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Chapitre I. Physique des traînées de condensation

I.3 Processus microphysiques

I.3.2 Formation des cristaux de glace

La condensation de la vapeur d’eau a lieu à la surface des suies activées lorsque le panache se trouve sursaturé en eau. Afin d’illustrer ce phénomène, la Figure 20 représente l’évolution de la pression partielle de vapeur d’eau lorsqu’elle est en équilibre avec sa phase condensée. Cette dernière peut être la phase liquide ou solide. La pression partielle correspond à la pression qu’aurait la vapeur d’eau seule, c'est-à-dire si tous les autres constituants de l’air du panache étaient retirés. Lorsque l’air se trouve saturé en vapeur d’eau, cette dernière est susceptible de se condenser et un équilibre avec la phase condensée s’installe. La pression partielle de vapeur d’eau atteint alors une valeur d’équilibre maximale (par exemple au point B), appelée pression de vapeur saturante. Le rapport de saturation définit comme le rapport entre la pression partielle et la pression de vapeur saturante d’un composé gazeux permet ainsi de mesurer la saturation de l’air par ce composé. Par exemple, pour la vapeur d’eau par rapport à sa phase liquide, il s’écrit :

𝑠𝑙𝑖𝑞 = 𝑝𝑣

𝑝𝑙𝑖𝑞𝑠𝑎𝑡(𝑇) (I.3.1)

Avec

- 𝑝𝑣 la pression partielle de vapeur d’eau ;

- 𝑝𝑙𝑖𝑞𝑠𝑎𝑡(𝑇) la pression de vapeur saturante de l’eau par rapport à sa phase liquide.

Le diagramme de la Figure 20 montre que la pression de vapeur saturante diminue lorsque le panache se refroidit. Ainsi, en considérant une quantité fixe de vapeur d’eau contenue dans le panache, une chute suffisante de température sature ce dernier (passage du point A au point B) et conduit à la formation d’une phase condensée. C’est ce phénomène qui déclenche la formation de cristaux de glace dans le panache d’un avion. Le critère de Schmidt-Appleman stipule ainsi qu’une traînée de condensation se forme dans le panache en expansion lorsque le

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mélange, constitué des effluents et d’air ambiant, atteint un rapport de saturation par rapport à l’eau liquide supérieur à l’unité [Appleman, 1953; Schumann, 1996]. La fiabilité de ce critère de formation de traînée de condensation visible a été confirmée par de nombreuses observations au sol et en vol, résumées dans le rapport de l’IPCC [1999].

Figure 20 : Schéma illustrant l’évolution de la pression de vapeur saturante en fonction de l’âge et de la température du panache.

La formation des cristaux de glace débute ainsi généralement à partir d’une demi envergure derrière la sortie moteur de l’avion (voir Figure 21), soit à partir de 0,1 s après l’éjection des gaz [Kärcher, 1994]. En fonction des conditions atmosphériques, cela correspond au temps nécessaire pour que les effluents chauds et humides du panache se refroidissent suffisamment en se mélangeant à l’air froid ambiant, créant des conditions de sursaturation dans le panache.

47 Figure 21 : Traînées de condensation formées dans le sillage d’un B747 en vol de croisière.

Source : [Photo : Sigurdur Benediktsson]

Parmi les divers aérosols du panache susceptibles de participer au processus de formation de cristaux de glace [Schumann et al., 1996], les particules de suies constituent les principaux noyaux de condensation [Kärcher et al., 1996b]. En effet, la condensation sur les autres aérosols, et notamment sur les particules volatiles liquides plus hydrophiles, se trouve relativement défavorisée pour deux raisons différentes. Premièrement, du point de vue énergétique, la nucléation homogène de glace est difficile sur un mélange acide liquide par rapport à la nucléation hétérogène de glace sur un support solide. Deuxièmement, la condensation sur les aérosols liquides se trouve de surcroît défavorisée en raison de leur taille trop petite par la barrière de Kelvin. Cette dernière correspond au phénomène d’augmentation de la pression de vapeur saturante au voisinage d’une interface liquide-gaz présentant une forte courbure par rapport à une interface plane (voir par exemple [Pruppacher et Klett, 1997]). De ce fait, la condensation sur une particule de petite taille, donc possédant une courbure importante, requiert une pression de vapeur supérieure à celle nécessaire sur une particule plus grosse. Par exemple, les gouttelettes fraîchement nucléées à la sortie des tuyères présentent usuellement un rayon de l’ordre de deux nanomètres. Par conséquent, l’effet Kelvin entraîne une augmentation de la pression de vapeur saturante de plus d’un ordre de grandeur par rapport à une surface plane. Les suies sèches activées présentent quant à elles des rayons nettement plus propices à la condensation de la vapeur d’eau (≈ 20 nm). La barrière de Kelvin ne représentent alors qu’une augmentation de 10% environ de la pression de vapeur saturante par rapport à une surface plane [Kärcher et al., 1996b]. La condensation sur les aérosols liquides de plus petite taille requiert donc une pression partielle de vapeur d’eau beaucoup plus importante.

