• Aucun résultat trouvé

II.2 Autour du quart de remplissage

II.2.2 Fort dopage

Nous nous int´eressons `a pr´esent au mod`ele loin du quart de remplissage (tout en se maintenant suffisamment loin du demi remplissage). Plutˆot que de perturber autour le mod`ele au quart de remplissage par un terme de potentiel chimique, nous attaquons le probl`eme directement dans l´ensemble canonique en nous pla¸cant `a une densit´e quelconque n.

La limite continue fournit na¨ıvement pour U  t le hamiltonien continu donn´e par (II.3), (II.4) et (II.5), dont la limite `a basse ´energie est encore une th´eorie o`u degr´es de libert´e de charge et de spin sont d´ecoupl´es, respectivement d´ecrits par le hamiltonien de Luttinger et le mod`ele de WZNW SU(4)1. Cependant, la question se pose de nouveau de savoir si des op´erateurs d´Umklapp (I.95) et (I.98), qui seront g´en´er´es `a des ordres sup´erieurs lors de la limite continue, doivent ˆetre pris en compte. Une fois encore, tout repose sur la valeur non perturbative du param`etre de Lut-tinger Kc(U ), dont on attend qu´il soit une fonction d´ecroissante de U . Les op´erateurs d´Umklapp (I.95) et (I.98) sont d´autant plus susceptibles de devenir essentiels que le d´enominateur q de la densit´e rationnelle n = p/q est petit :

• Int´eressons-nous tout d´abord aux termes de Umklapp qui ne touchent que le secteur de charge. Le terme de Umklapp le moins inessentiel, susceptible de provoquer une transition de Mott dans le secteur de charge est :

V1q = cosp

16πq2KcΦce , (II.34)

de dimension d´´echelle e∆ = 4q2Kc au point fixe de Luttinger. La valeur critique de Kc en de¸c`a de laquelle (II.34) est essentiel est :

K

c = 1

2q2, (II.35)

si bien que si q > 1, K

c1

8 (les cas q = 1 sont le quart de remplissage, d´ej`a consid´er´e, et le demi remplissage, qui fait l´objet du chapitre suivant).

• Les autres op´erateurs de Umklapp `a consid´erer couplent spin et charge. Si q est pair, ces op´erateurs sont interdits (cf. ´equations (I.98,I.99)). Si q est impair et p

pair, des termes de Umklapp qui couplent spin et charge sont autoris´es. Le moins inessentiel d´entre eux est :

Wq m = cosp 4πq2KcΦec 6 X a=1 κa, (II.36)

de dimension d´´echelle e∆ = 1 + q2Kc au point fixe de Luttinger. La valeur critique de Kc en de¸c`a de laquelle ces op´erateurs sont relevants est :

Kc = 1

q2, (II.37)

si bien que K

c19 pour q 6= 1.

C´est pourquoi les densit´es les plus “dangereuses” pour l´apparition de ces termes de Umklapp sont n = 1

2,3 2,5

2,7

2. Les deux derni`eres densit´es se d´eduisent des deux premi`eres par la transformation particule-trou. Frahm et al. ont montr´e que dans la version int´egrable du mod`ele de Hubbard SU(4), o`u l´on restreint l´espace de Fock aux ´etats ayant au plus deux ´electrons par site, aucune transition n´avait lieu `a des densit´es n6= 1 [60] (dans cette version le cas n = 2 est trivial). Comme cette version est d´autant plus proche du v´eritable mod`ele de Hubbard SU(4) que n est loin de la valeur 2, nous avons choisi de simuler le mod`ele de Hubbard SU(4) au remplissage n = 32, grˆace `a la m´ethode de Monte Carlo quantique `a temp´erature nulle d´evelopp´ee par Michel Caffarel et Roland Assaraf. L´algorithme utilis´e est pr´esent´e en d´etail dans les r´ef´erences [25, 67]. Le lecteur d´esireux de connaˆıtre les quantit´es pr´ecis´ement calcul´ees peut se reporter `a la section III.1.4. Ces simulations au remplissage n = 1.5 indiquent que le syst`eme demeure critique, aucune ´evidence d´ouverture de gap n´´etant not´ee, aussi bien dans le secteur de spin que dans le secteur de charge. De plus, ces calculs montrent que le param`etre de Luttinger Kc sature `a la valeur K

