d’Espagne est si préoccupant qu’à partir de 1552, les banquiers étrangers sont autorisés à exporter des métaux précieux hors

1 BLANCHARD ( Anne ), Vauban, Paris, Fayard, 1996, page 363. Il «se scandalise du fort Mutin que vient de construire Richerand selon les «bonnes règles» de la fortification, inapplicables en haute montagne : «On s’est opiniâtrement attaché à l’observation des règles dans un lieu qui en est si peu capable et où il est impossible qu’elles produisent leur effet.»»

2 PARKER ( Geoffrey ), The Military Revolution…, page 39.

3 Idem, page 40.

4 Ibidem, page 40. Les autres maîtres d’ouvrages que Charles Quint ( le comte Henri de Nassau à Breda, le conseil de la cité à Anvers ) ne lançaient pas les travaux pour des raisons de prestige mais pour des

«considérations de sécurité nationale» et sans aucun doute pour répondre aux demandes impériales.

d’Espagne1. Comment serait-il possible de ne pas prendre cela en compte, alors que c’est précisément à ce moment même qu’il y a besoin, mais nous allons le voir dans les deuxième et troisième parties de ce chapitre, de tant d’argent pour la construction des bastions givetois ?

Au terme de cet exposé, plusieurs éléments apparaissent clairs. L’action des ingénieurs que nous entrevus à Givet au cours du premier chapitre s’inscrit bien dans le cadre de la révolution militaire de Geoffrey Parker. Cette révolution, bien qu’il faille la considérer de manière prudente et nuancée, est une réalité; et ce particulièrement en matière de fortifications. Le nouveau système dit de la «trace italienne» a rendu complètement obsolète la fortification médiévale. Tant au niveau des matériaux que de la forme, la rupture représentée par les bastions est des plus claires. Seulement, les contraintes techniques, et surtout financières, sont lourdes. Il nous faut maintenant comment la «trace italienne» s’est inscrite dans le paysage givetois. Nous commencerons bien évidemment pour cela par l’enceinte.