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Considérons un cas où l’atmosphère est assez humide pour déclencher la formation de cristaux de glace dans le panache. Les propriétés de ces derniers évoluent continuellement dans le panache sous l’influence des interactions complexes des paramètres thermodynamiques environnants [Gleitsmann et Zellne, 1998]. La majorité des modélisations prédisent des concentrations maximales de glace de l’ordre de 104 à 105 particules par centimètre cube [Kärcher et al., 1996b]. Les mesures expérimentales in situ des traînées de condensation au déclenchement de la congélation sont malheureusement difficilement réalisables et avec des résultats pour le moment discutables. Elles demeurent malgré tout indispensables pour évaluer la fidélité avec laquelle les modèles parviennent à représenter les processus physiques se produisant lors de la formation des cristaux de glace.

Plus en aval, l’influence des tourbillons de sillage augmentent les taux de dispersion et le refroidissement du panache. Les modèles prédisent alors, selon les conditions ambiantes, une diminution de la concentration maximale des cristaux de glace à environ 103− 104 #/cm−3 dans un panache âgé de 0,5 s et une augmentation du diamètre des particules jusqu’à 1 μm [Paoli et Garnier, 2005]. La diminution du pic de concentration des particules de glace est due à la dilution du panache dans l’atmosphère qui a tendance à disperser les particules avec l’expansion du panache.

Ensuite, dans le régime tourbillonnaire, les tourbillons de sillage « piège » une partie des particules de glace et les entraînent vers le bas jusqu’à plusieurs centaines de mètre (voir I.1.2.2). Ces cristaux de glace subissent alors une compression adiabatique en raison de l’élévation de la pression ambiante. L’augmentation de température qui en résulte peut alors induire, lorsque l’humidité relative ambiante est assez basse, une sublimation de la glace, diminuant les concentrations et les tailles des particules dans cette zone [Lewellen et Lewellen, 2001].

Concernant les cristaux de glace encore présents dans le panache, lorsque l’humidité relative de l’atmosphère demeure suffisamment élevée pour que le panache reste saturé en eau, les traînées de condensation persistent au-delà du régime de diffusion. Les perturbations turbulentes induites par le passage de l’avion et des jets des moteurs se sont alors estompées. L’évolution des propriétés microphysiques des cristaux de glace se trouve par conséquent entièrement contrôlée par les conditions atmosphériques. La turbulence atmosphérique et le cisaillement du vent déterminent la dilution des concentrations de particules. Dans le même temps, la croissance de ces dernières est régulée par l’humidité relative ambiante. Des

49 observations in situ des propriétés microphysiques de traînées de condensation âgées d’une heure dans la haute troposphère par Schröder et al. [2000] des concentrations pouvant atteindre 100 cm−3 et des diamètres moyens compris entre 10 et 20 μm.

Les propriétés microphysiques des particules dans les traînées de condensation, et notamment leur concentration et leur taille constituent des données essentielles pour l’étude de leur impact radiatif. Elles permettent par exemple de déterminer l’épaisseur optique de la traînée de condensation qui mesure son degré de transparence. En physique des aérosols, l’épaisseur optique reflète la fraction de rayonnement de la lumière qui est diffusée ou absorbée par les particules composant la traînée de condensation. Elle permet donc de caractériser quantitativement la contribution des traînées de condensation sur le bilan radiatif terrestre. L’épaisseur optique, qui mesure le degré de transparence d’un milieu, constitue également un paramètre permettant de définir un critère de visibilité. Kärcher et al. [1996b] caractérise une traînée de condensation visible à l’œil nu par une épaisseur optique supérieure à 3 ⋅ 10−2 Cette valeur n’étant qu’une indication, car la visibilité réelle dépend d’un grand nombre de paramètres. Ces dernières incluent la longueur d’onde de la lumière, les conditions de visibilité (brouillard, nuages…), l’angle de vue ou encore la distance entre l’observateur et la traînée de condensation. La notion d’épaisseur optique et notamment la manière de la calculer sera abordée plus en détail dans le chapitre suivant.

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