c ≈ 0.3 dans la limite U/t → ∞, si bien que d´apr`es l´analyse des op´erateurs de Umklapp de la section I.2.2, ces op´erateurs demeurent inessentiels. Il y a donc consistance avec les pr´edictions th´eoriques bas´ees sur la th´eorie continue. Ceci est en accord avec les r´esultats obtenus par Frahm et Schadschneider sur la variante int´egrable mais non locale du mod`ele de Hubbard SU(4) [60] : ces auteurs montrent que dans ce mod`ele, Kcd´ecroit r´eguli`erement en fonction de U et sature `a la valeur K

c = 14 dans la limite U/t→ ∞.

Tout porte `a croire qu´`a des densit´es de la forme n = p/q avec q ≥ 3 impair et p pair, il n´y aura pas de transition : pour les densit´es de cette forme les plus dangereuses, n = 2m3 , avec m = 1, 2, 4, 5, la valeur critique de Kc en de¸c`a de laquelle

0 2 4 6 8 10 U 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1 Kc

Fig. II.1: Le param`etre de Luttinger Kc pour le remplissage n = 3

2 (extrapolation `a la limite thermodynamique `a partir des tailles L = 16, 24, 32).

l´approche continue pr´edit une transition est K

c = 19. Or dans la version int´egrable et non locale du mod`ele de Hubbard SU(4), le Kc est born´e inf´erieurement par 14. Cette d´eformation du mod`ele de Hubbard SU(4) ´etant d´autant plus proche du v´eritable mod`ele de Hubbard que la densit´e est faible, une hypoth`ese raisonnable de mono-tonie de la valeur de saturation K

c (n) lorsque l´on varie la densit´e n, indique que K

c (2m

3 ) > K

c (1.5)≈ 0.3.

Compte tenu de ces arguments, nous ferons la conjecture que la th´eorie effective est la mˆeme dans toute la zone du diagramme des phases n6= 1, pourvu que l´on reste suffisamment loin du demi remplissage : spin et charge sont d´ecoupl´es, et la th´eorie effective est le produit d´un liquide de Luttinger pour le secteur de charge par le mod`ele WZNW SU(4)1 pour le spin. Pour valider cette conjecture, des simulations du mod`ele de Hubbard SU(4) `a d´autres densit´es sont n´ecessaires. Ces simulations sont en cours. Une fois de plus, la situation au voisinage du quart de remplissage est similaire `a celle du mod`ele de Hubbard SU(2), pour lequel le dopage autour du demi remplissage n´a pour effet que de rendre le syst`eme m´etallique.

Etude du demi remplissage

La d´eg´en´erescence des bandes de conduction permet d´envisager des situations plus vari´ees que ne l´autorise le cas non d´eg´en´er´e. En particulier, dans le mod`ele de Hubbard `a une bande, la statistique de Fermi rend le mod`ele trivial (isolant de bande) lorsque la densit´e moyenne est de deux ´electrons par site, ne laissant qu´une densit´e -le demi remplissage, avec un ´e-lectron par site - pour laquel-le des effets importants de commensurabilit´e se manifestent. Pour le mod`ele de Hubbard SU(4), en plus du quart de remplissage aux propri´et´es assez similaires `a celles du mod`ele de Hubbard SU(2) au demi remplissage, il est possible de fixer la densit´e moyenne `a deux ´electrons par site. Au voisinage de cette densit´e (demi remplissage), les propri´et´es diff`erent fortement de celles du mod`ele de Hubbard SU(2).

La chaˆıne de Hubbard SU(4) au demi remplissage peut ˆetre consid´er´ee comme une ´echelle, dont les montants sont des mod`eles de Hubbard SU(2) au demi remplis-sage, avec des interactions interchaˆınes particuli`eres. Or il a ´et´e montr´e que mˆeme `a faible couplage interchaˆıne, une telle ´echelle pr´esente un gap de spin [68, 69, 70], un gap de charge ´etant de toute fa¸con g´en´er´e par un terme de Umklapp intrachaˆıne. En outre, ce gap de spin subsiste sous faible dopage. Nous attendons donc que le mod`ele de Hubbard SU(4) au demi remplissage soit un liquide de spin isolant, qui se distingue des liquides de spin qu´on observe dans la chaˆıne de Hubbard SU(2). Nous verrons que cette phase de liquide de spin, spontan´ement dim´eris´ee, qui apparaˆıt sans qu´aucune sym´etrie continue ne soit bris´ee (et en l´absence de frustration), est un effet enti`erement du `a la d´eg´en´erescence orbitale. Le m´ecanisme microscopique res-ponsable de la dim´erisation est le couplage des degr´es de libert´e de spin et de charge. Les termes de Umklapp `a 8kf jouent ´egalement un rˆole d´eterminant `a forte r´epulsion coulombienne U .

Nous allons d´eriver une th´eorie effective pour le mod`ele de Hubbard SU(4) au demi remplissage. De mani`ere remarquable, ces th´eories effectives seront des mod`eles int´egrables dans de vastes r´egimes des param`etres.

III.1 Le demi remplissage

Limite de fort couplage

Comme au quart de remplissage, il est possible `a U  t d´obtenir une th´eorie effective portant sur les ´etats fondamentaux d´eg´en´er´es de l´hamiltonien de Hubbard dans la limite t→ 0. Lorque t = 0, les fondamentaux de (I.9) consistent en l´ensemble des ´etats qui comportent exactement deux ´electrons par site. Si l´on noteF2 ce sous-espace de Fock, et si l´on introduit P2, projecteur sur F2, le hamiltonien effectif agissant sur F2 au deuxi`eme ordre en t/U est donn´e par une formule analogue `a (II.1), P2 ´etant substitu´e `a P1 :

Heff =−P2H0(1− P2) 1

HU − U (1− P

2) H0P2. (III.1)

Le hamiltonien effectif sera encore un mod`ele de spin : Heff = J X

i,A

SiASi+1A + const., (III.2) o`u les op´erateurs de spin SA

i , d´efinis par (I.15), agissent maintenant sur la repr´esen-tation de dimension 6 de SU(4) form´ee des six ´etats antisym´etriques `a deux ´electrons 

c acb|0i

1≤a<b≤4, de tableau d´Young . Il s´agit en fait de l´hamiltonien du mod`ele de Heisenberg antiferromagn´etique SO(6) op´erant sur la repr´esentation fondamentale de SO(6). La constante de couplage de ce hamiltonien est J = 4t2/U . Notons que comme les op´erateurs de spin n´agissent pas dans la repr´esentation fondamentale de SU(4), il est possible d´avoir un terme biquadratique en spin. Ce terme, g´en´er´e au quatri`eme ordre de la th´eorie de perturbation en t/U , est :

δHeff = J2 X i X A SiASi+1A !2 , J2 =O(t4/U3). (III.3) Contrairement au hamiltonien d´Heisenberg antiferromagn´etique (II.2) agissant sur la repr´esentation fondamentale de SU(4), il n´est pas int´egrable. De plus, Affleck a montr´e que les chaˆınes de spin SU(N ) pour les repr´esentations antisym´etriques (de tableau d´Young `a une seule colonne) sont g´en´eriquement gap´ees, `a l´exception

de la repr´esentation fondamentale, qui nous avons consid´er´ee dans la section II.1.1. La raison en est que la limite continue de ces mod`eles de spin fournit un mod`ele de WZNW SU(N )1, qui n´est pas suffisamment prot´eg´e par les sym´etries : des op´erateurs relevants sont permis, qui ouvrent un gap [52]. Dans le cas du demi remplissage n = N/2 (pour N pair), l´op´erateur responsable de l´ouverture du gap couple spin et charge. Des travaux de Marston et al., utilisant le d´eveloppement de grand N [71], et un calcul variationnel, dˆu `a Affleck et al. [72] indiquent que le fondamental de (III.2) est dim´eris´e, doublement d´eg´en´er´e (la sym´etrie de translation d´un site sur le r´eseau est spontan´ement bris´ee). Une image du fondamental est donn´ee dans la figure III.1. Conform´ement au th´eor`eme de Lieb-Schultz-Mattis [73], les premi`eres excitations sont massives, le gap `a ces excitations ´etant de l´ordre de grandeur de J. Des simulations num´eriques par la m´ethode DMRG confirment cette dim´erisation [74].

Fig. III.1: L´un des deux fondamentaux du mod`ele de Heisenberg SO(6). Les “dim`eres” com-prennent quatre ´electrons.

Notons que cette situation ne se pr´esente pas dans le cas du mod`ele de Heisenberg SU(2), pour lequel les degr´es de libert´e de spin sont critiques pour toute interaction coulombienne U > 0, et o`u la dim´erisation n´est pas spontan´ee : elle apparaˆıtra par exemple si l´on introduit un terme explicite de dim´erisation dans le hamiltonien, ou bien sous un champ magn´etique altern´e ; une mani`ere d´obtenir de la dim´erisation spontan´ee est d´introduire de la frustration, comme par exemple dans la chaˆıne de Majumdar Ghosh [19]. Nous allons voir que la diff´erence avec le mod`ele de Hubbard `a une bande se manifeste ´egalement `a faible couplage U  t.

Les ´etudes pr´ec´edemment cit´ees de la chaˆıne de Heisenberg SO(6) ont d´etermin´e la nature de son fondamental. Cependant, sa th´eorie effective `a basse ´energie n´a pas ´et´e ´etablie, et en particulier, la nature des excitations de plus basse ´energie, qui fixent les propri´et´es dynamiques `a basse ´energie, demeurent inconnues. L´obtention d´une th´eorie effective pour les degr´es de libert´e de spin `a U  t est moins imm´ediate que dans le cas du quart de remplissage, o`u spin et charge sont d´ej`a d´ecoupl´es dans l´ultraviolet, et o`u le r´egime de Heisenberg est clairement d´efini. Au demi remplissage, le “r´egime de Heisenberg SO(6)” sera d´efini comme la r´egion des param`etres o`u la

th´eorie effective `a basse ´energie est identique `a celle de l´hamiltonien (III.2). Le couplage spin-charge pose la question de l´existence d´une valeur critique de U au del`a de laquelle s´´etendrait le r´egime de Heisenberg SO(6). Nous verrons qu´un crit`ere plus fin que ξc  ξs (ξc et ξs sont respectivement les longueurs de corr´elation dans le secteur de charge et de spin), bas´e sur la forme du spectre `a basse ´energie, peut ˆetre ´etabli pour d´efinir le r´egime de Heisenberg SO(6).

Dans la suite, nous allons ´etablir la forme de la th´eorie effective, `a faible couplage, puis nous l´´etendrons `a fort couplage. Contrairement au quart de remplissage, o`u nous disposions du point fixe SU(4)1 mˆeme pour U  t, la th´eorie ne sera pas suffisamment contrainte `a fort couplage pour ˆetre d´etermin´ee compl`etement. Dans cette situation plus d´elicate, nous aurons recours aux simulations num´eriques par Monte Carlo quantique qui fourniront des contraintes suppl´ementaires.